A la veille d'une tournée de promotion d'une semaine aux États-Unis, Thomas Seale, le président de l'ALFI, refuse de se reposer sur les lauriers du succès de l'industrie luxembourgeoise des fonds d'investissement.
Du 24 au 27 octobre, l'industrie luxembourgeoise des fonds d'investissement sera en tournée de promotion aux États-Unis, de la côte ouest (San Francisco) à la côte est (New York), en passant par Chicago et Boston. La délégation, dirigée par Thomas Seale, président de l'Association Luxembourgeoise des Fonds d'Investissement (ALFI) et composée de représentants des principaux cabinets d'avocats de la place, spécialisés dans ce secteur d'activités (Linklaters Loesch, Elvinger, Hoss & Prussen ou encore Arendt & Medernach) et de partners des Big Four (KPMG, Ernst&Young, PwC et Deloitte), sera accompagnée, tout au long de ce périple de quatre jours, par le ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden.
Au menu, sont prévues des rencontres avec les professionnels américains, des présentations techniques, sur UCITS III ou sur les produits innovants, mais aussi une intervention forcément plus politique de M. Frieden sur le thème "Luxembourg: your pro-business country in the EU".
Après le succès des missions similaires menées à Londres, cet été, et à Francfort et Toronto, début octobre, l'ALFI entend ainsi renforcer ses actions de promotion auprès des principaux opérateurs étrangers. Elle rappellera également que le Luxembourg, avec un patrimoine global de 1.337,57 milliards d'euros relevés fin juillet, est, plus que jamais, la première place européenne en la matière. "Je suis assez confiant dans l'idée que ces tournées de promotion deviennent quelque chose de régulier", explique Thomas Seale, qui aborde ce voyage outre-Atlantique avec un optimisme néanmoins teinté d'une prudence raisonnable.
Monsieur Seale, quel est l'esprit qui va animer la délégation luxembourgeoise à l'occasion de cette tournée aux États-Unis?
"Je citerai un seul chiffre pour poser le problème: les fonds d'investissement des promoteurs américains représentent environ 20% des fonds domiciliés au Luxembourg. De plus, les décideurs, eux, sont aux États-Unis. Il est donc logique et simple d'aller vers eux, chez eux, afin de présenter notre place et notre centre de compétences en matière de fonds d'investissement.
Pour ce voyage, nous aurons l'honneur de compter sur la présence de Luc Frieden, qui nous accompagnera tout au long de la semaine. Cela montre à quel point le gouvernement luxembourgeois prend cette démarche très au sérieux.
Quels seront, à vos yeux, les points forts de cette semaine de tournée?
"Le premier point nouveau par rapport à nos précédents voyages aux États-Unis est que nous ne nous contenterons pas d'aller à New York. Nous irons également à San Francisco, Chicago et Boston.
Nous tenons absolument à pénétrer au coeur du pays, afin de rencontrer un maximum de promoteurs et de sponsors de fonds américains.
Par ailleurs, dans chaque ville, nous allons demander à une société déjà implantée au Luxembourg d'intervenir pour expliquer les raisons de sa présence dans le pays. Nous pensons qu'il est toujours utile d'avoir un tel témoignage.
Le programme sera complété par une partie plus technique où seront discutées des problématiques liées aux produits européens, au passeport UCITS III, ainsi qu'aux produits alternatifs et innovants, aux Sicar et, de manière générale, à tous les fonds basés sur les instruments de titrisation et les produits immobiliers.
Évidemment, dans chaque ville, nous aurons des rencontres en tête à tête avec les patrons des sociétés américaines.
Ainsi, Luxembourg, deuxième place mondiale en matière de fonds, va chasser sur les terres du leader américain...
"Oui, mais cela ne constitue rien d'autre qu'une nécessité commerciale. Il faut bien voir que ces mêmes décideurs américains sont aussi sollicités par Dublin ou d'autres centres.
