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Le secteur est presque historique pour le Grand-Duché, entre une CLT-UFA devenue RTL Group et une SES devenue globale. La production cinématographique, se développe également, elle s'exporte aussi. Témoin' Tarantula, "réseau européen de maisons de production' dont l'une des entités est à Luxembourg, s'affiche au Festival de Cannes avec son premier long métrage intitulé "Une part du Ciel'.

Ce premier film d'une jeune réalisatrice, Bénédicte Liénard, a été coproduit par deux des sociétés du réseau Tarantula, Tarantula Luxembourg et Tarantula Belgique - alliées à un troisième producteur JBA (F) - qui sont ainsi propulsées d'un seul coup sur la scène du Festival le plus célèbre du monde. Rencontre et interview avec Eddy Géradon-Luyckx et Donato Rotunno, les fondateurs de ce réseau, et producteurs heureux! 

Tarantula, c'est quoi?

Donato Rotunno: Tarantula, c'est un réseau de maisons de production à Londres, Luxembourg, Liège et Paris, qui fonctionnent collectivement mais de manière autonome. Nous produisons du court et du long métrage et nous faisons aussi du documentaire. Nous existons à Luxembourg depuis 7 ans. Au niveau européen, c'est un concept initié il y a plusieurs années. Nous avons rencontré des personnes de référence dans d'autres pays, Belgique, France, Angleterre, pour créer ce réseau de maisons de productions indépendantes liées par un même concept, une même image et une même stratégie.
Eddy et moi en sommes les fondateurs et les figures de proue de Tarantula à Luxembourg, dans la production et la réalisation. 

Eddy Géradon-Luyckx: En termes de structure, ici nous sommes quatre personnes à temps plein. Mais dans le domaine de l'emploi notre secteur est très variable. En fonction des tournages on peut être petit un jour et très gros le lendemain. On peut faire des films avec deux personnes, ou avec 150.

Pourquoi le réseau européen? Pourquoi ne pas concentrer ses forces sur un pays?

E. G.-L.: La production en Europe est essentiellement financée par les télévisions nationales, publiques ou privées, et par des fonds généralement attachés à la culture. Les télévisions tant publiques que privées ont des obligations, des cahiers des charges signés avec les états. Quel que soit donc l'interlocuteur, nous sommes face à des financements de type nationaux. C'est un élément important! Nous n'avions pas d'argent, mais une idée principale: il faut être implanté au niveau local pour se développer au niveau global' Nous n'avons pas choisi de développer une structure, de la faire grandir, pour ensuite nouer des alliances avec d'autres structures du même type. Nous avons décidé de nous développer un peu partout en Europe en même temps. Le choix de construire un réseau est très simple en termes de construction mentale, mais c'est assez compliqué en terme de montage.

D. R. Aujourd'hui le modèle arrive à maturité. On a mis longtemps à trouver les bonnes personnes. Il est clair que Paris, créée en 1999, a eu l'avantage d'avoir une base qui existe déjà ailleurs, de bénéficier d'une renommée. Son chemin a été un peu plus simple, évidemment. Aujourd'hui, les liens privilégiés que nous avons entre nous nous permettent d'avancer beaucoup plus vite. Nous sommes très vite d'accord sur la stratégie, la politique que l'on veut développer, sur les choix des films qu'on va faire, le financement, les budgets que l'on aborde ou pas. Tout va plus vite que si on devait trouver des partenaires avec lesquels on n'a pas cette relation. Notre capital, c'est le facteur humain, les connaissances et les complémentarités entre ces individus là, qui ont choisi de vivre de cette aventure.

La dimension financière compte également beaucoup, dans la production de films?

E. G.-L.: D'une certaine manière, puisque notre secteur fait appel à un financement de type 'culturel', nous avons immédiatement décidé d'investir dans la culture de notre entreprise. Et non pas de créer une entreprise qui fabrique des films sans savoir qui elle est. On est avant de paraître.

D. R.: On affirme même qui on est. Si certains venaient à demander "mais pour qui se prennent-ils'", on répondrait que nous nous prenons pour ce que nous sommes. On a commencé à zéro et on assume notre image symbolisée par notre logo, notre nom, notre vision des choses, notre réseau, notre partenariat individuel. On l'assume pleinement. Et à partir de là on fait des films.

