Christian Scharff (à gauche) et Benedikt Jonas (à droite) sont tous les deux des spécialistes au sein de PwC. (Photo: Anthony Dehez)

Christian Scharff (à gauche) et Benedikt Jonas (à droite) sont tous les deux des spécialistes au sein de PwC. (Photo: Anthony Dehez)

La marque employeur est un élément important pour une entreprise, à la fois sur les plans interne et externe. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce concept?

Christian Scharff: «Nous avons une marque mondiale bien établie et qui a une réputation établie. Elle véhicule un certain nombre de valeurs auprès de nos collaborateurs, mais elle est aussi un gage de sérieux, de qualité et de méthodologie auprès de nos clients. S’il y a un sujet sur lequel il y a peu de ‘marge de manœuvre’ et qui est pris très au sérieux, c’est donc bien la marque. Aujourd’hui, il existe des classements des marques les plus reconnues, y compris des classements monétaires de la valeur des marques. À l’intérieur de l’entreprise, il y a ce qu’on appelle une ‘promesse employeur’ faite à nos collaborateurs, qui est la même partout dans le monde. Autrement dit, on entre chez PwC – tout comme dans n’importe quelle entreprise – avec une idée de ‘l’aventure’ qu’on va y vivre. La capacité d’une entreprise à créer ce lien émotionnel vers l’extérieur et à le maintenir une fois que les collaborateurs y sont entrés est capitale. On ne peut pas véhiculer vers l’extérieur un message qui est inconsistant avec l’expérience vécue à l’intérieur. Ceux qui le font se retrouvent en porte-à-faux chez leurs clients et chez leurs salariés. Et cela se termine toujours en catastrophe.

Votre approche contient-elle des aspects spécifiques pour le Luxembourg ou est-elle valable pour l’ensemble du réseau?

C.S.: «Comme toujours, ce sont les hommes et les femmes qui font l’entreprise. Par définition, l’ambition par rapport à cette promesse employeur est modulée en fonction des personnes qui dirigent la société. Dans une entreprise comme la nôtre, on constate un investissement massif de la direction dans la formation en faveur des salariés, qui est assurée à tous les niveaux. La promesse employeur PwC se traduit en termes de compétences: vous devez être compétent quand vous entrez dans notre firme, mais vous le serez certainement encore plus le jour où vous sortirez, si tant est que vous ayez envie de partir.

Une deuxième promesse est vécue aujourd’hui de manière assez forte: les Big Four en général ont souvent eu la réputation d’être des usines assez impersonnelles, où l’on travaille dur, longtemps, et où il n’y a pas de vie privée. Ça, c’est l’image d’Épinal. Je pense que les gens qui sont à l’intérieur vivent une autre aventure. Aujourd’hui, beaucoup de choses sont faites pour concilier vie privée et vie professionnelle: des systèmes d’horaires flexibles, le télétravail, une kyrielle de services qui sont rendus en interne et qui sont organisés de manière à ce qu’on se sente bien dans cette maison. 

Il faut que la marque évolue avec l’usage et la perception des gens.

Benedikt Jonas, spécialiste chez PwC

Benedikt Jonas: «Ce qui importe n’est pas ce que l’employeur dit de sa marque, mais plutôt ce que les autres en disent. Nous avons par exemple changé le logo de la firme qui est devenue ‘PwC’ pour plusieurs raisons: dans le monde digital, l’ancien logo était trop long. Il faut que la marque évolue avec l’usage et la perception des gens. En Asie, le nom était imprononçable. Nous voulions aussi être une marque plus humaine, plus personnelle. Pour cette raison, nous avons choisi d’autres couleurs que le bleu froid et institutionnel. Ce ne sont pas seulement les éléments visuels qui font partie de la marque, mais aussi la façon consistante dont on communique avec les employés en interne et les clients en externe.

Comment peut-on mesurer la perception d’une marque à l’extérieur?

C.S.: «Lorsque j’étais DRH dans ma firme précédente, j’allais de temps en temps sur des sites internet regarder ce que les gens racontaient sur ma société dans les forums. J’observais en amateur le sentiment qui était diffusé à l’extérieur sur notre marque. Des gens qui discutent sur internet et qui sont lus par des centaines de personnes, cela véhicule une image pour moi en tant que client, salarié, futur salarié ou candidat ayant envie de postuler. Aujourd’hui, le monde a radicalement changé: on est dans le monde de l’internet, des sites et de l’instantané, et il est encore plus important d’observer ce qui se passe à l’extérieur. De nos jours, il existe tellement de sites qu’on ne peut plus aller voir manuellement ce qui se dit sur sa société. D’autres moyens sont employés pour observer ce qu’on raconte sur les marques et comprendre ce que les gens pensent ou quel est leur sentiment, ce qu’on appelle du 'sentiment analysis'.

C’est là où l’on marche sur un fil. Aucun entrepreneur ne peut forcer quiconque à envoyer un message positif ou négatif sur une firme.