Il est donc important pour nous de rappeler que nous sommes effectivement le 2e centre mondial des fonds d'investissement. Mais nous allons même plus loin, car notre intervention, là-bas, est placée sous le titre "Luxembourg - your Hub for International Distribution'. Le message que nous voulons amener à nos collègues américains est simple: ils disposent certainement d'une distribution domestique très développée dans leur pays, mais il y a aussi le reste du monde. Et le meilleur endroit pour attaquer le reste du monde, et pas seulement l'Europe, c'est le Luxembourg. C"est là que l'on va y trouver les prestataires de services, les autorités de tutelle, un gouvernement et une infrastructure nécessaires à l'élaboration et à la réussite d'une stratégie de distribution internationale.
Avez-vous le sentiment d'arriver là-bas en position de force, compte tenu de votre position de leader européen'
"Peut-être, mais en même temps, je ne peux que constater que la croissance enregistrée par l'industrie des fonds à Dublin est supérieure à la nôtre.
Si, effectivement, il est acquis que le secteur est mondialement reconnu au Luxembourg, il faut néanmoins faire attention aux menaces permanentes qui pèsent sur lui. Je ne pense pas qu'il faut considérer la situation de manière statique, mais bel et bien dynamique, avec des évolutions tous les mois, tous les ans. Il faut, à chaque fois, voir où les choses sont susceptibles de bloquer, identifier les problèmes et apporter les solutions adéquates.
Qu'attendez-vous, au final, de cette tournée de promotion'
"Nous visons principalement deux cibles. La première, ce sont les promoteurs américains qui sont déjà au Luxembourg. Le message que nous faisons passer depuis plusieurs années est de faire en sorte de les conforter dans leurs choix et de les encourager à élargir leur présence et leur utilisation de ce domicile. Aujourd'hui, nous constatons que les grands groupes américains, à côté de leur activité domestique, lorgnent le Luxembourg pour toute leur activité internationale.
L'autre cible concerne ceux qui ne sont pas encore là. C"est, souvent, des acteurs plus petits, peut-être des fonds alternatifs, qui auront plutôt tendance à voir Dublin comme un premier pas dans une démarche internationale. Il faut donc aller vers eux pour mettre en évidence la qualité de la législation et de l'infrastructure luxembourgeoises. Là, ce sera plus difficile et c'est une des principales raisons pour lesquelles nous nous rendons sur place, puisqu'il nous est difficile d'atteindre cette partie du marché en restant au Luxembourg.
Il convient de prendre les dispositions adéquates pour que le Luxembourg reste le vainqueur non pas en 2005, mais en 2015.
La problématique de la taxe d'abonnement (l'ALFI a déposé, cet été, auprès du ministre du Trésor et du Budget, une réduction d'un point de base de la taxe d'abonnement touchant les fonds d'investissement, Ndlr) fait-elle partie des "problèmes" actuels que vous évoquez?
"Évidemment. Politiquement, je suis conscient de la difficulté de prendre une telle mesure. Mais il convient de prendre les dispositions adéquates pour que le Luxembourg reste le vainqueur non pas en 2005, mais en 2015! C"est là que se trouve l'enjeu et il faut que toutes les parties prenantes en aient conscience.
En politique, on pense souvent à court terme, alors que dans le cas présent, une vision long terme est indispensable. Et n'oublions pas que dans six mois, il y aura peut-être d'autres points cruciaux à examiner. Il ne faut pas imaginer qu'il suffit de prendre une décision pour que tous les problèmes soient réglés. Il faut toujours avoir à l'esprit ce côté dynamique.
Quelles sont, à vos yeux, les principales menaces concurrentielles pour la place luxembourgeoise?
"Je reste très prudent en la matière. Parfois les menaces viennent des choses qui, aujourd'hui, ne sont pas visibles ou sont méconnues.
Les fonds domestiques des autres pays, je pense en particulier à la France ou l'Allemagne, peuvent aussi utiliser les possibilités de UCITS III pour distribuer les fonds plus facilement en Europe. Notre position est de dire que Luxembourg constitue le centre européen de distribution idéal, mais d'autres places peuvent aussi jouer ce rôle. Ce n'est peut-être pas forcément le cas aujourd'hui, mais cela peut venir vite. On parle évidemment de la concurrence de Dublin, mais je ne minimise pas le risque d'autres centres comme Francfort ou Paris.
