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L'accord entre les partenaires sociaux, obtenu à l'arraché, livre les grandes orientations budgétaires jusqu'en 2009. Mais trop peu d'éléments pour relancer la compétitivité, aux yeux du patronat...

Cette année plus que jamais, la déclaration du Premier ministre sur l'état de la Nation, le 2 mai devant la Chambre des députés, a pris des allures de grand'messe. Non par le suspens qui en émanait - les mesures adoptées en comité Tripartite étaient connues depuis quelques jours -, mais par la détermination politique qui s"en dégageait. Le train de mesures détaillées par le Premier ministre, savant dosage d'accords entre partenaires sociaux et d'initiatives gouvernementales, vise à rétablir l'équilibre budgétaire en 2009 et ramener le navire Luxembourg à flot, à la veille des élections législatives.

à la tribune, Jean-Claude Juncker a tenu à souligner que le pays ne connaît pas de crise, mais une "économie faible", souffrant d'une "sérieuse" inflation et d'un chômage progressant plus vite qu'ailleurs. Le pays ne peut donc plus poursuivre sur la voie d'une politique qui maintienne le déficit public et doit changer de cap. Le virage, pour autant, ne sera pas brutal. Mais tous, responsables sociaux, économiques, politiques et simples citoyens, doivent aider à tenir la barre. Le Premier ministre a lancé pour ce faire un grand appel à la solidarité nationale, évoquant une responsabilité collective devant la situation budgétaire actuelle de l'État.

L'heure est donc aux "rééquilibrages" et l'État, comme les citoyens, va devoir se serrer la ceinture, dans un effort collectif pour à la fois rétablir la compétitivité du pays et financer les grandes priorités politiques du pays, au premier rang desquelles on trouve, évidemment, la lutte contre le chômage et l'inflation. "Nous voulons plus d'écoles, de familles, de protection du climat, de recherche, de compétitivité, de transports publics, d'investissements, de logements abordables...", a également énuméré le Premier ministre, pointant les engagements pris en faveur de la "modernisation' du pays: 2,8 milliards d'euros payés en 2009 au titre de la participation de l'État au financement des dépenses de sécurité sociale (soit 1,3 milliard de plus qu'en 2000); 500 millions d'euros supplémentaires d'ici 2017 pour les hôpitaux; 150 millions d'euros d'ici trois ans pour les centres pour personnes âgées; 300 millions d'euros supplémentaires pour une politique du logement plus rigoureuse; 750 millions d'euros entre 2007 et 2009 pour une politique de sécurité plus poussée; 500 millions d'euros, d'ici 2012, pour une meilleure protection du climat; jusqu'à 250 millions d'euros par an pour multiplier les capacités d'accueil pour les jeunes enfants; 1,2 milliard d'euros par an pour un système éducatif plus performant; 450 millions par an pour améliorer le transport public; 200 millions alloués à l'université dans les prochaines années et, enfin, 500 millions supplémentaires injectés d'ici 2009 dans la recherche et l'innovation.

"Rien de réjouissant..."

Des engagements "en faveur de la croissance à long terme" qui nécessitent, par ailleurs, de dégager d'importantes marges de financement. Lesquelles proviendront, essentiellement, de mesures de consolidations budgétaires visant à réduire certaines dépenses de l'État (1,5 milliard d'économies sont au programme entre 2007 et 2009) et, partant, appelant les citoyens à nombre de sacrifices (voir encadré page 39), propres à réduire sensiblement leur pouvoir d'achat.

Des concessions que les syndicats commentent avec une pointe d'amertume, mais sans défaitisme. Le président du LCGB, Robert Weber, qui avait brandi le spectre d'une grève générale en cas de menace sur l'indexation des salaires, tempère son discours. Certes, certaines tranches devant échoir sont reportées, mais l'essentiel est, à ses yeux, sauf, puisque "le principe même de l'indexation est conservé...". Jusqu'en 2009 tout du moins.

Le président du syndicat chrétien relève "d'importantes réformes" nées de la Tripartite, avec, parmi les points positifs, le statut unique des salariés, le crédit d'impôt (pour compenser, auprès des bas revenus, la désindexation des prestations sociales) et, surtout, la politique "pro-active" du gouvernement en faveur du maintien dans l'emploi. Il demande cependant au gouvernement d'aller plus loin encore, avec une "réelle politique anti-inflationniste, notamment contre l'inflation rampante, galopante" et enjoint le patronat à mettre en oeuvre les mesures décidées en Tripartite.

