Carine Ringlet contrôle tous les flux de matières premières pour les sept unités de production européennes d’Ampacet Europe. (Photo: Mike Zenari)

Carine Ringlet contrôle tous les flux de matières premières pour les sept unités de production européennes d’Ampacet Europe. (Photo: Mike Zenari)

Madame Ringlet, qu’est-ce qui fait la spécificité d’une société comme Ampacet?

«Ampacet est une société américaine spécialisée dans la production des mélanges-maîtres pour l’industrie plastique. Notre rôle est donc de mélanger une résine (polyéthylène, polypropylène, polystyrène, etc.) à des additifs ou des pigments afin de faciliter le processus futur d’un fabricant de produits plastiques. Nous avons un large portefeuille de produits, du produit à haute spécificité au produit de commodité à faible coût. Nous proposons quatre familles de ‘mélanges-maîtres’: les blancs, les noirs, les couleurs ou les additifs. Ces mélanges-maîtres pourront être utilisés pour la fabrication de films (agriculture, photo, etc.), dans le moulage (tubes, jouets, boîtes), le soufflage de bouteilles ou dans des applications plus pointues. La palette est donc très large. Ampacet se positionne entre les fournisseurs de résine pure et le client qui fabrique un produit fini à partir de cette résine. Notre rôle est celui d’un intermédiaire qui va apporter des propriétés au plastique en termes de teintes, de reflets ou de stabilité du produit (protection UV, usage alimentaire, etc.). Mais la clé de cette spécificité est la flexibilité et le lean processus: optimiser la valeur pour notre client tout en minimisant les coûts.

Dans ce schéma de production, quel est le rôle octroyé à l’unité de production de Dudelange?

«Sur ce site récent, puisqu’il est opérationnel depuis 2013 seulement, nous ne faisons que des mélanges-maîtres ‘blancs’. Il s’agit de la plus grande famille de nos produits, avec plus de 1.000 formules, dont certaines chargées à plus de 75%. Les applications vont du code de commodité au code de haute qualité avec applications spécialisées telles que les grades pour application en photographie, grades de revêtement pour extrusion, grades de moulage pour l’alimentaire, le non-alimentaire et les utilisations à usage hygiénique ou médical. Nous ne disposons que d’une seule ligne sur ce nouveau site, mais elle a permis d’augmenter de 60% la production européenne. À Dudelange, la taille des campagnes de production de nos grands standards peut atteindre entre 20 et 300 tonnes, donc de gros débits. Par conséquent, Dudelange est un gros atout pour Ampacet en termes de capacité de production et qui offre, grâce à ses équipements, de la réactivité, de la sécurité, de la flexibilité et de l’innovation.

Vous êtes directrice supply chain pour l’Europe. Pouvez-vous nous détailler votre fonction?

«Dans le jargon des entreprises, le supply chain n’est pas bien défini, chacun l’utilise en fonction de ses structures. Souvent, on y englobe principalement les aspects logistique, service client et transport. Chez Ampacet, je suis responsable de tous les flux de matières et d’informations, depuis l’appel aux fournisseurs jusqu’à la distribution du produit au client, y compris la gestion du planning et la gestion des centres de distribution. À part la négociation des conditions de transport, nous ne négocions pas les prix d’achat des matières ni les prix de vente de nos produits finis. Cependant, nous gérons toute transaction dans les conditions définies, optimisant les flux, les coûts et bien sûr le service. Et cela pour les sept sites de production européens: celui de Dudelange, de Messancy en Belgique, deux en Italie, un à Telford au Royaume-Uni, un en Pologne et le dernier en Russie.

Cela demande donc de savoir jongler entre ces différentes entités, différentes cultures, différentes réglementations…

«Le nombre de sites ou de personnes n’est pas ce qu’il y a de plus important. Pour moi, ce qui est le plus significatif, c’est la complexité des processus, le nombre d’activités différentes. Une petite usine ou un petit département peut parfois être plus demandeur en énergie et support parce que très important pour l’évolution de la société: haute valeur ajoutée et haut potentiel encore en développement. Le nombre de lignes est également important. Nous sommes une industrie lourde, le taux d’occupation des lignes doit pouvoir atteindre 80% pour être rentable. Pour une grosse ligne, le niveau doit être de 85% à 95% alors qu’on préférera qu’une petite ligne soit seulement chargée à 60% pour apporter du service couleur de manière très réactive. Nous devons donc vraiment jongler entre nos coûts, notre offre, notre demande et les ressources requises aux différents endroits. C’est une gymnastique d’algorithmes pour placer les bonnes matières au bon endroit et au bon moment.

