Kurt Kammerer, CEO de Regify : « Un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour le  secured mailing » (Photo : Olivier Minaire)

Kurt Kammerer, CEO de Regify : « Un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour le secured mailing » (Photo : Olivier Minaire)

La technologie et les brevets sont là. Le staff et les distributeurs également. Ne reste plus qu’à faire comprendre aux prospects - c’est-à-dire rien de moins que la population mondiale informatisée - qu’ils éprouvent un réel besoin : celui de sécuriser leur correspondance électronique. En enregistrant les utilisateurs et en certifiant les emails, Regify (contraction des verbes register et certify en anglais) a pour objectif de substituer le courriel aux courriers officiels. D’un point de vue juridique, la direction de la start-up luxembourgeoise d’adoption revendique une totale équivalence par rapport au courrier recommandé. Il faut, pour cela, que l’émetteur soit clairement identifié, la date précisée et l’intégrité du message assurée.

Techniquement, le cryptage offre à l’expéditeur le moyen de s’assurer que seul le destinataire envisagé a bien reçu et bien ouvert le message. Celui-ci n’est accessible que grâce à l’empreinte digitale de l’intéressé. Une clé ne lui est alors envoyée que s’il a bien été identifié et chaque collecte requiert l’intégrité du message (hashcode), ainsi que l’identification de l’utilisateur (nom et mot de passe). Pour cela, il aura fallu au préalable s’enregistrer auprès de la société. Démarche gratuite pour les destinataires.

Et la certification des parties prenantes à l’échange a un intérêt non moins évident. Elle permet à l’email de ne pas se faire remiser à la corbeille par l’antivirus ou le filtre. Lyris, un consultant en solutions web, évalue à 18 % le nombre d’emails envoyés atterrissant dans les spams.

Terre d’asile numérique

Avant de couvrir la planète électronique de ses services, Kurt Kammerer, CEO, envisage, en premier lieu, certains secteurs en demande. Il pense aux échanges entre les établissements financiers et leurs clients, entre les institutions de la santé et les patients, entre les opérateurs de télécom­muni­cation et leurs souscripteurs, et caetera, et caetera...

Il veut les convaincre que les coûts d’installation et d’enregistrement seront rapidement amortis, grâce aux économies réalisées en matière de correspondance papier. En sus du critère écologique, ce pendant économique constitue un argument marketing, bien volontiers mis en avant par la start-up, qui propose plusieurs services allant dans cette direction : Regimail, Regibill et Regipay.

Ils permettent respectivement d’échanger par courrier électronique sécurisé les documents officiels, ainsi que les informations sensibles, telles que les factures ou les fiches de paie. Cette digitalisation de la correspondance est évidemment encouragée par la Commission européenne.

Ce soutien politique s’est aussi matérialisé nationalement, dès la création de la société, au moyen d’ une conférence de presse en présence du ministre de l’Économie de l’époque, Jeannot Krecké, organisée le 26 avril 2011. Regify arrivait alors d’Allemagne pour bénéficier d’un cadre « propice à son développement ». Le pays s’est doté d’un régime fiscal approprié en ce qui concerne la propriété intellectuelle. Le gouvernement se focalise également sur la sécurité informatique (avec Luxtrust par exemple) et l’e-commerce, pour lesquels elle bénéficie dorénavant d’une infrastructure et d’un savoir-faire autour d’auteurs de renom (Amazon, eBay). Regify a également trouvé au Grand-Duché un financement externe grâce à P&T Capital (détentrice de 11 % du capital), la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI, 5,5 %) et la Société luxembourgeoise de capital-développement pour les PME (CD-PME, 5,5 %).

La start-up commence ainsi à se faire un nom localement. En octobre 2011, elle figurait parmi les lauréats du Civica European Venture Contest organisé par PwC, dans la catégorie technologie de l’information et de la communication.

Concurrence internationale

Mais les concurrents se bousculent dans le secteur (voir encadré). Pour se protéger, les entrepreneurs multiplient l’enregistrement de brevets, gages de durabilité de l’entreprise. Regify en détient déjà trois sortes, déposées internationalement : en Asie (Japon, Corée, Inde, Chine, Singapour, Russie), en Amérique du nord (Canada, États-Unis) et dans l’Union européenne. Mais, Kurt Kammerer ne souhaite pas se reposer sur ses certitudes technologiques, et continue d’investir dans la recherche, en bénéficiant des mesures d’innovation offertes par la loi du 5 juin 2009. Il faut, selon lui, se préparer à ce qu’un « gros bras se positionne sur le marché avec un budget 1.000 fois supérieur » et donc se protéger, grâce à des brevets.

Le lucre potentiel du marché du courriel sécurisé attise les convoitises. En s’appuyant sur un volume d’environ 125 milliards d’euros pour le seul segment de l’affranchissement « physique », le secured mailing représentera, à court terme, un chiffre d’affaires total estimable à plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ironport (Cisco), Voltage, E-Postbrief (Deutsche Post) ou encore Symantec, pour ne citer qu’eux, occupent un espace naissant qu’il faut, du coup, se partager.
Regify doit donc se différencier. Elle le fait en utilisant un réseau de distributeurs. Au Luxembourg, elle travaille avec P&T et LuxGSM, deux opérateurs bien installés, prospéctant via une petite armée de commerciaux, connectés avec quelque 17.000 sociétés. À l’étranger, la start-up travaille avec 23 autres leviers de ce type pour étoffer son portefeuille d’abonnés. Elle compte atteindre les 40 partenariats d’ici la fin de l’année.

Sa direction ambitionne également de développer son réseau et consolider son activité. Cela passera entre autres par une entrée dans le business automatisé avec un logiciel qui permet aux entreprises d’envoyer aux clients, pour lesquels il y a une adresse email, les documents officiels.  

 

Pourquoi le Luxembourg ? - Surf sur la vague IT

Selon Kurt Kammerer, CEO de Regify, le pays se focalise résolument sur la sécurité IT et l’e-commerce avec des infrastructures et un savoir-faire. L’aspect multilinguisme compte aussi à ses yeux. « Puisque nous fournissons un service pour la terre entière, il est plus facile de faire des affaires à l’étranger avec une société luxembourgeoise qu’avec une société allemande. Ici, il y a une sorte de neutralité et d’ouverture au monde. » Le régime relatif à la propriété intellectuelle, permettant d’exonérer 80 % des revenus générés par les brevets, pèse aussi dans la balance.