Tout commence après la période tumultueuse, entre 2007 et 2009, qui a débouché sur un nombre important de «grandes idées» poussées par le G20 et les entités affiliées comme le FSB (Financial Stability Board), l’IOSCO (International Organisation of Securities Commissions) ou encore la BIS (Bank for International Settlements). L’une des ces grandes idées… le Legal Entity Identifier (LEI) avec un objectif simple pour les membres du G20, connaître à tout moment qui est derrière une transaction financière, d’abord pour les dérivés, considérés comme plus risqués, ensuite pour tout autre instrument.
Cette idée est, il faut le reconnaître, le pendant nécessaire à la mise en œuvre du reporting des produits dérivés effectués via les trade repositories, instauré également suite à une demande du G20 (Dodd Frank aux USA, EMIR en Europe). En effet, si les transactions (dérivées) sont enregistrées, il est nécessaire de pouvoir aisément connaître l’entité qui est derrière une transaction. Jusque là on peut voir un objectif louable: améliorer au niveau des régulateurs/superviseurs la compréhension des grandes masses de transactions et positions potentiellement à risque. On peut cependant aussi s’interroger sur la pertinence d’une telle démarche puisque la BIS publie depuis des années des statistiques en matière de produits dérivés. Elles ne sont pas aussi détaillées, mais il faudrait certainement commencer par les lire.
Agir de manière préventive
Une des forces du concept LEI est non seulement de tracer l’auteur d’une transaction, mais de pouvoir déterminer si cette contrepartie appartient ou non à un groupe, financier ou non. Pour être plus clair, disons que pour une raison quelconque et à titre d’exemple si John Deere Luxembourg (fabriquant de machines agricoles) fait un dérivé (couverture de taux) avec une banque, dans ce cas, le LEI utilisé sera un LEI «luxembourgeois» où l’entité sera référencée et indiquera le fait qu’il s’agit d’une filiale de John Deere, USA, voire même une sous-filiale de l’entité européenne basée en Allemagne. L’objectif ultime est donc de pouvoir analyser les agrégats de positions prises par un ou plusieurs groupes au plan global et ainsi de prévoir l’émergence de risques probables ou potentiels et, en théorie, d’agir de manière préventive.
On attendra de voir ce que cela donne avant de se prononcer. L’expérience des reportings aux Trade Repositories est significative à cet égard quant a l’avalanche de transactions reportées et aux difficultés auxquelles seront confrontées les superviseurs qui, pour que le système soit efficace, devront avoir la capacité de gérer les flux de données et de les analyser à temps (quasi en temps réel); une tâche complexe sollicitant de solides outils de data mining.
Le LEI et son organisation, c’est pour qui?
Ce projet, poussé par les Américains, a un comité international dénommé le ROC, pour Regulatory Oversight Committee (qui a publié une charte de fonctionnement et qui a tous les attributs d’une organisation impartiale, http://www.leiroc.org/) et des entités locales adoubées LOU, pour Local operating unit. Sont membres les autorités concernées dans chaque marché: banque centrale, superviseur national… Chaque entité gère une base de données locale et les différentes bases sont ou seront connectées entre elles auprès de la BIS, donc dans un territoire neutre (on se rappelle des errances de l’infrastructure Swift aux USA il y a quelques années).
La bonne nouvelle est qu’après 10 mois de tergiversations, la place luxembourgeoise a enfin mis en place une entité LOU sous l’autorité de la Banque Centrale du Luxembourg (BCL) afin d’attribuer des numéros LEI à Luxembourg pour les entités luxembourgeoises. Fini de se reposer sur le système US pour obtenir son numéro, enfin disons presque. En effet si l’opérateur responsable est LUX-CSD, filiale de Clearstream codétenue par la BCL, l’opérateur technique sera Swift-DTCC, soit l’opérateur actuel aux USA. Aujourd’hui on compte près de 6.000 entités luxembourgeoises ayant un LEI, dont un bon nombre de fonds.
La question clé à résoudre maintenant est de savoir qui est visé par ce LEI. En fait, comme son acronyme l’indique, ce numéro est «obligatoire» pour toute entité légale (toutes formes de sociétés) active dans les marchés dérivés. Et ceci depuis maintenant un an si leur contrepartie est aux USA et depuis février 2014 pour les entités actives en Europe, à cause de l’ouverture des reporting aux trade repositories imposée par la réglementation EMIR. On peut noter que, dans le futur, et très probablement à partir de 2016, ce LEI soit obligatoire pour les reportings MIFID II, qui touchera donc tous les produits financiers. Ainsi, si on peut éviter son utilisation aujourd’hui, au plus tard dans deux ans, toute entité juridique sera (très probablement, encore une fois) requise d’avoir un LEI pour toute transaction financière. Travaillons donc en toute transparence!
Le LEI a un coût
Étant donné que rien n’est gratuit, l’on peut se demander si le LEI peut être évité? La réponse est double. Tout d’abord bon nombre de dérivés sont négociés pour des besoins de couverture: ne plus le faire augmenterait donc mécaniquement les risques pris par une entité. Et si, dans le contexte d’EMIR, il ne s’agit pas d’une «vraie» obligation légale (la demande d’utiliser un LEI est en fait introduite par un Q&A de l’autorité européenne ESMA, un Q&A n’ayant pas force de loi) aucun régulateur/superviseur national ne déviera de cette obligation et par ailleurs comme seconde raison, cela privera toute entité de traiter avec une contrepartie US (car elles ne peuvent plus traiter avec ces entités sans LEI). Enfin, il ne faut pas non plus négliger la tendance de fond allant vers une transparence accrue, que ce soit en matière fiscale ou plus simplement dans notre vie de tous les jours via nos réseaux sociaux. Les questions que l’on peut se poser en conclusion sont: ces données resteront-elles bien dans le domaine de la régulation/supervision financière ou avançons-nous vous un LEI pour les personnes physiques? Tous fichés?