À ce niveau, la localisation des différentes entités est-elle importante?

«Vu les types de produits que nous fournissons, c’est un critère très important. Pour maîtriser les coûts et le temps, il faut s’installer au bon endroit, au bon moment, et avec les bons équipements: une grosse ligne dans un pays riche en potentiel couleur serait une erreur, car trop lourde pour la réactivité… Chez Ampacet, après les matières premières, le personnel et les frais généraux, le fret et le stockage représentent le quatrième poste de coûts pour l’entreprise. Nous devons donc adapter nos règles de gestion de stock, de prévisions, de placement de commandes en fonction des destinations clients, volumes et délais… Nous allons d’ailleurs vivre un moment important au début du mois de mai avec l’inauguration officielle de notre nouveau centre logistique européen sur le site de l’Eurohub, entre Bettembourg et Dudelange. Nous sommes les premiers à nous y implanter.

Qu’est-ce qui a guidé votre choix vers cette plateforme logistique?

«Depuis 17 ans, nous disposions d’un hub européen à Aubange, à proximité de l’usine belge de Messancy. Il s’agissait d’un accord à long terme avec un partenaire logistique belge. Le problème est que nous avons vécu sur cet accord qui était adapté à notre besoin, ‘profitant’ de facilités d’exploitation, de contrats extensibles en fonction des besoins et de facilités liées à la proximité de l’usine belge. Mais il n’y a pas eu d’évolutions technologiques, nous peinions à optimiser nos flux et surtout à contrôler nos coûts. En 2013, nous avons pris la décision de quitter le hub de Belgique et de nous installer au Luxembourg, de sous-traiter à nouveau la manutention dans le magasin, mais en conservant toute la gestion et les détails de chaque opération, contrôle et optimisation grâce aux codes-barres et à un warehouse management system.

Comment ce nouveau hub va-t-il fonctionner?

«Nous disposons d’une surface de 25.000 m2 que nous louons. Nous avons ensuite signé un contrat avec Transalliance, en tant que partenaire logistique, qui doit gérer physiquement les flux dans le hub et utiliser notre système d’information pour recevoir les instructions. Transalliance a dû engager 12 personnes pour assurer ce travail. De notre côté, nous avons transféré les six personnes de notre ancienne entité belge chargées de la gestion des expéditions. Cet entrepôt servira en premier lieu à stocker les produits finis des usines belge et luxembourgeoise. Ceux-ci partent ensuite vers des hubs locaux en Europe ou vont directement chez le client.

Mais certains produits de nos autres usines européennes passeront aussi par le hub luxembourgeois, notamment ceux pour lesquels nous aurons anticipé la demande des clients. Globalement, 75% des produits finis fabriqués dans nos usines européennes passeront par le hub. Mais il servira aussi au stockage d’achats stratégiques de matières premières pour les installations belge et luxembourgeoise.

Pourquoi avoir installé ce centre logistique au Luxembourg?

«Le grand avantage, c’est que ce hub est proche de deux de nos grandes usines, Messancy et Dudelange, et qu’il est également proche de notre quartier général européen basé lui aussi à Dudelange. Donc, à nouveau, contrôle des coûts logistiques, réactivité et facilité d’adaptation en fonction des besoins… proche des décideurs, de l’IT et très proche de nos plus gros territoires: Allemagne et France.

Le Luxembourg est un peu devenu le centre névralgique d’Ampacet en Europe…

«Oui, d’autant que nous avons aussi développé un Ideation Center, un nouveau centre de recherche et développement pour l’Europe. Nous avons transféré toute l’entité R&D de l’usine belge et créé cet Ideation Center qui a pour but de pouvoir développer un produit en partenariat avec le client et dans des délais très courts. L’idée est de réunir dans ce centre toutes les personnes impliquées dans le processus de création d’un produit – les chercheurs et techniciens du client et les nôtres, le marketing, les vendeurs et spécialistes couleurs – et, sur place, passer d’une idée à une solution fiable, fonctionnelle et à coût optimisé. Grâce à cette collaboration et à notre laboratoire équipé des technologies les plus récentes, l’équipe définira les meilleurs composants, réalisera différents développements et tests pour aboutir en l’espace d’une journée à la solution optimisée. Ce processus encore nouveau permet de gagner un temps précieux par rapport aux processus d’innovation traditionnels. En 2014, les expériences réalisées avec des clients clés se sont toutes traduites par une décision très rapide. Chez nous, la recherche et l’innovation sont les clés du succès.

