Luc Schuller (Yous Real Estate Group): «La localisation reste un critère de sélection primordial.»  (Photo: Julien Becker / Archives)

Luc Schuller (Yous Real Estate Group): «La localisation reste un critère de sélection primordial.»  (Photo: Julien Becker / Archives)

Le marché immobilier résidentiel se porte bien. Comme d’habitude est-on tenté d’ajouter, puisque les prix progressent, sans cesse, depuis une dizaine d’années. Une évolution qui s’explique par la conjonction de différents facteurs qui s’alimentent entre eux, comme l’explique Martin Stoz, marketing manager d’Inowai: «Le premier, et de loin le plus important, est démographique. L’économie luxembourgeoise est prospère. Le Luxembourg crée des emplois et attire une population toujours plus nombreuse. Il en résulte un solde migratoire largement excédentaire.»

Ainsi, en 30 ans, la population a augmenté de 50%. Pas étonnant, dans ce contexte, que le marché immobilier peine parfois, de manière chronique, à produire un nombre suffisant de logements pour accueillir tous ces nouveaux habitants. «L’investisseur privé luxembourgeois a confiance dans la pierre et le cadre fiscal est avantageux. L’immobilier résidentiel, bien qu’il n’offre que de faibles rendements directs, occupe une place de choix dans le patrimoine des résidents luxembourgeois», constate-t-il.

Ce décalage entre les courbes de croissance alimente, mécaniquement, les tendances haussières des loyers. «L’offre ne croît pas assez vite et seulement 30% du parc immobilier est disponible en location, ce qui débouche sur le maintien de loyers de plus en plus élevés et des colocations toujours plus nombreuses, également. La tendance n’est pas prête de s’inverser, puisque la demande est estimée à 18.000 appartements alors qu’environ 7.000 sont livrés, confirme Luc Schuller, general partner de Yous Real Estate Group. Notre tour d’horizon semestriel indique que le marché immobilier, le neuf comme l’ancien, est bien soutenu. La localisation reste un critère de sélection primordial, Luxembourg-ville et ses alentours sont privilégiés, directement suivis par le sud du pays.» Ainsi, après un premier trimestre traditionnellement un peu timide, le marché a bien repris son activité dès le deuxième trimestre et ceci malgré la hausse, en début d’année, de la TVA.

Hausse de la TVA…

Une hausse qui est loin d’être anodine. Après la suppression du taux super-réduit de 3%, depuis le 1er janvier 2015, le taux de TVA applicable est dorénavant de 17%, soit une augmentation de 13,6% des coûts.

Pour Murat Mutlu, directeur d’Immo Luxembourg, cette hausse n’est ainsi pas sans conséquence sur le marché de l’immobilier résidentiel: «Ce changement de régime de TVA entraîne un manque de repères des clients investisseurs. Il ne fait aucun doute que le passage de 3% à 17% pour la construction de logements destinés à la location ralentit les investissements et décourage peut-être le lancement de certains projets immobiliers dans un marché où la pénurie de logements locatifs est déjà présente. Ces investisseurs qui se positionnent dans des résidences dédiées à la location revoient leur politique de prix, entraînant ainsi une augmentation significative des prix du marché.»

Autrement dit, c’est l’acheteur résident qui subit les dommages collatéraux de cette nouvelle règlementation, un ressenti ayant un réel impact dans les tractations.

… mais baisse des taux d’emprunt

En revanche, les taux de crédit immobilier historiquement bas accordés par les banques, ce qui dope, bien entendu, le pouvoir d’achat des acheteurs, n’ont pas forcément eu l’effet attendu. Cela n’a pas, en tout cas, donné lieu à des pics de ventes. «Ce phénomène n’a pas provoqué une frénésie d’achats», confirme Jean-Nicolas Montrieux, COO d'Inowai Résidentiel et nouvel associé du groupe Inowai, qui avance deux explications: «Tout d’abord, si les taux sont bas, les conditions d’accès au crédit pour les particuliers se sont resserrées depuis la crise financière de 2008. Ensuite, la baisse des taux a amené une réduction moyenne des durées de crédit, alors qu’elles progressaient depuis plusieurs décennies. Les acheteurs empruntent aujourd’hui sur 20, voire au maximum 25 ans.» Pas de frénésie, donc, mais un marché qui, tout de même conserve un certain dynamisme. «Les taux de crédit bas ne sont pas toujours déterminants, mais ils favorisent tout de même le déclenchement de projets, constate Sonja Tousch, associée gérante de l’agence Trade Immo. Je vends actuellement beaucoup de produits, notamment de petits appartements, à des particuliers qui profitent de ces taux intéressants pour acquérir un, voire deux logements, afin d’enrichir leur patrimoine.»

Les petits appartements ont la cote

Au-delà de ce dynamisme avéré, les professionnels pointent également quelques évolutions et nouvelles tendances. La taille moyenne des logements est notamment revue à la baisse.

«Les petits logements en location font l’objet d’une demande très forte, surtout quand ils sont modernes et confortables. Ils s’adressent à de jeunes cadres généralement bien rémunérés et ayant des habitudes de vie urbaines. Ces derniers ont été attirés à Luxembourg par la spécialisation toujours plus grande de la place financière et le développement des entreprises actives dans l’ICT», précise M. Montrieux.

