Carlo Thelen: «Quand le dentifrice est sorti du tube, il est impossible de l’y faire rentrer.» (Photo: Chambre de Commerce)

Carlo Thelen: «Quand le dentifrice est sorti du tube, il est impossible de l’y faire rentrer.» (Photo: Chambre de Commerce)

Le tram semble être la solution retenue par le gouvernement dans le cadre de la stratégie nationale de mobilité durable et visant une approche intégrative des différentes mesures permettant de donner une réponse aux défis liés à la mobilité. Je ne compte pas revenir au débat épique relatif au tram et à ses alternatives.

En effet, ce débat ressemble davantage à la procession dansante d’Echternach où l’on fait trois pas en avant et deux pas en arrière, qu’à un bond définitif ou à un saut qualitatif en avant. Les années, voire décennies, passées à discuter du sens et du non-sens du tram ne nous ont pas fait avancer ne serait-ce que marginalement sur le fond de la chose mais ont simplement ingurgité des millions d’euros au titre des frais d’études et de contre-études. Aussi longtemps que dure le débat, les bouchons vont en s’intensifiant, les gaspillages en s’accroissant, la qualité de vie en se dégradant.

Il est grand temps d’avancer stratégiquement, intégrativement et de manière responsable d’un point de vue financier. Au vu de l’impact important du projet sur les finances publiques, il importe de considérer les dépenses prévues sous l’angle de l’efficience et de l’efficacité optimales à long terme. D’après le programme pluriannuel des dépenses d’investissements annexé au projet de budget 2014, le «coût pluriannuel prévisible du projet Luxtram» atteindra 548,6 millions d'euros sur la période 2014 à 2018. Bien évidemment, les coûts ne s’arrêtent pas là.

Les autorités publiques étant particulièrement parcimonieuses – à l’instar du projet de loi n°6626 déposé en automne 2013 relatif au tronçon Gare-Kirchberg – en termes de quantification des ramifications budgétaires à long terme, tout ce que nous savons à l’heure actuelle est que l’exploitation de la ligne Gare-Kirchberg coûterait l’équivalent de 18 millions d'euros au titre de coûts d’exploitation annuels (en ce sans compter les frais de fonctionnement de la SA Luxtram à hauteur de 4 millions d'euros par an). Ce coût annuel devra certainement être revu à la hausse au vu de la récente décision du gouvernement d’avancer les extensions du tram vers le Findel et Howald/Cloche d’Or.

Ce que nous ne savons pas, par contre, c’est le coût estimatif en termes de chiffres d’affaires non réalisés et d’emplois non créés pendant la phase de travaux. Les auteurs du projet de loi susmentionné estiment que les travaux dureront jusqu’en 2030, voire au-delà. Si nous intégrons la dimension «retard chronique à la luxembourgeoise en matière de grands chantiers», peut-être le réseau de tram complet, avec la totalité des extensions prévues (Findel, Cloche d’Or, Howald, Porte de Hollerich, Bertrange-Tossenberg, Leudelange), serait-il achevé en 2040 ou 2050.

L’actualisation de tous les coûts prévisibles à la date d’aujourd’hui ferait sans doute apparaître un montant résolument astronomique. Il faudrait dès lors faire de tels calculs avant d’entamer les premières phases de travaux, comme le ferait d’ailleurs toute entreprise raisonnable, envisageant un projet stratégique d’une telle envergure à si long terme. Car quand le dentifrice est sorti du tube, il est impossible de l’y faire rentrer. Un morcellement ou un arrêt intempestif du projet de tram après une réalisation partielle du réseau, en raison de manque d’argent, vide de sa substance l’approche intégrative du tram et la dimension de son interconnexion avec les autres modes de transport.

La question budgétaire risque de se transformer ainsi en véritable talon d’Achille du projet «tram». Il serait primordial, à ce stade, et avant d’engager les moyens financiers prévus pour la première phase de construction, de connaître les positions des acteurs et communes concernés par les tracés d’extension envisagés, et particulièrement les possibilités de (co-)financement inhérentes à la réalisation du projet, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le programme gouvernemental mentionnait notamment qu’«afin de faciliter le financement du tram, le gouvernement étudiera les possibilités d’un financement en coopération avec la Banque européenne d’investissement et son programme de financement des infrastructures de transports». Nous restons dans l’attente de nouvelles à cet égard. Or, il s’agit impérativement d’éviter un pilotage à vue. Ainsi, le projet de tram sous sa forme actuelle perd considérablement de son sens et comporte de nombreux risques relatifs au coût-bénéfice et au plan de financement.

En synthèse, vu l’envergure de la problématique entourant la mobilité ainsi que la situation difficile en matière des finances publiques et de leur soutenabilité à long terme, il serait souhaitable d’implémenter un concept de transport public en ligne avec la stratégie de mobilité durable qui puisse être mis en œuvre rapidement, garantissant une intégration de toutes les zones dans une approche globale et cohérente, tenant compte des contraintes des riverains (habitants et commerçants) et n’hypothéquant pas la capacité financière du pays à moyen et long termes. On en est bien loin…