E. G.-L..: Au fur et à mesure de la croissance, on a eu régulièrement des étapes où l'on a dû trouver des financements pour les différentes sociétés. Nous arrivons aujourd'hui à un tournant, notre prochain objectif est de financer le réseau dans son ensemble pour qu'il puisse continuer à se développer.

Qui dit travailler en réseau dit travailler avec de nombreuses personnes, donc passer beaucoup de temps et d'énergie à construire une vision commune?

E. G.-L.: Effectivement, mais ce n'est pas un gaspillage d'énergie. La culture de Tarantula, c'est aussi cette communication permanente entre nous, la mise en commun des énergies. Je pense que l'on a un esprit collectif,  partagé par des individus. On a une démarche collective en terme d'image et de fonctionnement par rapport à l'extérieur. Certaines personnes qui appellent ici à Luxembourg, vont appeler Donato ou moi, en espérant je ne sais quelle différence de réaction. Mais en fait quand ils parlent à l'un de nous deux, ils parlent aux deux en même temps. Physiquement et mentalement, on est différents. Mais il y a une complémentarité. Le collectif est donc là.

D. R.: Cela ressemble plus à de la théorie qu'à de la pratique. Pourtant, on le vit quotidiennement, et pas à deux, mais à huit. Cela ressemble à un concept politique, ça semble bien de le dire, mais je le répète, c'est comme ça. Parler à l'un d'entre nous, c'est parler à l'ensemble. Bien sûr à l'intérieur, il nous faut en permanence reprendre la température. C'est notre vie, c'est un choix de vie: les 14 heures ou plus que l'on passe à travailler, on les passe aussi à vivre, donc autant les vivre bien. Le piège, c'est de se dire qu'une fois que le concept existe, ça fonctionne tout seul. Mais non, c'est comme un calcul à l'infini. Il y a toujours un chiffre derrière. Il y a toujours quelque chose qui se rajoute.

E. G.-L.: Plus qu'une formule, je dirais que c'est un modèle qui se construit. Dans notre secteur d'activité, il n'y a pas de recette magique. S'il y en avait dans le cinéma, on le saurait? Tout bouge continuellement. On peut être prêt, à deux jours d'un tournage, et puis tout à coup il y a un fusible qui saute, un financement qui n'arrive pas. C'est un milieu, qui, même s'il y a des avocats, des contrats, fonctionne beaucoup sur les relations entre les gens, avec la confiance et aussi les rapports de force que l'on peut avoir. C'est quelque chose que l'on a intégré dans la manière de créer notre propre structure.

D. R.: Le facteur humain joue énormément. Ça va de l'acteur jusqu'au producteur, et tout le reste de la chaîne. On ne fonctionne pas que dans un rapport contractuel, également par une poignée de mains. Cette poignée de mains, c'est toi qui la donne, tu la sers, tu la sens. Chaque film a sa propre énergie, c'est à chaque fois une aventure différente. Et donc chaque fois, comme un cuistot, tu as les éléments, les ingrédients, mais à chaque fois tu recommences ta recette.

Pour revenir sur le réseau, comment s'assurer de sa solidité?

D. R.: Le réseau a une image forte, sa solidité est construite d'abord dessus. Nous avons voulu apparaître pleinement, d'une façon affirmée, avec le même nom et le même logo, dans les quatre pays. C'est une volonté de se renforcer visuellement et médiatiquement par rapport aux autres. Il y a une charte de fonctionnement entre nous, vis-à-vis de l'image que l'on veut dégager. Sur les affiches, les génériques, la promotion'

E. G.-L.: Si on regarde nos films, je ne pense pas que l'on ait un label qui permette de reconnaître automatiquement les films produits pas Tarantula. Ce n'est pas notre volonté. Nous proposons des films ? encore un mot que l'on n'aime pas dans le business ? d'auteurs. C'est-à-dire qui ont une réflexion sur le monde dans lequel on vit et qui sont issus de ce monde-là. Avec une volonté d'échange entre le réalisateur et Tarantula. C'est cela notre marque de fabrique.

