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 (Photo: David Laurent / Wili)

Monsieur Di Bari, considérez-vous votre métier de directeur des ressources humaines?

«À mon sens, le DRH doit être quelqu’un qui trouve des solutions permettant à l’entreprise d’évoluer et aux salariés de prendre une part de cette évolution. C’est un métier où il faut se remettre en question et aimer les challenges, parce que l’entreprise bouge et que son personnel doit s’adapter. Je suis un homme de dialogue et je veux apporter de la consultance et du conseil. Ma porte est ouverte pour rencontrer tous les employés. Mais je ne suis pas un DRH classique, parce que ma fonction au sein de Dussmann est plus large en tant que directeur administratif.

En quoi le travail chez Dussmann Luxembourg est-il spécifique?

«Nous sommes le septième employeur du pays,avec quelque 3.000 salariés. Ce qui est spécifique chez nous, c’est que nous exerçons quatre métiers très différents, avec des personnels différents, dans les profils et les temps de travail. La principale activité est le secteur du nettoyage où travaillent environ 2.000 personnes, essentiellement des femmes, dont une majorité à mi-temps. Ces mi-temps permettent à ces personnes d’apporter un complément de revenu à la famille tout en étant disponible pour elle. Vient ensuite le secteur du catering et la restauration avec près de 400 personnes, beaucoup de femmes aussi, mais surtout des temps pleins. Dussmann Security, à l’inverse, emploie essentiellement des hommes, environ 350, également à temps plein. Enfin, Dussmann Lavador, la blanchisserie industrielle, compte 120 salariés, surtout des femmes et à temps plein. Il faut encore ajouter l’administration centrale. Cela suppose une grande polyvalence pour gérer des profils variés, répondant à des conventions collectives différentes. Il faut jongler entre ces entités et les problématiques qui leur sont spécifiques.

On considère généralement que vous employez du personnel peu qualifié. Cela nécessite-t-il une gestion particulière?

«Je n’aime pas vraiment ce terme. Il est vrai que nos métiers ne nécessitent pas de réelle qualification au sens scolaire du terme, mais je préfère parler de talent plutôt que de diplôme. Ici, on se doit d’être au plus près du personnel, dans son quotidien. La structure hiérarchiquene comprend que peu d’échelons et est immédiatement opérationnelle. En dessous des directions administrative et financière se situent directement les superviseurs. Ils ont une grande liberté d’action et de grandes responsabilités. Ils sont comme des entrepreneurs qui ont leur propre portefeuille: des clients, des salariés, un chiffre d’affaires, un contrôle de qualité…

Est-ce que ces superviseurs sont issus de la base? Y a-t-il des carrières qui se construisent au sein de l’entreprise?

«Oui, on peut vraiment parler de construire une carrière en partant d’en bas. Il y a des personnes qui sont là depuis 25 ou 30 ans et qui ont commencé comme femme de ménage ou ouvrier. Ils ont gravi toutes les étapes: chef de site, chef d’équipe, chef de chantier… Je considère que c’est une force d’apprendre sur le tas, de connaître les contraintes du terrain, de savoir ce qu’est le métier. De cette façon, la transmission du savoir-faire s’opère plus facilement: les gens savent de quoi ils parlent, connaissant la vie de ceux qu’ils dirigent… Il faut avoir pratiqué le métier pour pouvoir le transmettre aux autres, pour qu’ils puissent l’exercer selon notre méthodologie.

Est-ce que vous avez mis en place des procédures pour repérer ceux qui vont pouvoir gravir les échelons?

«Au momentde l’embauche, je cherche à voir le potentiel à long terme. Chaque fois que l’on a besoin de responsables, à tous les niveaux, on regarde d’abord dans les rangs du personnel, on interroge les superviseurs, pour voir qui ils peuvent recommander, ceux qui sont débrouillards, perfectionnistes, à l’aise avec les autres. Certains ont fait des études dans leur pays et ont besoin d’être valorisés, accompagnés.Il faut parfois pousser les gens pour qu’ils prennent confiance et aillent de l’avant… Certains n’osent pas, croient qu’ils ne vont pas y arriver, mais s’ils sont encadrés et formés,ils y arrivent très bien. Nous avons mis en place des tuteurs qui suivent l’évolution de chacun. Ce sont des personnes de référence vers qui se tourner, et qui vont, aussi, apprendre les ficelles du métier et l’esprit d’entreprise. L’évolution de carrière n’est pas seulement verticale, mais également transversale, vers des secteurs plus ou moins pointus comme le nettoyage hospitalier, agro-alimentaire ou industriel…

Les personnes concernées reçoivent-elles des formations pour poursuivre leur évolution de carrière?

