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Fini le temps de l'opulence. La priorité est désormais au contrôle du déficit des finances publiques. Mais cela ne se fait pas sans quelques grincements de dents...

Alors que le projet de budget 2007 est en cours d'examen (lire aussi l'article page 38), le thème des finances publiques aura évidemment été une des préoccupations majeures du gouvernement. La période faste de la fin des années 90, où la croissance du pays en faisait rêver beaucoup (5,9% en 1997, 6,5% en 1998, 8,4% en 1999 et 2000, selon le Statec, après révision des séries statistiques en 2005) est bien terminée, et la capacité de financement des administrations publiques de cette période (qui atteignait 1,4 milliard d'euros en 2001) a fondu pour se transformer, dès 2004, en un besoin de financement, certes limité (287 millions en 1984 et 310 millions dans le projet 2007), mais qui a de quoi marquer les esprits.

Le précédent gouvernement l'avait annoncé dès 2003, indiquant que 2004, 2005 et 2006 seraient les trois années les plus difficiles depuis la moitié des années 80. Le déficit total affiché en 2005 atteignait près de 700 millions d'euros...

"Au cours de la nouvelle période législative, le gouvernement veillera à maintenir la solidité actuelle des finances publiques et continuera à mener une politique budgétaire prudente qui vise notamment à maintenir la progression du total des dépenses de l'État dans les limites de la croissance économique dans une optique du moyen terme", pouvait-on lire dans le programme gouvernemental de 2004. Objectif atteint sur le papier, dans le cadre du projet de budget 2007, puisque la progression du total des dépenses entre 2006 et 2007 (+5,0%) est annoncée comme étant inférieure à l'évolution prévisible du PIB en valeur (+6,6%).

Du coup, le déficit budgétaire est ramené de près de 700 millions d'euros à 169,9 millions, ce qui permet au Luxembourg de rester encore dans le respect des critères de stabilité de l'Union européenne. Jean-Claude Juncker n'avait d'ailleurs pas manqué de rappeler, lors de la déclaration de politique générale en 2005, que l'endettement moyen des douze États membres de la zone euro était dix fois supérieur à celui du Luxembourg.

"Nous avons réussi, par un certain nombre de réformes, à réduire le déficit public et à respecter, mieux que d'autres États en Europe, les critères du pacte européen de stabilité", nous confirme le ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden, qui estime que son action cadre parfaitement avec le calendrier fixé au début de la législature.

Baisse des recettes en vue?

Pour autant, l'interprétation des chiffres n'est pas forcément la même pour tout le monde. "Il n'est pas normal que le Luxembourg ait un taux de croissance aussi élevé par rapport à ses voisins européens et que ses recettes fiscales n'augmentent pas proportionnellement", s"étonne ainsi François Bausch, président du groupe parlementaire Déi Gréng. Pour lui, le gouvernement ne s"attarde que trop sur le volet "dépenses". "Il ne se soucie guère des véritables problèmes liés aux recettes, comme l'usage croissant de l'engineering fiscal par les entreprises pour diminuer au maximum la pression fiscale exercée sur elles, la volatilité des recettes qui dépendent de la bourse ou encore le problème lié aux recettes à travers les accises sur les produits pétroliers qui, pour diverses raisons (problème du CO2, prix du baril de pétrole, etc.), devront être fortement révisées à la baisse dans les prochaines années", regrette-t-il.

Pour l'heure, la part du Luxembourg dans les recettes communes de l'Union économique belgo-luxembourgeoise en matière de droits de douane et d'accises a représenté 915 millions d'euros dans le budget 2006 et a été planifiée à 940 millions pour 2007. Sans oublier un montant de 55 millions (50,8 millions en 2006) de droits d'accises autonomes sur les cigarettes. Au 1er janvier 2007, les accises sur l'essence augmenteront de 2 cents/litre et les accises sur le diesel de 1,25 cent/litre. Une hausse supplémentaire de 1,25 cent/litre est prévue pour le diesel à partir de janvier 2008. Les recettes ainsi générées sont estimées à 300 millions d'euros jusque 2012, sur base des ventes de carburant en 2004. Elles sont prévues d'être affectées intégralement au Fonds de financement des mécanismes de Kyoto.

Quant aux cigarettes, il a été par ailleurs prévu de relever de 0,30% le droit d'accises autonomes, afin d'atteindre le minimum communautaire des accises applicables aux cigarettes (57%). Ce droit s'élèvera alors à 1,30% au lieu de 1,00% du droit ad valorem, engendrant une recette supplémentaire de deux millions d'euros.

