«Touchez pas au grisbi». C’est un roman d’Albert Simonin, adapté au cinéma par Jacques Becker, en 1954, avec l’immense Jean Gabin. «Touche pas au grisbi», c’est une réplique célèbre dite avec la voix criarde de Francis Blanche, dans l’inénarrable «Les Tontons flingueurs», mis en texte par Michel Audiard, et en scène par Georges Lautner, en 1963.
À l’époque, la place financière luxembourgeoise était encore balbutiante. Aujourd’hui, elle pourrait facilement faire sienne cette réplique. Évidemment, le vocabulaire policé officiel est à cent lieues de l’argot franchouillard. Mais le grisbi, l’argent quoi, est plus que jamais le nerf de bien des guerres. Y compris les guerres médiatiques.
L’affaire chypriote et ses rebonds sur les banques, les épargnants (de toutes origines, russes comprises), la zone euro et toutes les places financières exotiques, a beaucoup fait parler du Luxembourg, dans les informations planétaires. Montré du doigt, comme on dit, pour sa dépendance à l’industrie financière, le Grand-Duché s’est retrouvé comparé, avec plus ou moins de bonheur, à l’île greco-turque.
Les contre-attaques ont été à la mesure du ciblage des flèches. Il est quand même rare de voir un vice-Premier ministre dégainer sur «l’hégémonie» du puissant voisin allemand, par exemple. Tout aussi rare de voir débouler un communiqué officiel du gouvernement luxembourgeois, manifestement expédié aux rédactions internationales (qui ont plutôt bien relayé l’information, de New York à Paris), dans lequel le pays défend sa Place, comme un rempart européen contrôlé contre les évasions massives vers des cieux plus opaques et moins continentaux. Comme pour rappeler aux distraits – à bon escient – que, non, le Luxembourg n’est pas une île…
Communication inédite
L’impact de cette défense, en règle, d’un mode de fonctionnement qui suit les règles, a été considérable, pour ne pas dire inédit. Un peu comme l’a été le mode de communication officiel. On notera au passage, et avec le sourire un peu contrit, l’intervention de la CSSF. Elle s’est fendue de son propre communiqué, qui est davantage resté à usage interne dans le paysage médiatique national. Et pour cause, il faisait trois lignes. Pour dire, en substance: «les autorités ont diffusé un communiqué, et chacun est invité à y être attentif, parce que c’est bien ce qu’elles disent»…
La morale de cette histoire n’est évidemment pas là. Les enseignements à tirer sont pluriels. D’abord, le Luxembourg n’a pas que des amis dans le petit monde de la diplomatie et de la finance: certains sont toujours prêts à sortir les boulets multicolores, dès qu’il s'agit de rappeler que le petit Grand-Duché a un système financier gênant. Ensuite, le Luxembourg est tout aussi prompt à monter au créneau de sa forteresse, pour la défendre et la justifier. Le troisième élément est sans doute plus neuf: quand le Luxembourg communique, il est davantage entendu, et surtout écouté. Serait-ce une voie vers la compréhension mutuelle?
Plus prosaïquement, en ces temps de crise, la devise est plus que jamais monétaire, et l’instantané qui fait l’image est plus que jamais argentique. Chacun se donne les moyens et veut se préserver. «Touche pas au grisbi»…