Transformer le travail non déclaré en travail légal, tel est le but de l'étude 2Plus dont les conclusions seront rendues prochainement au ministre du Travail. Les outils de nos voisins ont été passés au crible.
Début septembre, le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo, a présenté une campagne de sensibilisation contre le travail clandestin, insistant sur les avantages de l'affiliation à la sécurité sociale. Cette sensibilisation vise aussi bien les particuliers employant de la main-d'oeuvre pour du travail à domicile que ce personnel lui-même. Toute personne affiliée à la sécurité sociale perçoit un revenu de remplacement en cas de maladie, une indemnisation en cas d'accident sur le lieu de travail ou sur le trajet l'y menant, mais a également droit aux congés payés. Sans compter que chaque heure cotisée est prise en compte dans le calcul des 120 mois de travail donnant droit à une pension de vieillesse.
Les deux parties s"en trouvent ainsi gagnantes et la campagne lancée vise à le rappeler. L'employeur bénéficie, lui, d'un abattement forfaitaire maximal de 3.600 euros par an, du remboursement des indemnités de maladie, qu'il doit avancer pendant l'arrêt de travail de son employé, et d'une procédure administrative simplifiée, à savoir une seule déclaration pour la sécurité sociale et les contributions. Alors qu'un employeur qui occupe un travailleur au noir encourt des sanctions et peut voir sa responsabilité engagée en cas d'accident de travail.
Ce problème du travail "clandestin' a fait réfléchir nos voisins bien avant nous. Le Luxembourg pourrait d'ailleurs s"inspirer des modèles belge, français, allemand et suisse pour régulariser ses travailleurs au noir. Les résultats de l'étude 2Plus, réalisée par le Syndicat des indépendants et des Classes moyennes, le LCGB et le Centre de Formation sociale Jean-Baptiste Rock, et financée à 45% par le Fonds social européen et à 55% par le ministère du Travail et de l'Emploi, seront présentés le 19 décembre prochain. Les états de sous-emploi, d'emploi non déclaré échappant à la couverture par les assurances sociales, ainsi que des mesures relevant de politiques publiques susceptibles de mener à des formes d'emploi couvertes de manière adéquate par le système luxembourgeois des assurances sociales ont été analysés.
L'outil, qui doit être proposé au ministre du Travail, visera à simplifier les procédures administratives en vue de régulariser le travail occasionnel ou temporaire, explique Marc Rauchs, chef du projet 2Plus. "Les outils analysés chez nos voisins donnent des pistes à suivre mais ne sont pas adaptés à notre pays, estime-t-il. Souvent, les mesures mises en oeuvre avaient pour objectif de drainer des chômeurs de longue durée sur le marché du travail et ce n'est pas le problème au Luxembourg. Nous avons moins de chômeurs de longue durée mais beaucoup de travailleurs occasionnels". Les travailleurs visés sont ceux qui ont un travail et exercent à côté au noir, les étudiants qui travaillent en dehors des vacances scolaires, les retraités, les femmes de ménage ou ceux qui touchent le RMG. "L'outil présenté sera très simple. Le transfert d'argent continuerait de se faire en liquide. L'un ou l'autre de l'employé ou de l'employeur aura la possibilité de déclarer les heures prestées, le salaire, les dates de travail. Nous voulons un système flexible, car plus il comportera de contraintes et moins il sera utilisé", indique M. Rauchs. Un avantage fiscal devrait encore y être lié pour les ménages et dans une moindre mesure pour les indépendants et les sociétés. Ce sera ensuite au politique de fondre la proposition en loi.
Sociétés d'aide à la personne
Les partenaires de l'étude 2Plus ont notamment rencontré Accor Services, très au fait de ce qui se pratique en la matière au-delà de nos frontières, pour avoir déjà eu l'occasion de travailler sur des projets visant à lutter contre le travail clandestin et à créer de l'emploi en France et en Belgique. Des pistes qu'il s"agira d'adapter aux besoins locaux.
En Belgique, l'État a instauré, en janvier 2003, avec deux ans de retard, les Titres service qu'il finance, alors qu'en France, c'est le secteur privé qui finance, via le Chèque Emploi Service Universel (CESU).
