Si la loi devait être adoptée telle quelle, elle s’appliquerait avec effet rétroactif au 21 mars 2016. De quoi hérisser l’ABBL. (Photo: Sven Becker)

Si la loi devait être adoptée telle quelle, elle s’appliquerait avec effet rétroactif au 21 mars 2016. De quoi hérisser l’ABBL. (Photo: Sven Becker)

Cas pratique. Monsieur X, salarié d’une banque luxembourgeoise, a contracté un emprunt de 233.000 euros en 2012 afin d’acquérir une maison en Belgique. La Spuerkeess lui propose à l’époque un taux de 2,8%. Fixe, car selon son conseiller financier, «les taux sont au plus bas et vont remonter rapidement». Voyant que les taux, au contraire, continuent de baisser, M. X recontacte son conseiller en 2015 afin d’évoquer une renégociation du taux, quitte à s’acquitter des frais de rachat de crédit. Réponse de la BCEE: les indemnités de remboursement anticipé s’élèvent à 34.000 euros… Sachant qu’il reste à M. X environ 200.000 euros de capital à rembourser, il lui faudrait donc reverser une somme plus importante que celle empruntée au départ.

«Cela me met hors de moi», témoigne le trentenaire. Car le contrat qu’il a signé indiquait simplement que l’indemnité de remboursement anticipé était «calculée sur le montant remboursé ainsi que sur la durée restante pour compenser la banque du coût de refinancement à investir», sans autre précision. «Lors d’une acquisition précédente en Belgique, j’avais effectué un remboursement anticipé moyennant trois mois d’intérêts comme indemnité sur le même type de crédit à taux fixe.»

M. X se sent donc pris au piège, condamné à rester dans la même banque durant plus de 20 ans.

Nous recevons entre trois et dix plaintes écrites par an, sans compter les appels qui ne sont pas comptabilisés.

 Aline Rosenbaum, juriste au sein du service Contentieux de l’ULC

Il n’est malheureusement pas le seul dans cette situation. L’Union luxembourgeoise des consommateurs est régulièrement contactée par d’autres propriétaires confrontés à la même impasse. « Nous recevons entre trois et dix plaintes écrites par an, sans compter les appels qui ne sont pas comptabilisés», indique Aline Rosenbaum, juriste au sein du service Contentieux de l’ULC. «Le problème s’est posé de manière plus aiguë depuis la chute des taux d’intérêt. Beaucoup de personnes ont commencé à vouloir rembourser leur prêt contracté à un taux fixe très élevé, s’exposant à des indemnités colossales alors qu’elles étaient plus raisonnables avant.»

Il est toutefois quasiment impossible d’obtenir gain de cause. Les propriétaires peuvent saisir la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) – 4% de ses réclamations concernent ce sujet. «Selon les retours que nous en avons, la CSSF a tendance à dire que la clause n’est pas illicite en soi, mais que si le montant paraît exagéré au client, il doit saisir le tribunal civil, et souvent les gens n’ont pas envie d’investir dans une procédure judiciaire», conclut Aline Rosenbaum.

Aucune loi ne régit pour l’heure le calcul de l’indemnité de remboursement anticipé. Libre aux banques d’en décider. «Quand une banque octroie un crédit, elle doit se refinancer sur le marché et planifie sur la longueur du contrat, ce qui implique des coûts» lors d’un remboursement anticipé, explique Catherine Bourin, membre du comité de direction de l’Association des banques et banquiers de Luxembourg (ABBL).

Plafonnement à la française

Mais cette liberté pourrait bientôt être réduite à la faveur de la transposition de la directive européenne de 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel. Pensée comme un dispositif de protection du consommateur, la directive prévoit de limiter l’indemnité de remboursement anticipé. Le législateur luxembourgeois a choisi de s’aligner sur la législation française qui plafonne l’indemnité à six mois d’intérêts sur le capital, et seulement si l’emprunteur occupe le logement durant au moins deux ans. «Le plafonnement ne s’applique pas pour le crédit à l’achat d’un terrain et l’encadrement est beaucoup moins strict qu’en France ou en Belgique, où aucune indemnité ne peut être demandée si l’emprunteur est forcé de déménager à cause d’un décès dans sa famille ou d’une perte d’emploi», souligne Bob Schmitz, conseiller juridique de l’ULC pour les questions européennes.

Toutefois ce plafonnement, qui disparaît à partir de 450.000 euros de remboursements, est vigoureusement dénoncé par la Chambre de commerce dans son avis, en ce qu’il «ne permettra plus aux établissements bancaires d’obtenir une indemnisation juste et équitable de la perte subie, aboutissant en pratique à une perte financière à la charge du prêteur». La conséquence directe pourrait être un report de ce coût sur l’emprunteur. «Si le seuil imposé par l’État ne correspond pas à la réalité des coûts, cela pourrait induire une répercussion sur le coût du crédit en général», avertit Catherine Bourin. Pourtant, la réalité semble tout autre en France ou en Belgique.

Si les réserves de la Chambre de commerce devaient être prises en compte, la loi serait vidée de son sens d’après l’ULC. Qui note avec amertume que le projet de loi a été confié non pas à la commission de l’économie, habituellement chargée de la protection des consommateurs, mais à celle des finances.