D. R.: Quand ça ne fonctionne pas comme ça, ça ne fonctionne pas du tout! Chaque société est indépendante pour ses choix propres. On est conscient que l'activité parisienne est très différente de la luxembourgeoise, de la londonienne. Chaque société a une zone d'indépendance. Si au départ c'est le capital affectif qui nous lie, il y a aussi un lien capitalistique entre les sociétés, une structure financière C'est elle que nous voulons renforceraujourd'hui, et avec elle, l'ensemble du réseau.

Mais si, en dépit des efforts, des désaccords persistent au sein du réseau, comment les régler?

E. G.-L.: Nous avons un fonctionnement de clan. Il est difficile d'y entrer, difficile d'en sortir. Aucune des sociétés n'a de personne fortunée dans son capital, donc toutes se sont battues, et se battent tous les jours pour arriver à vivre, à faire fonctionner les sociétés. Normalement, dans le milieu de l'audiovisuel, si on n'a pas d'argent, on ne peut pas faire grand-chose. Mais chez Tarantula nous avons tous capitalisé sur notre travail. Voilà! La plus-value, c'est nous. Je pense que parmi les gens qui font actuellement partie de Tarantula, aucun n'a envie d'en partir, parce que Tarantula et son fonctionnement, c'est leur vie !
Je vais revenir un peu sur l'histoire du réseau. Il se fait que les sociétés, si elles sont toutes parties de zéro, ne sont pas parties toutes en même temps. Elles se sont développées les unes après les autres. On n'a pas débarqué à Paris en disant "Tiens, voilà, on veut faire un Tarantula France!" On n'a pas fait de casting. Ce sont des rencontres, des demandes? Le développement s'est également fait avec les nécessités de chaque société et surtout avec les énergies de chacun d'entre nous.
Maintenant avec le développement que nous imaginons, on peut se poser la question de l'avenir. Ce qui nous occupe, c'est le réseau qui existe aujourd'hui, son développement et la nécessaire restructuration des sociétés qui le compose. Mais cela se fera dans un esprit qui nous est propre et cela, j'en suis convaincu, va resserrer les liens et augmenter le contrôle sur les sociétés

D. R.: Le contrôle doit exister. Il y a des moyens de contrôle qui passent par le logo, par l'image Tarantula, que nous maîtrisons et que nous gardons? Le contrôle est attaché à des individus, aux quatre fondateurs du réseau. Ces quatre personnes maîtrisent et contrôlent l'image du réseau. Demain, si Paris veut faire du porno, qu'il le fasse, mais pas sous le logo et la dénomination Tarantula. On peut maîtriser cela. Mais au-delà de ça, on ne peut pas prendre le risque, après autant d'années de développement et d'expansion, de rester fragile à cause d'une structure relativement complexe. Notre recherche de financement pour restructurer le réseau va dans ce sens.

Vous êtes une maison de production. Quel est votre rôle dans la création d'un film?

E. G.-L.: Il y a deux rôles. D'abord celui tel qu'on le voit habituellement: le producteur, et il y en a souvent plus d'un, réunit l'argent, il est le maître d'oeuvre du projet. Ensuite, il y a celui de gardien du projet. Pour nous, ce rôle consiste essentiellement à être les garants des idées du réalisateur. A la fois vis-à-vis des partenaires extérieurs mais aussi vis à vis du réalisateur lui-même.

D. R.: À la première lecture, la première rencontre, au moment où l'on décide de s'engager sur un projet avec un réalisateur, que l'on est d'accord sur le film qu'on veut faire, à partir de ce moment-là, il faut garder le projet en tête. Il évolue, il prend des couleurs, des goûts et des odeurs, mais il faut garder cette idée première. Le chemin est tellement long, rempli d'embûches, de problèmes financiers et structurels, émotifs, sentimentaux et autres, que l'on se perd facilement dans ces méandres.
Donc, au bout d'un moment, il faut revenir à quelque chose. Le quelque chose, c'est la première rencontre, le moment magique où l'on décide que ça vaut la peine de le faire. Et ce 'ça' là, c'est notre référence. C'est le producteur qui a la distance nécessaire. Le réalisateur est souvent happé par son propre projet. Nous faisons des projets où il y a de la place pour un tel rôle. Ce sont des choix artistiques de garantie de qualité: chaque projet dure près de deux ans. Humainement et financièrement, ça doit valoir la peine! C'est beaucoup d'énergie à investir.