Même constat chez Murat Mutlu: «Il faut effectivement retenir le fait que les acheteurs se concentrent sur des surfaces plus petites, entre 50 et 70 m2. C’est notamment le cas pour les biens destinés à la location. Cela leur permet de maîtriser leurs investissements, mais aussi de faciliter la location.»

Sonja Tousch, elle, va plus loin dans le descriptif: «La demande est très importante en petits appartements, d’environ 60 m2, avec une ou deux chambres. C’est tout particulièrement vrai sur la capitale. Il n’y a aucun problème actuellement pour vendre un tel bien à Luxembourg. Au Limpertsberg, par exemple, ce type de biens trouve preneur rapidement, même s’il est très cher.»

Écologie, économies

Autre tendance de fond, la prise en compte grandissante de l’environnement, qui est d’autant plus affirmée que l’évolution des technologies passives a également pour intérêt de générer du confort et des économies. «Les acquéreurs de logements sont de plus en plus sensibles aux questions environnementales. Les clients préfèrent payer plus cher pour obtenir un bien de qualité. Les grandes villas énergivores des années 70 et 80 sont actuellement moins recherchées», fait remarquer Martin Stoz.

«On assiste à une montée en puissance de l’appartement comme standard d’habitation de demain, avec une prédilection pour le neuf afin de mieux maîtriser les coûts et les charges», indique également Luc Schuller. Pour Murat Mutlu, les enjeux économiques et écologiques vont d’ailleurs obliger le marché de l’immobilier à revoir ses «fondamentaux». «Cette tendance, cadrée par le passeport énergétique obligeant les logements à une consommation énergie basse, impose au marché de nouvelles orientations. Hier, nous vendions essentiellement de la pierre. Aujourd’hui, nous commercialisons des bâtiments  dits ‘intelligents’, pensés pour répondre à une multitude de préoccupations rattachées au logement telles que les économies d’énergie ou l’ergonomie des installations.»

Les indicateurs sont au vert

Un des enjeux des années à venir sera donc forcément de répondre favorablement à la demande de logements liée directement à l’augmentation de la population projetée. «Ce que l’on peut tirer comme enseignements majeurs, c’est que, compte tenu du nombre de transactions enregistrées, le marché repart solidement à la hausse, surtout du côté des appartements et des maisons individuelles. Sous la pression de la demande, on peut prévoir une rapide augmentation des prix de vente et surtout des coûts de location des appartements», précise Luc Schuller.

Pour autant, tous ne voient pas de bouleversements majeurs à l’horizon et le marché devrait continuer à rester aussi porteur qu’il l’est. «La population du Grand-Duché continue de s’accroître. Elle devrait gagner plus de 100.000 habitants dans les 10 prochaines années. Cette perspective intéresse les investisseurs au moment où les taux d’intérêt sont bas et où les perspectives économiques du pays sont très enviables, surtout comparées à celles de nos voisins», analyse M. Montrieux (Inowai Residential).

La demande largement supérieure à l’offre constitue, évidemment, pour certains acteurs, du pain bénit. «La forte demande favorise une progression régulière et positive des prix du marché. Elle laisse présager de beaux jours encore», confirme Murat Mutlu.

Si Sonja Tousch partage l’avis de ses confrères, elle se montre néanmoins plus nuancée quant à l’évolution des prix. «Je suis tout de même plus prudente : les prix vont certes encore augmenter, mais peut-être pas sur le même rythme, car j’ai le sentiment que l’on atteint des limites. En ce qui nous concerne, nous avons revu notre politique d’investissement. Par exemple, nous avons récemment acquis une résidence des années 60, très bien placée. Nous aurions pu la détruire pour construire une résidence neuve proposant de très beaux appartements. Nous avons fait un autre choix. Nous avons certes créé quelques appartements de standing, mais nous avons choisi de rénover en grande partie le bâtiment afin de pouvoir proposer une plus grande diversité de produits, à des prix plus accessibles.»

De l’immobilier à la mobilité

Le dynamisme du marché de l’immobilier résidentiel n’invite pas forcément à se laisser porter. La croissance repose grandement sur l’attractivité économique et sociale du pays. Pour continuer à séduire les entreprises comme les particuliers, il est également nécessaire, pour le gouvernement et les décideurs, d’entretenir cette attractivité dans la durée. Cela passe, entre autres, par le développement de solutions pertinentes en matière de logement, mais aussi de transport et de mobilité (au travers des plans sectoriels notamment) afin d’«absorber» l’évolution démographique et le nombre grandissant de travailleurs frontaliers. «La mobilité est un enjeu. L’évolution des infrastructures a des conséquences sur l’immobilier. Si on parvient, par exemple, à faciliter l’accès de la capitale depuis le nord, c’est tout le marché immobilier du nord du pays qui peut gagner en attractivité, alors que les prix sont bien moins importants que ceux enregistrés dans le sud», indique Sonja Tousch.

En facilitant la mobilité, mais aussi en alimentant l’offre en logements, le marché pourrait un tantinet se détendre et les prix ralentir, même si le marché restera, pour longtemps encore, piloté par les propriétaires. «De quoi sera fait demain? Je l’ignore précisément, mais il y aura des changements, puisque le pays évolue en permanence. Nous serons là pour nous adapter et répondre aux besoins des évolutions du marché», conclut Murat Mutlu.