Depuis 20 ans dans la maison, Romain Mannelli y terminera sa carrière en 2016. D’ici là, il s’efforcera de se trouver un successeur digne de ce nom. (Photo: Mike Zenari)

Depuis 20 ans dans la maison, Romain Mannelli y terminera sa carrière en 2016. D’ici là, il s’efforcera de se trouver un successeur digne de ce nom. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Mannelli, en septembre, vous fêtez vos 20 ans chez RTL Group. Quels ont été vos débuts dans la maison?

«J’ai démarré comme vice-président RH à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion en septembre 1995. À l’époque, le département RH comptait quatre personnes (aujourd’hui 20 collaborateurs, ndlr). Quand je suis arrivé, l’ambiance y était assez morose. Il a fallu recréer du lien et motiver l’équipe. Nous avons remis de l’ordre, monté des workflows solides, et développé de nouveaux outils et processus RH dans une logique de projets. Un des événements qui a marqué mes débuts concerne la fusion entre la CLT et l’UFA de Bertelsmann en 1996-1997, dans un contexte où la CLT venait d’afficher son ambition de se lancer dans la télévision numérique à bouquets sur les marchés français et allemands. Fin 1996, cependant, les nouveaux actionnaires ont pris la décision d’abandonner ce projet pour se concentrer sur la combinaison de leurs expertises dans la télévision et la radio commerciales, ainsi que dans la production, mettant fin à une ‘guerre de concurrence’ entre les deux partenaires.

Dans le cadre de ce mariage, quelles étaient vos missions?

«À mon arrivée, le département RH avait été chargé de procéder à un recrutement mondial de 200 spécialistes et experts basés au Luxembourg, et ce, en un court laps de temps. Le but était de mettre en place les organisations nécessaires au lancement du projet des bouquets de chaînes. Nous devions trouver des profils pointus, développer une stratégie de recrutement international cohérente et comprendre les besoins des deux marchés cibles. Quelques mois plus tard, alors que le projet a été abandonné, le département RH a dû s’occuper de la dissolution de ces structures, se séparer de plus de 120 personnes et procéder à leur réorientation, voire la rupture de leur contrat d’embauche. Cette expérience m’a marqué pour la suite de mon parcours.

Dédoubler les politiques RH ne servait en rien les intérêts de l'entreprise

À quoi ressemblait l’organisation RH après la fusion?

«Les actionnaires d’UFA et de la CLT voulaient chacun disposer d’un co-contrôle. Cela s’est traduit par la mise en place de structures partagées au sein du QG. Ainsi la CLT-UFA avait deux CEO, deux responsables de la stratégie, du controlling et de la communication, ce que je suis heureusement parvenu à éviter en RH. Ayant réussi à passer le cap des premiers mois, j’ai pu convaincre mon management que dédoubler les politiques et responsabilités RH n’avait aucun sens et ne servait en rien les intérêts de l’entreprise et des employés. D’autant plus qu’un rapprochement et une collaboration entre mon département et celui de Bertelsmann/UFA prenaient déjà forme.

Comment le rapprochement de la CLT-UFA avec le groupe britannique Pearson, qui a mené à la création de RTL Group, est venu changer la donne?

«La création de RTL Group au tournant des années 2000 a permis de revoir les structures de l’organisation, de redéfinir sa gouvernance et de revenir à des mono-directions. Alors que le general management était habité par une volonté de centralisation au siège et avait tendance à s’immiscer dans les opérations locales, la fonction RH devait, d’un côté, prendre soin des aspects locaux, et de l’autre, définir son mode de fonctionnement avec les départements RH des filiales. Cette stratégie de centralisation s’est avérée contre-productive et a été abandonnée en 2003 en faveur de la philosophie actuelle : la décentralisation. Je ne vous cache pas qu’il a fallu alors rétablir des relations de confiance entre les managements locaux et le management général et s’adapter aux différentes cultures.

Aujourd’hui, quels sont les contacts qui existent entre la maison mère et son réseau de filiales?