E. G.-L.: Cette approche est, je pense, une particularité de Tarantula. On essaie d'allier le producteur maître d'oeuvre, comme si l'on était une entreprise générale de bâtiment, et la vision artistique du projet. Nous sommes, dans le réseau, huit producteurs, qui aimons de nombreux cinémas. Donc quelque part, on se sent un état d'esprit assez ouvert par rapport aux réalisateurs. Le réalisateur, on veut pouvoir discuter avec lui de son scénario, et du casting. Pas pour dire 'Il faut prendre Catherine Deneuve, ça va nous rapporter tant de millions', mais pour dire: 'Tiens, ce personnage-là n'est peut-être pas le bon pour ton film!'

D. R.: Je crois qu'aujourd'hui on utilise à tort et à travers des termes comme globalisation ou mondialisation, uniformisation' L'audiovisuel a beau avoir des entreprises énormes, structurées à un niveau mondial, ce sont les individus qui font la marque de ces sociétés et des films produits. Ce qui ressort à la fin, ce sont ceux qui sont derrière les projets. À la fin de l'histoire, un jour, il nous restera ça : l'aventure commune d'hommes et de femmes. Et nous considérons que c'est cela qui compte.

Le cinéma, est-ce un art ou une industrie?

D. R.: Il n'y a pas de honte à dire que c'est de l'industrie. Certains producteurs ont peur du mot argent. Mais pour faire des films il faut aussi de l'argent, pas uniquement, mais il en faut ! Nous essayons de comprendre les différents systèmes de fonctionnement et de financement en Europe, car entre l'Autriche, la Belgique, la France et le Luxembourg, et sans parler des fonds régionaux en Allemagne, je peux garantir que c'est d'une grande complexité, et on pourrait même dire que c'est tout un art. Et nous, notre métier c'est aussi ça : allier l'art et l'industrie, marier la culture et la rentabilité. Notre force est aussi là. Nous ne voulons rejeter aucun des aspects.

E. G.-L.: Chez Tarantula, le plus jeune des producteurs a 25 ans, et le plus vieux en a 45. Donc c'est un mélange de deux générations. Nous avons une vision globale de la profession. Pour ma part, je viens de la création pure, où l'on fait du cinéma pour le cinéma, de l'art pour l'art. J'ai fait un détour par la production de commande et la pub. Nous sommes plusieurs chez Tarantula à avoir des parcours atypiques. C'est notre culture. Nous essayons d'avoir une réflexion aussi globale que possible sur le milieu.
Il n'empêche que le cinéma, c'est de l'émotion avant tout. Ce sont des gens qui vont payer huit Euro pour aller vivre des émotions. Mais le cinéma c'est également un complexe, avec des briques, avec des projecteurs, de la pellicule, des matériaux et des moyens financiers qu'il faut mettre en oeuvre. Ces éléments ne se rejettent pas, ils doivent être compris tous les deux. Les frères Lumière étaient des industriels. Et avec la machine qu'ils ont inventée et fabriquée , ils ont créé de l'émotion.

D. R.: Les premiers films au monde ont essayé de capturer de l'émotion. Avec une machine. Oublier cela, c'est perdre quelque chose. Là où l'on s'efforce d'avoir un discours politique, c'est de dire qu'Hollywood, un certain style de cinéma avec des recettes toutes prêtes, peut exister. Je n'y vois aucun problème. Mais que l'on me dise que c'est la seule référence, là j'ai un problème. Tant qu'il y a de la place pour des cinémas, je peux vivre dans ce monde.. On ne peut pas rayer des gens de la carte parce qu'ils sont en minorité. Tant qu'on trouvera des gens qui suivront ce discours-là, qui comprendront qu'on allie l'industrie et l'émotion, que l'on est des artisans de notre temps, tant que ce discours a encore sa place, on existera.