«La formation est un fil conducteur tout au long de la vie dans l’entreprise. Dès l’embauche, il y a une formation basique pour expliquer le métier et les manières de travailler. Au fur et à mesure, la transmission du savoir opère. Il y a une cellule spéciale de formateurs qui travaillent en permanence pour veiller à ce que les nouveaux produits ou les procédures soient compris et connus de tous.Pour gravir les échelons, il y a aussi des formations en langue ou en informatique, pour pouvoir gérer les plannings, calculer les devis… Nous envoyons parfois nos collaborateurs en Allemagne, pour des formations sur certains produits, notamment en blanchisserie, où la chimie, la stérilisation et les aspects techniques doivent être maîtrisés et respectés.

Une autre caractéristique de l’entreprise est son côté multiculturel et multilingue. Est-ce que cela vous demande une gestion du personnel différente?

«En effet, Dussmann Luxembourg compte environ 40 nationalités différentes, mais aussi des dizaines de langues et plusieurs religions. On pourrait penser que c’est un chaudron explosif, mais en fait les gens arrivent parfaitement à travailler ensemble. Je n’ai jamais constaté de problèmes liés à la nationalité ou à la religion. La charte de l’entreprise stipule bien que nous n’admettons pas de discriminations et les superviseurs, comme moi, y veillons activement. À certaines périodes, plus délicates, nous faisons attention dans la constitution des équipes. Lors de la guerre en ex-Yougoslavie, par exemple, nous avons pris garde à ne pas mélanger les personnes dont les origines les plaçaient dans des camps adverses… Nous n’allons pas non plus mettre une Française seule dans une équipe où il n’y a que des Portugaises et où elle risquerait de se sentir mal à l’aise… C’est une affaire de bon sens, de dosage. La résolution de conflits ou le travail multiculturel font partie des techniques de management que les superviseurs sont amenés à apprendre au cours de leur formation.

Autre cliché lié à votre secteur d’activité: un turnover important. Est-ce que cela se vérifie? Comment y faites-vous face?

«C’est un cliché que j’essaye de combattre. Nous avons environ 150 personnes qui fêtent leurs 15 ans d’ancienneté et un peu moins de cinq qui alignent 30 ans de maison! Si ce n’est pas du personnel stable, ça! Cela dit, bien sûr, il y a, chez nous comme chez nos confrères, quelque 10% de ‘nomades’. Ce sont des personnes envoyées par l’Adem qui, en fait, n’ont pas vraiment envie de travailler ou des personnes qui s’adaptent mal aux exigencesdu monde du travail en général… Puis, il y a les remplacements, disons ‘naturels’, qui représentent environ 150 postes par an: les gens qui partent à la retraite, qui trouvent un autre travail, qui reprennent des études… C’est la vie normale d’une entreprise. Attention, je parle ici des CDI. En période de vacances, nous engageons jusqu’à 700 personnes, uniquement pour des remplacements. Évidemment, si on ne regarde que ceux là, on a l’impression que ça bouge tout le temps.

Comment se passe le recrutement? Où cherchez-vous?

«Nous recevons des demandes tous les jours, par courrier ou par internet. Une autre voie très efficace est le bouche-à-oreille! On demande à nos gens s’ils ne connaissent pas quelqu’un qui pourrait convenir. Nous faisons remplir des dossiers standardisés qui renseignent les compétences, les disponibilités, la région… Ils sont classés par métiers et géographiquement. Bien sûr, pour certains métiers spécifiques, nous devons vérifier les qualifications: il y a des ingénieurs chimistes à la blanchisserie, des cuisiniers diplômés, des hygiénistes, des diététiciennes. Ensuite, les dossiers passent dans les mains des superviseurs, qui font une présélection selon les besoins et rencontrent les candidats. Cela peut aller très vite. Je laisse aux superviseurs le soin de choisir leurs collaborateurs. Car, sur le terrain, ce sont eux qui vont travailler ensemble. Je ne veux rien imposer, j’intègre toujours les responsables de service à la sélection du personnel. Même chose pour les congés: je n’interviens pas dans ces questions. Nous avons fixé un cadre et des règles, les superviseurs les appliquent, et les membres du personnel s’arrangent entre eux.»

Parcours

Des racines et des ailes

Après des études de droit, en France, Tun Di Bari a créé une fiduciaireà Luxembourg avant d’intégrer, en 1997, ce qui était à l’époque le groupe Pedus, au contrôle interne. Il y a rapidement gravi les échelons et est devenu membre de la direction pour initier une vaste restructuration administrative et organisationnelle, encore en vigueur aujourd’hui. «J’ai toujours aimé donner des conseils et aider les gens», explique-t-il pour justifier ses choix. Fier de ses origines «italienne et ouvrière», Tun Di Bari n’oublie jamais d’où il vient et comprend, sans doute mieux que d’autres, le personnel de chez Dussmann.