«Cette philosophie de décentralisation s’illustre dans tous nos métiers. Les équipes dirigeantes locales ont l’entière responsabilité de leur business et jouissent de beaucoup de liberté. Ce n’est pas seulement un argument cosmétique, nous y tenons énormément. Autonomie ne signifie pas pour autant indépendance totale. Il existe de nombreux sujets que nous devons traiter ensemble, je pense notamment à l’identification des talents et à leur développement professionnel. Nous devons donc mettre sur pied une approche uniformisée, avoir recours à des outils communs, et ce jusqu’au niveau de notre actionnaire majoritaire Bertelsmann. Ainsi, il y a deux ans, nous avons entrepris ensemble une longue réflexion dans le domaine du talent management afin d’aboutir à une politique et des méthodes partagées.

Quelles sont les synergies qui existent déjà dans le chef de la formation, par exemple?

«Nos filiales ont pour mission de former leurs collaborateurs aux besoins spécifiques de leur entité, qu’il s’agisse de Vox à Cologne ou de Radio Contact à Bruxelles. Cependant, pour le développement de compétences managériales, nous proposons différentes possibilités de formations internationales en nous appuyant sur les programmes offerts par la Bertelsmann University. En effet, depuis 1998, elle se charge de développer des programmes de formation sur mesure en collaboration avec des acteurs prestigieux comme l’Insead ou encore Harvard.

Sur le plan de la culture d’entreprise, quels sont les liens qui unissent toutes les entités?

«Dans un contexte de concurrence mondiale agressive, il nous faut regrouper nos compétences et savoir-faire. Ainsi, dès septembre 2002, nous avons créé les premiers synergies committees pilotés depuis Luxembourg. Toutes sortes de problématiques y sont balayées, des nouvelles tendances de consommation, aux demandes des clients locaux ou internationaux, jusqu’au matériel utilisé. Au départ, quatre grands domaines étaient couverts: programme, sales, radio et new media. Par la suite, d’autres domaines s’y sont ajoutés, notamment: business affairs, news, marketing research et programme research. Les experts concernés de chaque filiale s’y réunissent jusqu’à quatre fois par an pour échanger, développer de nouvelles idées ensemble et apprendre des expériences des autres. Les départements RH, Finance, Communication, Juridique, entre autres, font de même, afin de devenir une ‘learning organisation’.

Un savant mariage entre les politiques locales et les politiques «groupe»

Quel est le rôle de la maison mère dans cette optique?

«Je vois le QG comme un facilitateur et un catalyseur de changement, en d’autres termes, une sorte de plateforme permettant de mieux travailler ensemble dans une logique de partenariat. Gerhard Zeiler (CEO de RTL Group de 2003-2012) considérait que ‘la raison d’être et la valeur que crée la maison mère ne sont que celles que lui attribuent ses filiales’. Je partage entièrement cette vision. Notre but n’est pas d’imposer notre point de vue, mais de démultiplier l’expertise présente au sein du groupe et créer de la valeur au bénéfice de toutes les parties prenantes. Notre politique RH, par exemple, est un savant mariage entre les politiques locales et les politiques ‘groupe’.

Est-il aujourd’hui possible de passer de M6, Fun Radio ou RTL Television à RTL Group ou vice versa?

«Nous avons actuellement une présence mondiale et sommes composés d’un patchwork de sociétés. Effectuer et gérer des transferts de collaborateurs vers les USA ou l’Asie, ou même en Europe, reste cependant une opération très compliquée, nécessitant souvent beaucoup de temps et de ressources. Nous traitons le sujet de la mobilité interne de façon proactive. Lors de notre dernier Employee Survey de 2013, nous avions inclus une question sur la mobilité interne. Suite aux réponses, chaque DRH a mené une enquête additionnelle dans sa filiale et nous avons pu constituer une liste prioritaire de plus de 65 personnes souhaitant bénéficier de cette opportunité. Depuis septembre 2014, seuls quatre transferts effectifs ont eu lieu. Nous ne sommes pas satisfaits de ces résultats, il nous reste donc encore beaucoup d’efforts à faire pour faire de la mobilité une réalité.

Quels sont concrètement les aspects qui freinent ce chantier d’envergure?