E. G.-L.: Il est vrai que pour certaines personnes du domaine culturel, cela pose des problèmes de parler d'argent. D'ailleurs, même dans le milieu de la finance, parfois, cela pose problème de parler d'argent. Nous, non! L'argent, pour faire du cinéma, c'est un outil. Mais ce n'est pas le seul. Ce n'est pas parce que l'on a beaucoup d'argent qu'on va faire de bons films, ou des films qui rapportent. C'est un milieu de l'exception. Chaque film est différent, en ce sens il est exceptionnel. On n'a de problèmes ni avec l'argent, ni avec l'artistique. On fait les deux, et on le fait depuis le début.

Comment choisissez-vous les films que vous produisez?

E. G.-L.: Nous ne faisons pas de films dans lesquels on n'a rien à dire, à exprimer. Il nous arrive tous les jours des projets qui recherchent des producteurs, des gens pour mettre de l'argent. Ça ne nous intéresse pas, parce que nous n'y avons pas de place. Ça peut venir des USA comme de France. La recette, c'est un MacDo. C'est fait comme ça, tu dois le manger comme ça. Nous ne sommes pas un four à micro-ondes pour réchauffer du prédigéré.

D.R.: Quand on voit des sujets qui ne nous parlent pas, on dit clairement qu'il y a d'autres producteurs à Luxembourg qui font ça très bien. Et il n'y a aucun jugement porté! Nous n'avons pas de difficulté à dire que sur certains projets il faut plutôt aller voir Carousel ou Delux. Il n'y a pas de jugement, on est bien dans notre peau. On ne mange le pain de personne.

Privilégiez-vous les émotions, les personnes?

E. G.-L.: Tout est possible. On a un projet qui s'appelle "Calvaire"'. Il se trouve que c'est le premier long métrage du réalisateur. On a un très bon contact avec l'autre producteur du film, on connaît le chef-op, sur lequel on veut investir depuis longtemps. Voilà, ça suffit, on fait le film. On a également des contacts avec un réalisateur que nous n'avons jamais vu, mais via notre bureau à Paris, on a reçu un scénario intéressant. Il y a des choses qui viennent également par les producteurs? En général, on ne fait rien sans avoir lu le scénario.

D. R.: Il n'y a pas un scénario qui passe par ici sans que l'on se mette dedans. Au moment où l'on décide de rentrer dans le projet, il faut qu'on y ait une place naturelle, dans l'écriture, le casting, le rapport avec le réalisateur, la production, le choix des comédiens, des comédiennes? On vit le film. On est très réfléchis, mais on peut nous séduire facilement. On le vit pleinement. Il faut savoir également dans quelle cour on joue. Nous faisons des films qui vont de 1,5 millions à 3,5 millions d'Euro. Pas plus aujourd'hui.

Pas plus aujourd'hui, mais plus demain?

E. G.-L.: La stratégie, c'est un art militaire. Il faut progresser, on ne peut pas attaquer sur tous les fronts en même temps.

D. R.: Certaines bases doivent être solides. Tu mets trois ans pour exister en tant que société de production. Exister veut dire quoi? Etre reconnu, avoir fait les preuves de financement, et continuer à exister physiquement   Je crois que dès le départ, on ne faisait pas de différences entre le court-métrage et le long-métrage. La réflexion, le travail, le mode de pensée, la stratégie de financement, ce n'est pas la même chose, mais c'est équivalent.. Cette année, ce sont quand même deux réalisateurs de deux maisons de production de Tarantula, qui se retrouvent à Cannes pour "Producers On the Move". Ce n'est pas tombé du ciel. C'est le fruit de ce que nous avons semé.

E. G.-L.: Dans n'importe quel business, il faut compter cinq ans pour voir si une société est viable. Cinq ans si elle est capitalisée correctement. Or nous sommes partis avec presque zéro franc. Nous sommes toujours en phase de consolidation, et l'on existe depuis sept ans. Au Luxembourg, nos chiffres de production ont augmenté de 150, 190 et 250% sur les trois dernières années. On progresse. Mais il n'empêche que les sociétés de notre type sont pour le moment toujours fragiles; c'est récurrent dans le milieu du cinéma. Notre problème actuel, c'est de réussir à nous structurer financièrement pour pouvoir continuer à avoir cette progression.. Il faut nous consolider. Aujourd'hui on ne peut pas faire de projets qui nous mettent en danger.

