La loi de 1991 dispose que seule une personne autorisée à exercer la profession d’avocat est habilitée à dispenser des consultations juridiques. Pourtant, la pratique tend à démontrer beaucoup de contre-exemples au Luxembourg. (Photo: Shutterstock)

La loi de 1991 dispose que seule une personne autorisée à exercer la profession d’avocat est habilitée à dispenser des consultations juridiques. Pourtant, la pratique tend à démontrer beaucoup de contre-exemples au Luxembourg. (Photo: Shutterstock)

Nul ne peut donner de consultations juridiques s’il n’est autorisé à exercer la profession d’avocat, stipule, en substance, la loi de 1991 réglementant le métier. Pourtant, il n’est pas rare de voir experts-comptables et consultants en entreprise se pencher sur des travaux juridiques de constitution de société, de négociation de contrats, de restructuration.

«Il y a chez les experts-comptables d’excellents juristes qui sont à même de fournir d’excellents conseils, et d’autres un peu moins qualifiés qui s’aventurent tout de même sur le sujet», observe Renaud Le Squeren, partner chez DSM Avocats. Cet empiètement sur la chasse gardée des avocats n’est que toléré et n’a pas été validé par les autorités luxembourgeoises, contrairement à d’autres pays comme la France. Cette situation pourrait alors alimenter une certaine confusion des genres dans les esprits, surtout qu’elle risque d’exacerber le caractère concurrentiel du marché juridique. «Les principaux concurrents des avocats, ce sont les fiduciaires ou les Big Four, qui interviennent dans des domaines du droit bien balisés. Si vous êtes un avocat qui ne s’occupe que de ces domaines, vous éprouverez des difficultés car, effectivement, ces comptables sont probablement aussi bons et peut-être même mieux organisés économiquement, de manière à avoir des coûts fixes potentiellement plus faibles», remarque l’associé de DSM.

Terrain d’entente

En 2016, pour éteindre le feu des critiques, mais également une procédure judiciaire, le Conseil de l’ordre des avocats avait été contraint de réconcilier le Barreau de – Luxembourg – avec les géants du conseil au travers d’une charte interprofessionnelle. Ce texte délimite les prérogatives de chacun et est sous la supervision d’une commission paritaire compétente pour régler les litiges au cas par cas.

Suite au scandale Enron aux États-Unis et à la loi Sarbanes-Oxley de 2002, les cabinets d’avocats ont été séparés des cabinets de conseil.

Renaud Le Squeren, partner chez DSM Avocats

Cela n’ouvre toutefois pas la porte à des structures hybrides où cohabitent avocats et experts-comptables. «Si vous faites un peu d’archéologie juridique, ça a longtemps été le cas. Les Big Four avaient des cabinets d’avocats intégrés. Mais suite au scandale Enron aux États-Unis et à la loi Sarbanes-Oxley de 2002, les cabinets d’avocats ont été séparés des cabinets de conseil. Ce qui est toujours le cas au Grand-Duché, malgré une pression forte pour revenir en arrière», explique Renaud Le Squeren.

Il convient néanmoins de préciser que l’écosystème luxembourgeois nécessite la présence des cabinets de conseil et d’experts-comptables en général, et des Big Four en particulier, car ils apportent une qualité de réflexion et une créativité qu’eux seuls peuvent offrir, compte tenu de leur vision globale des enjeux. Au même titre que les cabinets d’avocats internationaux, avec lesquels il sera bon de se répartir les tâches.

Complémentarité

La concurrence peut en effet demeurer saine si chaque acteur juridique fait valoir sa pertinence sur les dossiers abordés. «Dans le domaine de la construction, si vous cédez des immeubles ou des entreprises qui possèdent des immeubles, vous allez avoir des problématiques de droit public, de droit des sociétés, de droit fiscal, d’autorisations de bâtir, de contrats, donc des éléments très variés. Les experts-comptables seront à même de conseiller sur l’un ou l’autre point, et d’ailleurs, leur expertise sera indispensable, mais pour tous les autres, l’intervention des avocats sera recommandée», indique le partner du cabinet DSM.

De la même manière, des enjeux plus structurels, à l’instar des fonds d’investissement, de la rédaction des prospectus ou de la structuration des fonds alternatifs, requerront des avocats. Il n’existe pas de protocole-type à suivre pour savoir si seul le service juridique interne doit prendre en charge un dossier ou si un cas impose le recours aux cabinets de conseil ou aux cabinets d’avocats.

Nous avons des PME qui nous disent vouloir une sorte de service juridique externalisé, une sorte de hot-line pour des questions day-to-day.

Renaud Le Squeren, partner chez DSM Avocats

Tout dépendra assez logiquement des besoins et de la nature de la société, de petite ou de grande taille. «Nous avons des PME qui nous disent vouloir une sorte de service juridique externalisé, une sorte de hot-line pour des questions day-to-day, des contrats ou autres. Ce sont des services que nous fournissons et développons», souligne Renaud Le Squeren.

Spécificité

Des opérations particulières pourraient d’ailleurs exiger l’implication des différentes parties, dans le cas par exemple de cessions d’entreprises, d’acquisitions d’immobilisations lourdes, de financement. «Après, nous bénéficions d’une valeur ajoutée immense en tant qu’avocats, à partir du moment où l’on plaide, parce qu’on comprend la manière dont les décisions vont être prises, les points importants et on s’éloigne de la théorie juridique», insiste-t-il.

Imaginons que vous vouliez vendre une entreprise, vous devez dans la plupart des cas obtenir un financement bancaire. Et les banquiers s’attendent à trouver une société «juridiquement propre», c’est-à-dire avec des contrats écrits, des garanties, bref, tout ce qui permet de savoir ce qui appartient à qui.

«Mais on a régulièrement aujourd’hui des sociétés difficiles à vendre parce que leur organisation interne est faite d’insérés d’accords oraux ou autres. Cela ne permet pas de sécuriser un financement pour un acquéreur, et cela quelle que soit la rentabilité de l’entreprise», déplore Renaud Le Squeren.

Judge-made law?

Une autre tendance demanderait enfin une attention toute singulière. De longue date, beaucoup de cabinets d’avocats anglo-saxons se sont implantés au Luxembourg, mais ces cinq dernières années, leur présence s’est encore accentuée. Et il y aurait un débat de fond âpre et lourd de conséquences en Europe, dont personne ne semble prêt à parler publiquement: le remplacement du droit civil par la common law.

Il y a un lobby énorme à la Commission européenne pour entrer dans des systèmes plus common law.

Renaud Le Squeren, partner chez DSM Avocats

«Il y a un lobby énorme à la Commission européenne pour entrer dans des systèmes plus common law, avec des propositions faites par le Royaume-Uni et ­l’Irlande­ pour essayer d’unifier un maximum», épingle le partner de DSM.

De nombreux modèles circulent ainsi sur la Place, dans le secteur de la finance en particulier, qui sont des copier-coller de ce qui se fait en common law, avec bien sûr les adaptations nécessaires au regard du droit luxembourgeois, non sans anicroche. 

«Cela fait des documents monumentaux. Des contrats de 80 à 150 pages aussi indigestes à la lecture qu’à la rédaction et qui comportent alors très souvent des contradictions. C’est très complexe à manipuler, s’inquiète Renaud Le Squeren, alors que le Code civil prévoit beaucoup d’hypothèses; pas besoin de réinventer la roue.»

Ce type d’évolution n’emprunte manifestement pas la bonne direction pour assurer une relation positive avec les clients et pourrait troubler davantage un marché juridique accusant parfois un manque de clarté.