«De nombreux éléments entrent en ligne de compte. Le volet fiscal, la sécurité sociale, le droit du travail, propres à chaque territoire, ne nous facilitent pas la tâche. De plus, il nous est encore difficile de partager toutes nos offres d’emploi. D’ici l’année prochaine, cet aspect devrait changer. Nous aurons alors les outils pour le faire. Un autre sujet complexe est le traitement des candidatures internes. Prenons un exemple concret: imaginons qu’un collaborateur d’une filiale américaine postule au Luxembourg. De nombreuses questions se posent: doit-il prendre congé pour se présenter à l’entretien d’embauche? Qui paie le trajet? Est-il soumis à une nouvelle période d’essai s’il décroche le contrat? Si oui, de combien de temps? Nous n’avons pas encore toutes les réponses. Il faut garder à l’esprit que tout transfert devra profiter au collaborateur et à l’entreprise. Il ne s’agit donc pas de faire plaisir, mais de viser le win-win.

Quels sont vos projets d’ici votre départ en retraite?

«Outre mes missions habituelles, je voudrais faire progresser l’implémentation de PeopleNet, une plateforme de gestion HR opérée dans le cloud et développée en collaboration avec Bertelsmann. Celle-ci sera accessible à toutes nos filiales et à leurs collaborateurs. La mise en place de cette plateforme va redéfinir les principales fonctions RH, du recrutement à la formation, en passant par la compensation. Autre sujet de préoccupation: aider le general management à me trouver un successeur. Bien préparer la relève me tient particulièrement à cœur.

Vous qui avez un profil plus «business», comment pourriez-vous envisager le rôle d’un DRH?

«La fonction RH doit, selon moi, accompagner le changement. Le DRH se doit de se positionner comme un partenaire de confiance tant pour le general management que pour les salariés et leurs représentants. Il lui faut être reconnu dans l’organisation comme un team player intègre, comprendre les lignes métiers et avoir le sens du business. Je suis convaincu que, dans les années à venir, la fonction RH aura un rôle encore plus important à jouer. Gérer le capital humain sera une tâche aussi vitale pour l’entreprise que gérer son capital financier.»

De l’IT aux RH
«Je n’ai jamais manqué de travail»
Diplômé de l’Université de Karlsruhe en Allemagne, Romain Mannelli découvre les RH sur le terrain en rejoignant le groupe RTL en 1995.

Informaticien de formation, Romain Mannelli entame sa carrière comme chef de projet au Fraunhofer Institut, puis passe chef de service IT aux chemins de fer luxembourgeois. En 1990, il endosse le rôle de VP en charge des systèmes d’information et des réseaux télécoms pour le groupe Luxair. Trois ans après, il accepte la fonction de managing director de LuxairTours. «J’ai plutôt un parcours ‘business’, je suis venu aux RH en cours de route. Cette expérience chez LuxairTours m’a permis de comprendre les enjeux et contraintes de la fonction de CEO. En interne, cette double casquette me sert tous les jours. Au fil du temps, j’ai appris, en tant que RH, à gérer la relation d’autorité différemment.» En 1995, Romain Mannelli intègre la CLT, qui fusionne en 1997 avec l’allemande UFA, puis avec le groupe anglais Pearson au tournant des années 2000, donnant naissance à l’actuel groupe RTL. Sa première mission suite à la naissance de ce nouvel acteur paneuropéen: construire une fonction RH solide pour supporter l’inévitable expansion internationale. «Depuis mon entrée au sein du groupe, je n’ai jamais manqué de travail. Cela a toujours été rock and roll!» Romain Mannelli occupe sa fonction actuelle de VP corporate RH depuis 2001, il prendra sa pension au cours de l’année 2016. «Cette année, mes tâches prioritaires seront de veiller à améliorer la mobilité interne et faire en sorte que les équipes RH soient prêtes et autonomes. Dès qu’il sera connu, j’accompagnerai mon successeur pour l’aider dans la mise en œuvre de notre stratégie. Il me reste beaucoup de choses à mettre en place d’ici-là.»