Ceci étant dit, je crois néanmoins que la réussite du Luxembourg est entre nos mains. La bonne nouvelle est que le pays ne devrait certainement pas perdre la guerre concurrentielle qui est en cours. La mauvaise nouvelle, c'est que cette guerre risque de durer longtemps...
Les enjeux ne se situent-ils pas aussi, à terme, sur le plan des compétences, de plus en plus difficiles à trouver?
"Il est en effet extrêmement important que le secteur soit alimenté avec de la main-d'oeuvre qualifiée. Au niveau "junior", on n'est pas trop mal servis. En revanche, il est plus difficile d'attirer des experts dans le pays.
La question est donc encore et toujours de réfléchir à la façon de rendre notre place plus attrayante pour ces experts. On entre alors dans des problèmes de visas ou d'éducation pour les enfants. J"espère que le gouvernement se rend compte de l'importance de ce défi, mais j'estime qu'il est également important que la population résidente luxembourgeoise comprenne mieux le secteur et soit consciente qu'il est possible d'y faire carrière.
Dans ce domaine-là, nous avons de grosses lacunes et nous comptons faire appel à l'Éducation Nationale pour mettre en place une structure d'enseignement sur ce qu'est le secteur des fonds d'investissement.
Nous avons le sentiment que les grandes positions luxembourgeoises sont partagées par d'autres pays et, de plus en plus, par la commission européenne.
Vous évoquiez le chantier de la mise en conformité avec les règles UCITS III. Où en est-on au Luxembourg?
"Au sein de l'ALFI, nous avons l'impression que tout suit son cours. Nous avons pris, en amont, les mesures pour que notre industrie soit prête et c'est maintenant aux acteurs à jouer... Je n'ai pas eu d'écho évoquant des problèmes particuliers, mais je préfère rester prudent...
Nous avons tout de même commencé à travailler dès le début 2005 afin de nous assurer d'un maximum de clarté vis-à-vis des nouvelles exigences légales. Nous avons également mis au point, avec la CSSF, un processus simplifié dit "fast track", permettant aux OPCVM d'adapter leurs documents constitutifs et prospectus sans procéder à des modifications significatives de leur politique d'investissement.
Je pense que dans l'ensemble, le message est bien passé, même s"il est vrai que les délais sont très courts. N"oublions pas que fin septembre, tous les fonds luxembourgeois devaient disposer d'un prospectus simplifié...
Et où en est l'ALFI dans la réalisation de ses objectifs, tels que vous les aviez présentés lors de votre réélection, en juin dernier (lire paperJam juillet-août 2005, page 82)?
"Nous avons avancé dans nos efforts de lobbying au niveau européen, notamment auprès de la commission à Bruxelles. Nous nous sommes fixé l'objectif d'être beaucoup plus orientés vers l'Europe et je dois dire que depuis cette année, nous avons pris de bonnes longueurs d'avance dans ce dossier.
Le Livre Vert sur l'amélioration du cadre régissant les fonds d'investissement dans l'UE a été publié le 14 juillet dernier et dès le 20 juillet, nous invitions à Luxembourg Niall Bohan, un des principaux auteurs du texte, qui a présenté le document à l'ensemble de notre industrie et notre association.
Nous avons également eu l'occasion de faire passer quelques messages auprès de Charlie McCreevy, le commissaire chargé du marché intérieur et des services, lors de sa venue en septembre pour notre conférence annuelle ALFI/NICSA.
Aujourd'hui, nous avons le sentiment que les grandes positions luxembourgeoises sont partagées par d'autres pays et, de plus en plus, par la commission européenne. Notre volonté est de corriger les problèmes UCITS III à court terme et travailler sur le texte de directive tel qu'il est, plutôt que de faire un big bang avec une nouvelle directive UCITS IV dans 5 ans. Nous pensons qu'il est préférable de concentrer nos efforts afin de faire fonctionner la directive comme elle est écrite aujourd'hui.
L'un des principaux chantiers concerne les entraves à la distribution transfrontalière, mais le message semble de mieux en mieux passer à Bruxelles".