"L'accord signé par le comité de coordination Tripartite découle d'un résultat qui n'a rien de réjouissant", a estimé pour sa part le président de l'OGB-L, Jean-Claude Reding, lors de la fête du 1er mai. "Il faudra veiller à ne pas répéter les erreurs commises dans le passé et mettre en pratique ce qui a été décidé", a-t-il martelé devant les militants. Et le patron du plus grand syndicat du pays de fustiger les critiques - notamment celles venant de l'opposition - sur les conclusions des partenaires sociaux. "Beaucoup de forces dans ce pays attendaient de voir exploser la Tripartite. Or, nous avons discuté jusqu'au bout, nous sommes parvenus à conserver notre modèle social', a-t-il souligné.

Parmi les points positifs, l'OGB-L se félicite également de l'augmentation du salaire social minimum - +2% au 1er janvier 2007 - et de l'avancée en faveur d'un statut unique des salariés qui "devrait rendre plus attractifs certains métiers, notamment dans l'artisanat. Un accord de principe a été trouvé, pour autant, la guerre n'est pas gagnée. Cette mesure, défendue par le syndicat depuis... 1979 devra être concrétisée avant la fin de l'année", a-t-il souligné, invitant les partenaires sociaux à se remettre à table au plus vite. Commentant les remarques des organisations patronales à l'issue des négociations, M. Reding lance une remarque acerbe: "Que les patrons ne se plaignent pas du résultat de la Tripartite. Ils en tirent des bénéfices qu'ils ne méritent pas. Le déficit public, après tout, n'est pas la faute des salariés".

Les critiques en provenance du patronat, en effet, n'ont pas tardé à fleurir, sitôt prononcées les conclusions de l'accord entre les partenaires sociaux. "Alors que l'objet initial de la Tripartite avait été d'examiner les mesures à prendre pour renforcer la compétitivité des entreprises et d'assainir les finances publiques, seul le deuxième objectif a conduit à des mesures concrètes et tangibles", a ainsi déclaré Jean Meyer, le président de l'Association des Banques et Banquiers, Luxembourg (ABBL), dès le 25 avril.

"Le début d'un commencement"

"Ainsi, un accord a pu être trouvé sur l'évolution de l'indexation des traitements: la hausse surfaite des dernières années sera un peu freinée pour les exercices 2006-2009, mais aucune réforme structurelle n'a été possible. Au niveau du fonds pour l'emploi, l'impôt de solidarité sera revu à la hausse", a-t-il souligné. Concernant la proposition d'introduire un statut unique ouvrier-employé des travailleurs du secteur privé - sans que cette proposition ne s"étende sur le statut des fonctionnaires - l'ABBL déclare "approuver ce pas, mais insiste que le financement de la mesure ne se fasse pas aux dépens des entreprises de notre secteur".

Pour autant, M. Meyer admet que chacun doit tenir son rôle: "Le secteur financier devra lui-même assumer sa part de responsabilité en direct au niveau de la gestion des coûts. Ainsi, la convention collective viendra à échéance le 30 septembre de cette année. Nous devons absolument moderniser cet

outil important de gestion et de motivation de notre personnel en adoptant des grilles et des principes à la hauteur des ambitions d'un centre financier moderne", a-t-il annoncé, soulignant que "le secteur devra également assumer davantage de responsabilités en terme de promotion à l'étranger et nous espérons pouvoir compter sur le soutien du secteur public dans nos efforts".

Insistant pour que la compétitivité nationale reste au coeur des préoccupations, le président de l'ABBL constate que "des réformes profondes et structurelles sont requises. Nous avons maintenant accompli le début d'un commencement. Nous ne pouvons pas nous arrêter là. Nous devons avoir à l'esprit que toute mesure qui irait dans le sens d'une détérioration de la position compétitive du Luxembourg serait néfaste. Tout renchérissement de la main-d'oeuvre du secteur financier donnerait des signaux alarmants en direction des maisons-mères de nos membres. Toute mesure tendant à rendre l'environnement de travail plus rigide serait contre-productive et risquerait de voir une délocalisation d'emplois vers d'autres centres financiers", prévient-il.

