Le géant de l'acier est le premier à souffrir des surcapacités chinoises, alors qu'il avait connu deux années dorées grâce à l'expansion de l'empire du Milieu. (Photo: Charles Caratini)

Le géant de l'acier est le premier à souffrir des surcapacités chinoises, alors qu'il avait connu deux années dorées grâce à l'expansion de l'empire du Milieu. (Photo: Charles Caratini)

Le 25 juin 2006, le conseil d’administration d’Arcelor succombait au chant de Laskhmi Mittal après cinq mois de cour assidue – et de vaines tentatives de lui échapper. Cinq jours après, les actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire marquaient officiellement leur préférence pour l’offre de l’Indien, rejetant par la même occasion l’option russe et l’alliance avec SeverStal.

La fusion des deux géants de l’acier d’envergure mondiale promettait – sur le papier du moins – synergies et prospérité. Et les deux premières années ont semblé donner raison à la persévérance de Lakshmi Mittal: le marché de l’acier, dopé par la machine chinoise lancée à plein régime, ne s’est jamais porté aussi bien. Les besoins incommensurables de l’empire du Milieu tendraient même à faire oublier que l’acier est un marché hautement cyclique.

En 2007, première année pleine après la fusion, ArcelorMittal produit 116 millions de tonnes d’acier brut, soit 10% de la production mondiale, générant 105,2 milliards de dollars de revenus. Le géant procède encore à 35 acquisitions, visant une augmentation de sa production de 20 millions de tonnes d’ici 2012. «C’était l’euphorie totale, on a connu un pic jamais atteint», se souvient Robert Fornieri, secrétaire syndical Sidérurgie du LCGB, qui a connu en tant que salarié l’Arbed, puis Arcelor et ArcelorMittal.

Beaucoup de gens ont pensé qu’on avait changé de paradigme et que l’avenir serait plus rose.

Roland Junck, ancien ingénieur d'Arcelor et premier CEO d'Arcelormittal

«Entre 2005 et 2007, le monde de l’acier était en pleine ébullition en raison de l’appétit énorme de la Chine et de son incapacité à produire tout ce qu’elle dévorait en acier», analyse Roland Junck, ingénieur d’Arcelor et premier CEO d’ArcelorMittal après la fusion. «Beaucoup de gens ont pensé qu’on avait changé de paradigme et que l’avenir serait plus rose. Ayant connu 20 ans de restructurations et trois de vie plus rose, j’étais d’avis que cela ne serait que temporaire, et malheureusement j’avais raison.»

ArcelorMittal remet les pieds sur terre en 2008 avec la crise économique et financière, la récession mondiale et le flétrissement de la demande. Les projets d’expansion des mines africaines du Libéria ou d’Afrique du Sud sont gelés. S’ensuivent des décisions douloureuses: fermeture de l’aciérie de Gandrange en France – présentée comme un modèle de reprise réussie par Mittal Steel avant la fusion – en 2008, puis Florange en 2009. En 2011, c’est au tour de la filière chaude de Liège. En 2012, le train à fil de Schifflange (STFS) et le site de poutres de Madrid. Circuit Foil est vendue à Doosan (2014) et la production de fils de découpe de Bettembourg cédée au sous-traitant automobile coréen Sam Hwa (2015). C’est aujourd’hui le groupe WireSolutions, qui compte une installation à Bissen, qu’ArcelorMittal s’apprête à céder, se défaisant encore une fois d’un site performant.

Le groupe a aussi raclé les fonds de tiroir en se délestant de ses participations dans des entreprises luxembourgeoises et du château de l’Arbed, emblème d’une sidérurgie que la finance a depuis longtemps supplantée comme moteur de l’économie luxembourgeoise.

Des investissements à la peine

Handicapé par les conséquences de sa stratégie d’intégration verticale, qui l’a amené à acquérir des activités minières pour maîtriser sa production de l’extraction du minerai au produit fini, le groupe se trouve aujourd’hui en mauvaise posture. Le ralentissement de la croissance de la Chine a fini par bouleverser le marché de l’acier, les usines chinoises exportant leurs surcapacités à des prix défiant toute concurrence. «Avec une croissance moindre, la Chine ne va pas courir le risque de pousser le chômage, ce serait politiquement très difficile», commente Roland Junck. «Le gouvernement chinois va imposer une consolidation mais cela va prendre du temps», acquiesce Julien Onillon.

En attendant, ArcelorMittal réduit sa production et souffre. «Sa rentabilité financière est insuffisante pour satisfaire aux dépenses d’investissements à la fois dans les mines et dans les installations d’Europe de l’Est et des États-Unis qu’il faut mettre à niveau», déplore un ancien d’Arcelor. «Il faut désinvestir, sinon la situation sera extrêmement dangereuse à terme.»

Pour l’heure, la famille Mittal a consenti à une nouvelle augmentation de capital en mars dernier afin de réduire sa dette qui s’élevait à 15,7 milliards de dollars fin 2015 – elle a été deux fois plus élevée, mais pas dans une conjoncture aussi alarmante. «La situation restera tendue tant que le danger des usines chinoises persistera», reconnaît Jeannot Krecké, ministre de l’Économie (LSAP) à l’époque de la fusion et encore aujourd’hui représentant de l’État au conseil d’administration d’ArcelorMittal.

Je crois toujours en l’avenir d’ArcelorMittal.

Jeannot Krecké, ancien ministre de l'Économie (LSAP)

D’autant que le groupe ne peut s’appuyer sur ses résultats avec un Ebitda en chute de 29% et de pertes multipliées par huit à plus de 7 milliards de dollars. Son action s’affiche à moins de 5 euros. Des chiffres qui semblent donner raison à Guy Dollé, qui affirmait il y a dix ans que «les trois-quarts des macrofusions échouent, très souvent elles ne génèrent pas du tout la création de valeur prévue parce que les cultures des entreprises sont très différentes».

«Dix ans après, nous n’avons pas à rougir», considère au contraire Jeannot Krecké, citant les modèles de réussite que sont restés Belval pour les palplanches et Differdange pour les poutrelles. «Je crois toujours en l’avenir d’ArcelorMittal», affirme-t-il.

Retrouvez notre article dédié aux 10 ans d’ArcelorMittal, avec d’autres témoins de la fusion, dans le prochain Paperjam à paraître le jeudi 30 juin.