Dans un marché mondialisé, quelle place le groupe continue-t-il de réserver à ses investissements en Europe?

«C’est vrai qu’il est rare de voir, parmi nos différents concurrents, des investissements aussi importants que ceux que nous continuons à faire en Europe. Beaucoup se dirigent vers d’autres régions du monde. Mais nous, nous tenons à envoyer le message à nos clients que l’Europe reste un partenaire très important. Nous voulons garder nos acquis sur le Vieux Continent et les investissements de ces dernières années sur le Luxembourg en sont une belle preuve; même s’il est clair que, pour ne pas disparaître de la carte, nous nous devons aussi aller vers des pays à potentiel élevé comme la Russie, le Moyen-Orient et l’Afrique noire.

Via quelle stratégie?

«Ces territoires sont désormais intégrés dans Ampacet Europe depuis quelques années sous la dénomination Emea (Europe Middle East Africa). Nous avons fait des investissements en Russie et, depuis quelques années, l’équipe de vente MEA est passée d’une personne avec des distributeurs, à sept personnes plus distributeurs. Au niveau du supply chain, au cours des dernières années, nous avons implanté trois centres de distribution dans la zone Moyen-Orient/Afrique. Un en Afrique du Sud, un en Turquie et un à Dubaï. Actuellement, nous prospectons au niveau de l’Afrique noire, mais également pour un second hub local en Afrique du Sud. Jusqu’à présent, nous n’avons pas d’unité de production dans cette grande région. Nous envoyons des produits fabriqués en Europe dans nos hubs locaux afin qu’ils puissent être délivrés dans les pays environnants.

Mais vous pourriez envisager une nouvelle usine dans cette zone?

«Oui, le potentiel existe. Nous évaluons l’implantation d’une unité, mais pas au niveau du noir et du blanc qui sont de trop grosses ‘batteries’. Par contre, une petite usine basée sur les produits de couleur ou sur des additifs nous permettrait d’être plus réactifs sur ces marchés.»

Parcours
Vingt ans dans la résine
Depuis le QG européen d’Ampacet à Dudelange, Carine Ringlet contrôle tout ce qui entre et sort des usines européennes du groupe.

Cette année, elle fête ses 20 ans de présence chez Ampacet. Intégrée au headquarter européen, basé à Dudelange, en tant que directrice supply chain pour l’Europe, elle a donc des fonctions au niveau des sept unités de production basées sur le Vieux Continent. Des entités qu’elle a vu naître: quand elle a pris ses fonctions, la division belge, basée à Messancy, était la seule usine européenne. Mais ses débuts, elle les a effectués à Howald, là où était alors basé le siège administratif du groupe américain pour l’Europe depuis un an seulement.

D’origine namuroise, Carine Ringlet a obtenu un diplôme en sciences économiques appliquées de l’Université catholique de Louvain. Après avoir postulé sur Bruxelles, elle s’est très vite rabattue sur le Luxembourg qui lui a ouvert grand les portes. Ampacet a été son premier et unique employeur jusqu’ici. «Je postulais en contrôle de gestion et j’ai été engagée dans le service informatique», se remémore-t-elle. Mais après avoir travaillé sur des optimisations du système informatique et à l’intégration du second site de production européen, elle est appelée aux États-Unis par le CEO et le responsable IT Europe, et nommée responsable ERP pour tenter d’intégrer les processus européens et américains tout en intégrant un ERP commun à tous les sites. Elle a fait la navette pendant cinq ans entre les deux continents avant de prendre la main, en 2006, sur un département supply chain au niveau d’Ampacet Europe à nouveau. En 2014, elle est officiellement nommée directrice supply chain Europe, un poste qui n’existait pas avant elle. Et, depuis cette année, elle a aussi repris la gestion de l’ERP pour l’Europe.