L’Alap défend aussi bien les intérêts des inculpés que des parties civiles, souligne Me Frank Rollinger, membre du comité de l’asbl. (Photo : Rollinger Oliveira avocats à la cour)

L’Alap défend aussi bien les intérêts des inculpés que des parties civiles, souligne Me Frank Rollinger, membre du comité de l’asbl. (Photo : Rollinger Oliveira avocats à la cour)

Me Frank Rollinger, l’Alap célèbre ses dix ans. A-t-elle rempli la mission pour laquelle elle a été créée à l’origine?

«L’Alap a été créée à l’époque parce qu’il y avait aux yeux des pénalistes certaines déficiences au niveau de la procédure pénale. Des améliorations ont eu lieu sur de nombreux problèmes, notamment via la transposition de la directive A-B-C qui aboutit à garantir des choses que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg avait mises en avant mais qui n’étaient pas systématiquement appliquées par les institutions luxembourgeoises. Par exemple le problème épineux de l’accès au dossier qui aujourd’hui est allé dans le bon sens, ou la réelle défense des clients en ce qu’aujourd’hui les personnes vulnérables qui sont interpellées par la police se voient expliquer qu’elles ont le droit de voir un avocat, le droit de discuter avec lui — et qu’il soit informé de ce qui leur est reproché — avant leur audition par la police, et le droit au silence. L’arrêt Salduz de la CEDH a ainsi été ancré dans la loi au début des années 2010.

Aujourd’hui, dans le cadre de l’instruction à proprement parler, une personne passant en comparution immédiate a le droit d’avoir accès à son dossier 30mn avant son interrogatoire par le juge d’instruction et de discuter de son contenu avec son avocat durant 30mn également. Si elle reçoit un mandat de comparution, elle a trois jours avant son interrogatoire pour consulter le dossier.

Les choses ont donc évolué positivement. Le mérite n’en revient pas à l’Alap mais l’association a participé au groupe de travail fort fructueux qui a mis en œuvre les directives.

Il faut rappeler que l’avocat pénaliste ne se réduit pas à être l’avocat des inculpés. Il est souvent aussi l’avocat de victimes ou de la partie qui porte plainte. Nous ne défendons pas seulement les intérêts indirectement ou non des futurs inculpés, nous devons toujours regarder les intérêts de la partie civile. Dans l’absolu, nous devons être objectifs et neutres. Toute personne mérite d’être défendue.

L’un de vos confrères français, Éric Dupond-Moretti, a justement essuyé de vives critiques en décidant de défendre le frère du terroriste Mohammed Merah…

«C’est la base même d’une société de droit et d’une démocratie qui se respecte. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas sanctionner les gens qui commettent une infraction. L’avocat pénaliste est distant de la personne qu’il défend. Il peut avoir parfois de la sympathie ou une compréhension certaine pour certains clients, d’autres dossiers sont tellement atroces que le risque n’existe pas. Le plus difficile pour l’avocat pénaliste, c’est de faire abstraction de ses sentiments et de son vécu personnel quand il défend un dossier. S’il n’arrive pas à tenir cette distance, ou si elle est trop grande car il trouve dégoûtant ce que la personne a commis, là il doit dire qu’il ne peut pas défendre correctement la personne.

En dehors de ça, toute personne, peu importe les faits commis, mérite une défense dans la conception que l’on a de l’État de droit.

L’enregistrement des audiences accroît la qualité et la transparence de la justice.

Me Frank Rollinger, avocat pénaliste et membre du comité de l’Alap

Pourtant récemment, M. Bettel affirmait: «Je m’insurge contre l’idée défendue par certains que les terroristes auraient des droits».

«J’ai défendu plusieurs dossiers pénaux avec lui. Je ne pense pas qu’il ait dit que les terroristes n’ont pas droit à un avocat pour être défendus. Il a dit cela par rapport au projet de loi qui engendre des discussions sur les exceptions aux garanties qui existent pour tout quidam. Dans une situation extrême où une personne peut créer énormément de mal, c’est-à-dire un cadre relativement spécial et fermé, le projet de loi donne des droits aux autorités qui dépassent ce qu’elles auraient normalement le droit de faire.

Votre conférence est intitulée «Les droits de la défense: un bien nécessaire?», et sera menée par des orateurs prestigieux.

«Nous avons la chance d’avoir le ministre de la Justice, Félix Braz, qui ouvrira la conférence. Il expliquera certainement les avancées passées et à venir dans un temps prochain.

Holger Matt, qui est le président de l’European criminal bar association (ECBA), la fédération des pénalistes en Europe, dont l’Alap est membre, évoquera la feuille de route du respect des droits de la défense à travers les directives A-B-C et maintenant D, et celles en cours.

Et puis nous sommes très contents de la présence de notre confrère portugais José Ricardo Gonçalves qui va nous parler d’une expérience qui existe depuis une quinzaine d’années dans son pays: l’enregistrement audio et vidéo de toutes les audiences. Au Portugal, même les interrogatoires chez le juge d’instruction sont enregistrés. C’est un système bien huilé au pénal mais aussi au civil et dans les autres matières. Et ni les juges, ni les avocats, ni le ministère de la Justice ne voudraient revenir en arrière parce que cela accroît la qualité et la transparence de la justice. Il n’y a pas d’abus non plus et les frais de justice ont baissé. Le système est centralisé par l’État et un streaming permet d’accéder à l’audience. C’est une première approche pour permettre d’aller plus loin au Luxembourg, pour voir comment on pourrait mettre ce système en œuvre de manière pratique. Autant prendre exemple sur un pays qui l’applique depuis quinze ans.»