Les commentaires de la Fédération des industriels du Luxembourg (Fedil) abondent dans le même sens: "L'accord (tripartite) constitue une avancée dans le sens qu'il a contribué à une nouvelle prise de conscience généralisée au sujet de la nécessité de procéder à une réduction des dépenses publiques, notamment des transferts sociaux et des dépenses de fonctionnement de l'État", a indiqué celui qui était encore le président de la Fédil, Charles Krombach, lors du conseil d'administration du 21 avril (depuis le 11 mai, c'est Robert Dennewald qui lui a succédé, voir page 89).

"Cependant, force est de constater que les mesures annoncées ne constituent qu'un consensus au plus petit dénominateur commun possible et que leur finalité a été dénaturée pour viser en premier lieu l'assainissement des finances publiques, entre autres par une augmentation de certains impôts et taxes", avait alors noté l'assemblée patronale. Bien que cette finalité soit "tout à fait pertinente", la Fedil estime qu'il aurait été primordial d'accorder une priorité absolue au redressement de la situation compétitive de l'économie nationale. Or, "face à l'opposition des syndicats de s"engager sur la voie de réformes structurelles", les mesures décidées ne sont pas à la hauteur des défis auxquels le pays est confronté, selon la fédération patronale.

Au-delà de 2009

Ainsi, en matière de politique salariale, et plus précisément en matière d'indexation des salaires, l'accord trouvé se limiterait, selon la Fedil, à retarder l'application des tranches indiciaires devant arriver à échéance jusqu'en 2009: "Ceci ne constitue qu'un décalage pur et simple d'une hausse généralisée des coûts salariaux à charge des entreprises, nullement suffisant pour redresser l'écart salarial par rapport à leurs concurrents ni enrayer la spirale inflationniste".

Concernant le statut unique des employés privés, la Fedil marque son accord de principe, mais avertit que "la définition d'un statut unique doit nécessairement respecter les prémisses suivantes: ne pas mener à une surcharge de l'économie et tenir compte de certaines spécificités sectorielles", sans plus de précisions.

Quant au principal point noir de l'accord tripartite, l'organisation patronale pointe la hausse prévue du salaire social minimum, qui irait à l'encontre de la politique de lutte contre le chômage prônée par les partenaires sociaux: "Dans une approche de responsabilité sociale, les organisations patronales ont réitéré leur engagement d'offrir quelque 1.000 postes d'apprentissage et de stages d'insertion (ou de réinsertion). Dans ce contexte, il est plus que regrettable que le gouvernement ait confirmé sa décision d'augmenter, avec effet au 1er janvier 2007, le salaire social minimum, alors que le niveau élevé des salaires à l'entrée constitue le principal frein à l'embauche des demandeurs d'emploi résidents", peut-on lire dans un communiqué daté du 21 avril.

Et la Fedil de constater que "le consensus minimaliste auquel a abouti la Tripartite ne peut constituer qu'une étape intermédiaire en vue du redressement de la compétitivité des entreprises". Qu'il constitue une étape intermédiaire, c'est également, mais pour d'autres raisons, l'avis des syndicats, lesquels rappellent qu'il ne s"agit pas de baisser la garde, maintenant l'accord trouvé. Un certain nombre de dispositions doivent être affinées, voire inscrites dans la loi, avant la fin de cette année, rappellent-ils.

Pour Jean-Claude Reding (OGB-L), il est également nécessaire d'élargir l'horizon au-delà de 2009 - date des prochaines élections législatives - et il appelle "l'ensemble des partis politiques à dire dès maintenant ce qu'ils comptent faire pour les années suivantes", afin de maintenir le modèle social et assurer la modernisation du pays, tout en assurant l'équilibre des dépenses publiques.

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Compétitivité: la 9e place

Selon le World Competitiveness Yearbook 2006, tout juste publié par l'institut suisse IMD, le Luxembourg se classe au 9e rang mondial des économies les plus compétitives, et grimpe d'une place par rapport à 2005. Les années 2001, 2002 et 2003, où le Grand-Duché occupait la 2e marche du podium, semblent bien loin... Maigre consolation: les pays voisins dégringolent, l'Allemagne passant de la 23e à la 26e place, la Belgique de la 24e à la 27e et la France de la 30e à la 35e place.

La Chambre de Commerce du Luxembourg, qui coordonne l'enquête auprès des entreprises, glisse un commentaire: "l'enquête a été réalisée avant que ne soient connus les résultats de la Tripartite. (Cette dernière) comporte une série d'améliorations temporaires, mais manque d'incisivité, de sorte que les mesures qui y figurent auraient peut-être légèrement amélioré les réponses des entreprises, sans que cet effet soit considérable".