Christian Scharff, spécialiste chez PwC

B.J.: «Le défi aujourd’hui consiste à traiter la grande masse de données. En une minute, 450.000 messages sont postés sur Instagram et 3,5 millions de recherches sont effectuées sur Google. Comment peut-on trouver les informations ayant un rapport à la marque et qui concernent notre industrie? Il faut recourir à des algorithmes. Dans notre firme, nous avons une équipe de data scientists spécialisés dans l’analyse du big data et dans le filtrage des informations ayant un intérêt pour l’employeur. Cela peut concerner des personnes influentes ou des individus qui s’engagent le plus dans l’espace public pour parler de la marque. Voilà pour la partie externe. En interne, on a ce qu’on appelle un ‘employee advocacy program’, destiné à motiver les collaborateurs à partager du contenu. Aujourd’hui, si on veut communiquer efficacement avec nos cibles, l’envoi d’emails ou de lettres n’est plus efficace. Il faut donc familiariser les employés avec les outils des réseaux sociaux pour que le message soit bien réceptionné par le public cible. Un fiscaliste qui partage une nouvelle fiscale avec son groupe LinkedIn sera plus percutant du fait que son réseau regroupe des gens intéressés par ce sujet.

C.S.: «C’est là où l’on marche sur un fil. Aucun entrepreneur ne peut forcer quiconque à envoyer un message positif ou négatif sur une firme. Nous ne pouvons pas et ne souhaitons certainement pas forcer quiconque à faire quoi que ce soit. Mais si nous avons créé ce sentiment de fierté par rapport à la marque ou aux services, alors le collaborateur a peut-être aussi envie de partager ce message avec son groupe de connaissances sur les plateformes professionnelles.

D’autres outils existent, qui agrègent ce que les collaborateurs disent sur des centaines de sites.

Christian Scharff, spécialiste chez PwC

Quelle est la frontière entre le privé et le professionnel, ne serait-ce qu’en termes de divulgation d’informations?

C.S.: «Cela fait partie de la marque, qui est très bien balisée. Les instructions et les lignes directrices sont extrêmement claires pour expliquer ce qui peut sortir et ce qui ne peut pas. Si tous les collaborateurs commençaient à tweeter n’importe quoi, on aurait vite perdu la consistance de notre marque. Pour appréhender le sentiment des collaborateurs, il existe encore ces fameuses enquêtes d’employés.

Elles sont intéressantes, mais le problème est que nous n’en réalisons qu’une fois par an. Tout le monde ne répond pas, c’est une image instantanée qui sert souvent à analyser le sentiment d’une population pour toute une année et elle est souvent colorée par les événements des dernières semaines ou par l’humeur du jour. Cet outil reste important, mais d’autres outils existent, qui agrègent ce que les collaborateurs disent sur des centaines de sites. Toutes ces informations sont par définition publiques. Il y a aujourd’hui des moteurs dont l’objet est de lire en temps réel l’ensemble de ces informations. Et il est possible aujourd’hui de relier une marque chaque fois que son nom apparaît dans la conversation. Ces moteurs sont capables de lire ce qui est exprimé et de faire la différence entre ce qui est positif, négatif ou neutre.

B.J.: «C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle. Les algorithmes permettent d’identifier des millions de données publiques qui sont agrégées sur une plate-forme que nous utilisons pour voir celles qui concernent une marque, que ce soit en rapport avec les concurrents ou pour identifier qui parle de la marque ou pour avoir une image instantanée du sentiment sur le marché. Si celle-ci est trop négative, on peut être alerté rapidement pour enclencher un programme en vue de réagir par rapport à ce sentiment.

Heureusement, il y a aussi l’intervention humaine pour distinguer le contexte.

Benedikt Jonas, spécialiste chez PwC

Peut-il y avoir des problèmes d’interprétation dans l’analyse des données?

B.J.: Le premier travail est fait par les algorithmes: on peut automatiser toute une partie du sentiment analysis, mais ça reste des machines. Heureusement, il y a aussi l’intervention humaine pour distinguer le contexte. Nous disposons de gens spécialisés dans tout ce qui touche au sentiment linguistics et à la data science pour analyser le contenu. Aujourd’hui, on est capable d’analyser le pourcentage de contenu authentique par rapport à ce qui est copié-collé et retweeté, donc de mesurer si on se trouve en situation de crise, quel est le volume réel et quel est l’engagement du public par rapport au contenu. C’est ce qui constitue la valeur ajoutée.

Une fois qu’on a pris la température du marché, il faut faire un travail d’analyse sur le type de langage utilisé, composer une image sociographique du public cible et voir quels sont les outils de communication utilisés pour permettre à l’employeur de réagir sur le bon canal de communication. On a aussi des network maps, c’est-à-dire qu’on analyse comment les personnes interagissent, si elles sont en contact avec des groupes d’intérêt ou si elles communiquent de manière plus isolée. On peut ainsi déterminer les personnes influentes, qui ont des milliers de followers et dont l’impact est peut-être plus important. De nos jours, même les grandes marques ont besoin d’identifier ces personnes influentes, car comme elles ont leur propre lectorat, elles se situent presque au même niveau que les médias. Comme chacun est devenu éditeur de son propre contenu, elles deviennent des cibles pour les spécialistes du marketing et de la communication.»