D. R.: C'est une volonté, pas un problème. On en est conscient: on joue avec les outils qu'on a.

E. G.-L.: À une certaine époque on faisait des court-métrages, pour en faire un puis deux puis trois? Aujourd'hui, on n'en a plus besoin. Si l'on rencontre un jeune réalisateur, alors il faut passer par là pour avoir des premiers échanges avec lui. On ne fera pas non plus un long-métrage de 10 millions de dollars, parce que stratégiquement ce n'est pas l'heure. On n'en a pas les moyens.
Une petite anecdote à propos du film "Shadow of the vampire", produit par Delux. Le producteur américain c'est Saturn, l'entreprise de Nicolas Cage, qui a envoyé le scénario à toutes les boîtes de production à Luxembourg, puisqu'ils cherchaient un complément de financement à travers des tax incentives. Nous avons, par hasard, été les premiers à le recevoir. On a appelé directement le producteur à Los Angeles pour lui dire que nous étions trop petits et que c'était trop grand pour nous. C'était il y a quatre ans.
Le film a été fait chez Delux, il est bien fait, voilà. Or la tentation est grande. Tu as Nicolas Cage, une vedette internationale, tu te dis "on va aller à Hollywood'? Et alors quoi? On se serait retrouvé avec des comptables de la Warner, ou de je ne sais où?, et nous à l'époque avec notre petit bureau et notre secrétaire à mi-temps. Ce n'est pas raisonnable! Ce n'est même pas sensé?

Quelle est l'ambition alors?

D. R.: Aujourd'hui, nous avons au moins quatre long-métrages, en coproduction, selon les projets, entre l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et l'Autriche. Ce sont des résultats d'investissements et de contacts, d'il y a deux ans. Et puis on a pour l'instant quatre projets qui sont encore dans une phase de développement, d'exploration, Mais notre ambition est de faire plus que simplement un film, puis un autre film. Notre développement est plus large que ça. Nous visons à devenir avec le réseau un véritable producteur indépendant de niveau international avec les moyens de sa politique.

Les longs métrages prennent le dessus dans l'activité de Tarantula?

E. G.-L.: Non. On a pour le moment trois documentaires en production. Les trois sont coproduits par Tarantula Belgique, le premier avec un producteur français, qui vient de gagner l'Oscar du meilleur documentaire, un autre avec un autre producteur français, le troisième en développement avec Tarantula France.

D. R.: Le documentaire continuera à jouer un rôle. D'abord c'est quelque chose qu'on adore. Ce sont des visions de la société, des aventures parfois plus compliquées que celles des long-métrages. On tourne en Algérie, au Congo, en Italie, Belgique, Luxembourg? Ce n'est pas une sous-catégorie.

E. G.-L.: On continue à faire du court-métrage, mais de manière plus précise, vraiment avec une volonté d'aller plus loin avec les réalisateurs avec qui l'on travaille. Et l'on développe également la production télé. L'étape à laquelle on va arriver, c'est de pouvoir avoir deux long-métrages par an sur chacune des sociétés, à différents niveaux de coproduction' Dans le réseau, mais aussi à l'extérieur.

D. R.: Il y a toujours une porte ouverte vers l'extérieur du réseau, on ne veut pas vivre en vase clos. C'est très important. Nombre de nos projets se font bien évidemment avec des partenaires qui ne font pas partie du réseau de Tarantula.

Et Cannes dans tout ça?

E. G.-L.: Nous sommes à Cannes avec "Une part du Ciel'. L'exposition à Cannes faisait partie de la réflexion stratégique autour du film quand on l'a commencé

D. R.: C'est une démarche où l'on a trouvé le bon dosage dans la structure du film. Le film est coproduit par Tarantula Luxembourg, Tarantula Belgique, et un partenaire français qui ne fait pas partie du réseau. Nous, on a apporté un scénario fort, une réalisatrice volontaire, et bien entendu une partie importante du financement. Et nous avons profité de l'expérience de notre partenaire (JBA productions).
Ce n'est pas son premier long-métrage, il a une véritable connaissance du marché français et ses entrées à Cannes. On a profité de ça. C'est une réflexion qu'on a menée dès le départ. Tout s'est heureusement bien passé, nous avons eu de la chance mais nous l'avons aidée, c'est le fruit d'une stratégie de production.