En Belgique, le principe est simple: le particulier peut faire appel à une société agréée dans le cadre des services à la personne (aide ménagère, repassage en atelier ou à domicile, aide à la personne à mobilité réduite, livraison de courses). Trois acteurs interviennent donc: le particulier, l'entreprise agréée et le travailleur. La majorité des emplois qui ont été créés sont des emplois féminins. L'utilisateur achète une heure de travail à 6,70 euros, l'entreprise agréée en recevra 20 (21 auparavant). Le prix du Ticket service, émis par Accor Services, est fixé. Le montant financé par l'État est de 13,30 euros. L'utilisateur peut encore bénéficier d'une réduction d'impôts de 30% avec un plafond révisable chaque année. Une heure coûte ainsi 4,69 euros. Le travailleur convient de son salaire avec l'employeur.
"On sort d'une situation précaire en Belgique. Des sociétés doivent se créer, se faire agréer par l'Onem qui a un seuil critique par rapport à leur implantation et aux services offerts. Ces sociétés grandissent vite et permettent une évolution des employés dans leur société. Ce n'est pas le cas en France, où l'on continue à financer l'individu", explique Christel Constant, area manager de Accor Services. Le fait d'avoir imposé l'intermédiaire que sont les entreprises agréées permet aux gens de se réinsérer dans le marché de l'emploi, mais aussi de revaloriser le métier de service à la personne. "Dans certaines entreprises, une vie sociale se créé. En France, on perd le volet "partie sociale" et on mettra du temps pour y arriver", estime-t-elle.
Le CESU est né du chèque emploi service - créé en 1995 pour payer des prestations d'aide à l'emploi à domicile et faciliter l'administratif - l'employeur se voyant dispensé de la plupart des formalités liées à l'embauche et à la rémunération de son employé.
35.000 créations d'emploi en Belgique
En France, 80% de ces services sont offerts par des indépendants et 20%, par des entreprises. Le financement de ce chèque passe par les entreprises. Cette disposition est accompagnée d'un incitatif fiscal conséquent: une réduction d'impôt sur le revenu de 50% des dépenses engagées pour l'emploi d'un salarié à domicile. Il existe deux types de produits: le CESU bancaire ou le CESU pré-financé.
Dans le premier cas, il s"agit d'un chèque que le client achète auprès de sa banque. Il a le choix d'embaucher un indépendant ou de passer par une entreprise, auquel cas c'est cette dernière qui se charge du volet social. La seconde option permet aux entreprises publiques, privées, aux collectivités de pré-financer des CESU offerts à leurs salariés, d'un montant qu'elles auront défini. L'employé direct reçoit ce chèque et le dépose à la banque ou l'envoie à une chambre de compensation. La déduction fiscale de l'entreprise peut aller jusqu'à 1.800 euros par an par salarié, plus un crédit d'impôts - jusqu'à deux millions d'euros maximum - de 25% du montant dépensé. Cent euros ne lui en coûtent que 42.
En France, cela a surtout permis d'accroître l'emploi. En Belgique, de diminuer le travail au noir. Au premier trimestre, on comptait, en Belgique, 35.000 créations d'emplois, selon des chiffres du ministère du Travail et de la cohésion sociale. 1.250 entreprises ont été agréées pour 350.000 utilisateurs inscrits et 29.000 contrats de travail de service signés.
Le Luxembourg part de rien et peut donc opter pour la meilleure des solutions étudiées. Cependant, le préfinancement semble difficile dans la mesure où le pays compte bon nombre de travailleurs frontaliers qui ne pourraient pas utiliser ces chèques dans leur pays. L'offre s"avère mieux structurée en Belgique grâce aux sociétés agréées.
Adapter les services proposés aux besoins locaux est une nécessité. Accor Services n'a pas attendu que les tickets services ou autres chèques emplois voient le jour dans le pays pour préparer deux nouvelles offres, qui seront lancées en janvier: la conciergerie d'entreprise, soit avec un concierge sur place, soit par l'intermédiaire d'une plate-forme; et un service de garde d'enfance d'urgence, à domicile, lorsque l'enfant est malade, financé en partie par l'employeur.
Au Luxembourg, de plus en plus de femmes sont actives sur le marché du travail et l'augmentation de l'espérance accroît les besoins de soutien aux personnes âgées. Alors que le travail au noir s"exerce surtout à domicile, les besoins en terme de travail à domicile s"accroîtront encore dans les années à venir. Une niche d'emplois qui reste encore à explorer.