Luc Frieden n'oublie pas non plus que la hausse de la TVA en Allemagne, programmée pour le 1er janvier prochain, aura un effet direct sur la croissance économique au Luxembourg "En effet, il est prévu dans le projet de budget pour l'exercice 2007 que la croissance réelle du PIB ralentira de 5,5% en 2006 à 4,0%", prévient le ministre.

La gestion de la partie "recettes" ne trouve pas non plus spécialement grâce aux yeux de Claude Meisch, le président du DP, qui estime ainsi que, globalement, la politique budgétaire telle qu'elle est menée actuellement ne peut pas être qualifiée de "responsable". "Avec des recettes fiscales connaissant au premier semestre 2006 une augmentation de 13% par rapport à l'exercice 2005, l'on ne peut décemment pas parler, comme le gouvernement a souhaité le faire croire, de déséquilibre budgétaire dû à un manque de recettes", explique-t-il. Et de redouter que l'État luxembourgeois hypothèque l'avenir avec un recours excessif aux emprunts. "Le financement des dépenses étant à l'origine de ce déséquilibre budgétaire sera réalisé par un emprunt et par le recours aux réserves accumulées les exercices précédents. Actuellement, une grande partie des investissements sont financés par les réserves émanant des plus-values de recettes engrangées à la fin des années 1990. L'État luxembourgeois vit donc actuellement des réserves émanant du passé", regrette-t-il.

Quant à l'argument régulièrement avancé par le gouvernement d'une dépendance des finances publiques aux répercussions négatives du contexte économique international, caractérisées, pour l'essentiel, par le ralentissement sensible de la croissance, il ne convainc guère Guy W. Stoos, membre du bureau de coordination de Déi Lénk-la Gauche. "Les responsables du Trésor et des Finances, qui, lors des années fastes, s"autoproclamaient "génies financiers" proposent comme seul remède une politique d'austérité pénalisant fortement les plus démunis", déplore-t-il, regrettant qu'en dépit des "cadeaux accordés aux entreprises et aux fortunés et malgré une croissance de plus 5%, les rentrées d'impôts ne suivent pas". "Tant que le gouvernement ne démordra pas de sa politique de dumping fiscal, les finances publiques resteront le souci majeur de notre pays", craint-il.

Quid de la Cour des Comptes?

En matière de fiscalité, la marge de manoeuvre est plus que limitée pour le gouvernement et Luc Frieden mise sur tout autre chose pour attirer capitaux et investisseurs. "La stabilité politique et sociale, la sécurité, l'encadrement juridique, l'innovation législative, la flexibilité du cadre juridique, l'infrastructure en matière de communications, ou encore le savoir-faire des opérateurs sont des facteurs extrêmement importants pour être compétitifs. Nous travaillons sur tous ces plans", assure-t-il.

Reste que la diversification du tissu économique du pays, toujours largement dépendant de la bonne santé du secteur financier, est loin d'être aussi aisée et que la générosité de l'État providence peut constituer un frein au bon équilibre des finances publiques. C"est, notamment, l'avis de Robert Mehlen, président de la fraction ADR à la Chambre des députés. "Comment arriver à un équilibre budgétaire stable et durable, si une partie croissante des Luxembourgeois sont dépendants du soutien provenant des deniers publics au lieu de participer activement à la création de richesse'", s"interroge-t-il, notant, au passage, le paradoxe des intentions d'investissements conséquents dans la promotion de la place financière, alors que dans le même temps, celle-ci cherche désespérément de la main-d'oeuvre qualifiée...

à défaut de proposer des solutions vraiment innovantes en la matière, l'ADR prône une réforme pure et simple de la Cour des Comptes, afin de renforcer son indépendance et d'élargir ses compétences. "Effectivement, elle devrait, outre le contrôle de la légalité et la régularité des dépenses publiques, examiner les "trois E": l'Économicité, l'Efficacité et l'Efficience des dépenses et, ainsi, entraîner un emploi plus respectueux des deniers publics dans tous les domaines". Et de faire référence à ce qui a pu se passer dans d'autres pays, où de 8 à 10% des dépenses publiques ont ainsi pu être économisées.

Un débat dans lequel Luc Frieden n'entend pas du tout entrer. "Il n'y a actuellement pas de projet de réforme envisagé pour la Cour des Comptes, laquelle n'a été instituée au Luxembourg qu'en 1999", nous a confirmé le ministre du Trésor et du Budget.