E G.-L.: Le coup de pouce, c'est le fait d'être dans l'air du temps et de profiter de cet événement. Il faut être réceptif à ce qui se passe autour de soi.

D. R.: Paradoxalement, Cannes, c'est déjà derrière nous. C'est déjà acquis. C'est souvent comme ça dans le cinéma? On est toujours en avance sur les événements. Quand on a fini le film, on l'a fini bien avant que le spectateur ne le voie. Tu sais que tu vas aller au Festival bien avant que le Festival n'ait lieu. Quand tu gagnes un prix, tu le sais avant qu'on te le remette. On est toujours un coup en avance. On est content entre nous. On est content ici, dans la voiture, au téléphone? au moment où tu reçois le fax, au moment où tu te dis "Nom de Dieu, c'est quand même génial!" Et puis la chose arrive. Nous, on l'a déjà digérée. On l'a déjà vécue. Cannes, ça fait déjà quatre mois qu'on le sait, qu'on est déjà dedans. Et l'on pense déjà à l'après-Cannes. Cette année, c'est tout le clan Tarantula qui sera au Festival. Mais au fond, on pense déjà à 2003.

Le festival, c'est un coup d'accélérateur ou un danger?

E. G.-L.: Cannes, c'est un des plus gros marchés audiovisuels au monde. Médiatiquement parlant, c'est le plus gros événement mondial pour le cinéma.

D. R.: Il ne faut pas croire que nous serons partout à Cannes. Cannes, c'est le festival, la compétition et les autres sélections officielles, c'est aussi le marché Nous, on va se retrouver dans un créneau, dans la section "Un certain regard' de la sélection officielle. Pas tout le monde s'intéresse à ça. On va jouer dans une cour.  Et c'est dans celle-là qu'on va se montrer, exister, chercher des partenaires potentiels, être approchés, être détestés, être enviés, se faire des ennemis? qui sait ?

E. G.-L.: C'est un certain type de cinéma que l'on montre. Il est difficile d'approche, ce n'est pas un cinéma facile ou racoleur. Il faut le porter, il a fallu convaincre que ce film avait besoin d'argent pour être fabriqué. Nous l'avons amené à Cannes, il faut maintenant le défendre, il faut convaincre qu'il doit être vu. Comme dit Donato, c'est l'après-Cannes qui est intéressant parce que l'on est exposé en tant que jeune maison de production dont c'est le premier film, le premier long-métrage. Tout le monde s'accorde à dire qu'il est bien financé, qu'il est correctement produit. Du point de vue production, c'est 100% de réussite. Maintenant il y a l'exposition. Nous devons profiter du fait que ce film est issu de la réflexion de Tarantula, de son travail. C'est donc un gros investissement en termes d'énergie et de finances.

Vous allez, avec le Fonspa, représenter le "cinéma luxembourgeois". Il existe, le cinéma luxembourgeois?

E. G.-L.: Je crois que c'est une démarche essentiellement intellectuelle de se demander quelle est la nationalité d'un film. Voyez le nombre de films français qui ne sont pas français! David Lynch, ce n'est pas du cinéma américain. "No man's Land', présenté comme étant un film français, a été filmé par un Bosniaque, qui a fait ses études en Belgique, et a été coproduit par une productrice belge, avec des financements allemands! Mais un des coproducteurs est français, alors c'est un film français !? Pourquoi ne ferions-nous pas de même ? pourquoi ne pas dire qu'un film est luxembourgeois quand il est produit par un producteur luxembourgeois ?.

Existe-t-il une 'communauté' des professionnels du cinéma au Luxembourg?

D. R.: Il y a des affinités individuelles, un respect et une entraide. Une communication doit se faire entre nous puisque l'on fait partie du même secteur d'activité. Si l'on était commerçants, ça serait pareil.

