Arkady Rotenberg aux côtés de son ami Vladimir Poutine (Photo: administration de la présidence russe)

Arkady Rotenberg aux côtés de son ami Vladimir Poutine (Photo: administration de la présidence russe)

La publication, ce mercredi soir, du Journal officiel européen a rarement été aussi attendue. Devaient y figurer les détails sur les sanctions économiques – prononcées pour la première fois par l’Union européenne dans le cadre de la crise ukrainienne – à l’encontre d’intérêts russes.

Sur la liste des personnes nouvellement visées figure notamment Arkady Romanovitch Rotenberg (déjà visé par les sanctions américaines), pour être actionnaire de Giprotransmost, une société qui s’est vu attribuer par une entreprise publique russe un marché portant sur la réalisation d’une étude de faisabilité d’un projet de pont entre la Russie et la Crimée, annexée illégalement.

Le lien entre l’atteinte à la souveraineté ukrainienne et l’intéressé peut ainsi paraître ténu. M. Rotenberg figure en réalité dans le cercle rapproché autour de Vladimir Poutine… il est en fait son fidèle copain de judo. La mesure viserait donc surtout à couper les vivres des proches du président de la Fédération de Russie.

Gel des avoirs au Luxembourg?

Conformément à la décision du Conseil européen datant du 17 mars, «sont gelés tous les fonds et ressources économiques» appartenant à ces personnes jugées responsables d’actions qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Or, Arkady Rotenberg – tout comme son frère Boris – est membre fondateur de l’asbl luxembourgeoise, Judo International, dont l’objet consiste notamment à «donner un support matériel et financier aux personnes et organisations développant le judo dans les différents pays et zones» ou à conduire «toute autre activité ayant un lien direct et indirect avec l’objet de l’association»… bref, une association bénéficiant d’un régime qui a autrefois attiré l’attention du Gafi dans sa lutte contre le blanchiment d’argent.

Qui donc devrait signaler, le cas échéant, des mouvements de capitaux pouvant potentiellement entrer dans le cadre des sanctions européennes? La fiduciaire qui a récemment (en mars) travaillé au changement de dénomination de l’association indique ne jamais avoir entendu parler des Rotenberg… Cela ne viendra donc certainement pas de là.

Cela viendra davantage des établissements bancaires qui, à l’invitation de la CSSF (Commission de surveillance du secteur financier), doivent procéder immédiatement au blocage et à la dénonciation aux autorités le cas échéant.

Analyse juridique

Il convient cependant de noter que l’ Asbl possède une personnalité juridique propre et distincte d’Arkady Rotenberg. «À mon sens, il ne sera pas possible de geler les avoir de cette Asbl sur base du fait que Monsieur Rotenberg en est un des membres,» indique Jean-Marc Ueberecken, managing Partner du cabinet Arendt & Medernach.

«À supposer que Monsieur Rotenberg soit un des membres de cette Asbl, la question de la qualification juridique de ce ‘membership’ pourrait se poser; en d’autres termes, est-ce que le fait d’être membre d’une ASBL peut être qualifié d’avoir de Monsieur Rotenberg. L’Asbl ne pouvant par définition pas chercher à procurer un gain matériel à ses membres, les flux financiers entre une ASBL et ses membres peuvent uniquement aller des membres vers l’ASBL et pas dans l’autre sens». Le fait d’être membre n’aurait donc pas de valeur économique en principe. «Je ne vois donc pas d’impact juridique pour l’Asbl dans le fait qu’un de ses membres soit visé par ces sanctions», conclut Me Ueberecken, soulignant parallèlement que toute libéralité en faveur d’une Asbl au-delà de EUR 30.000 doit être autorisée par le ministère de la Justice.

Pas de panique chez les avocats

Le régulateur n’a d'ailleurs pas prévu d’autre communication faisant suite à ce nouveau train de mesures dont on a particulièrement surveillé la sortie dans les cabinets d’avocats luxembourgeois… et notamment ceux qui travaillent avec des groupes et ressortissants russes.

C’est bien sûr le cas du plus gros d’entre eux, Arendt & Medernach (le cabinet a d’ailleurs ouvert un bureau de représentation à Moscou). Son managing partner veut bien admettre que ces sanctions pourraient avoir un impact sur certaines activités, mais qu’il est aujourd’hui très difficile d’en prendre la mesure. «À ce stade, c’est le statu quo. Tout le monde attend de voir ce qu’il se passe», confiait-il ce mercredi soir à paperJam.lu.

À l’inverse des États-Unis, dont les sanctions demeurent éminemment politiques, l’Union européenne est contrainte par un «contrôle juridictionnel» rapproché et le Conseil doit précisément justifier l’inclusion d’une personne ou d’une société sur la liste. Chaque sanction est précisément ciblée. Pour preuve, la limitation des accès aux marchés de capitaux s’avère finalement très limitée. Selon le règlement publié ce mercredi, seuls certains financements ou opérations de courtage liés à la Crimée ou à Sébastopol sont proscrits.

Cela n’a pas empêché la BEI d’affirmer, avant même la publication des sanctions, que le robinet de financement à destination de la Russie allait être fermé jusqu’à nouvel ordre, stoppant ainsi 600 millions d’euros qui devaient s’y diriger en 2014.