E. G.-L.: Même au Luxembourg, on est issu de milieux différents. Donato, qui est né à Luxembourg, est un 'immigré'. Moi, je suis belge, je suis installé ici depuis que Tarantula est au Luxembourg. Personnellement, j'ai des rapports avec les gens de chez Samsa. On se passe des coups de téléphone quand on a des problèmes. On s'échange des conseils ou des infos. C'est comme chez les garagistes ? Certains prêtent leurs outils, d'autres non.

D. R.: Le fait qu'aujourd'hui tu retrouves 29 sociétés liées à la production au Luxembourg, ça ne reflète pas la réalité des choses. Si je pars de l'ULPA (Union Luxembourgeoise des Producteurs Audiovisuels) la réalité, c'est six ou sept sociétés de production qui fonctionnent et qui produisent vraiment. Le reste, je ne sais pas. La réalité, c'est Carousel et Delux comme grosses structures, avec leurs studios, équipes, et leur volume de production; Samsa comme première véritable maison de production, avec derrière elle déjà 15 ans d'histoire et de stratégie; Iris qui travaille beaucoup avec Andy Bausch? et puis Tarantula. Et puis d'autre part il y a les sociétés qui produisent de l'animation. Il y a un respect sur la manière de monter un projet pour bien faire son métier. Je crois qu'il y a respect et partage. On n'est pas en concurrence.

Vous avez encore le temps d'aller au cinéma?

D. R.: On regarde plus le petit écran que le grand écran hélas! On voit les films en cassette, avant qu'ils ne sortent, on les voit pour des raisons professionnelles, on cherche des comédiens? On ne voit plus le cinéma comme un spectateur de base, c'est une démarche professionnelle. Le seul moment 'amateur', c'est quand c'est ma compagne me dit "On va au cinéma, c'est moi qui choisis!" Donc je me retrouve dans des salles à voir un film sans avoir rien à dire, et je me dis que finalement, tiens, c'est bien! Pour le reste, c'est toujours en fonction des contacts éventuels?

E. G.-L.: Il y a certains films qu'on est 'obligé' d'aller voir. Je suis allé voir "Mission Cléopatre". Professionnellement. Habituellement, on se partage les corvées, parce que ce n'est pas ce cinéma là qui nous attire.

D. R.: Souvent, on se dit "j'ai été le voir, je l'ai vu pour toi, c'est pas la peine d'y aller". Ou au contraire: Il faut que tu ailles le voir!".

E. G.-L.: C'est vrai qu'entre la production, la lecture des scénarios, la gestion des sociétés? il n'y a pas beaucoup de temps pour aller au cinéma. Pour moi, cela reste une passion de spectateur? C'est un élément très important. Les choix qu'on fait sont aussi guidés par des émotions que l'on a eues en allant au cinéma.

D. R.: Il y a des films qui ont frappé des générations entières, des gens qui, après ont changé le monde, qui le changent en permanence. En faisant carrière, en faisant de la politique ou pas. On ne peut pas ignorer cet élément-là. Voir tout d'une façon uniquement mathématique, c'est ignorer la vie. C'est ignorer les émotions, cet effet de levier que peut avoir une image, une émotion, un souvenir.

Vous ne regrettez pas de vous être lancés dans cette aventure?

E. G.-L.: Je prendrais un exemple qui n'a rien à voir avec le cinéma, c'est le phénomène des nouvelles technologies Qu'est-ce qui a aidé à gonfler la bulle Internet? Qu'est-ce qui a guidé les gens à quitter leur entreprise pour créer leur société? Des gens proches de nous, à des postes importants, à responsabilité, très haut placés, ont quitté des salaires confortables pour se lancer dans une aventure ! Pourquoi ? sinon pour l'émotion, sinon pour les rêves que cela procure. C'est cela qui nous a motivé au départ, des rêves et aujourd'hui nous essayons de nous donner les moyens de continuer à vivre d'émotions.
Notre but, c'est de créer un catalogue, d'avoir des films qui pourront s'exploiter encore longtemps. De ne pas rentrer dans la rentabilité à tout crin. Non. On sait qu'on est parti pour une aventure qui nous engage pour très longtemps? une aventure à très très long terme. Et voilà!"