Monsieur Sauvage, vous communiquez actuellement auprès de vos membres sur la plateforme Target2 – Securities (T2S) alors qu’elle ne sera effective qu’en 2016. Pourquoi ?
« L’idée est de faire le point, de montrer que l’association représentant les intérêts des banques suit le dossier. Pour le Luxembourg, ce projet a une importance toute particulière. Il vise un rouage fondamental des marchés financiers : le règlement-livraison. T2S ne sera vraisemblablement mise en place qu’en 2016, mais il s’agit d’une infrastructure sur laquelle il est primordial de bien se positionner.
En quoi consiste cette initiative?
« En 2006, la Banque centrale est partie du constat que les marchés financiers avaient beaucoup progressé en Europe, à l’exception de tout ce qui se passe après la transaction. Ainsi, l’institution monétaire a souhaité harmoniser dans la zone euro l’opération de règlement-livraison des titres. Après deux ans de travail sur le sujet, elle a – en 2008 – pu profiter de sa légitimité et de sa crédibilité dans un contexte de crise pour forcer le passage. Qui aurait pu alors dire non à un projet porté par la BCE visant à réduire les risques, notamment en faisant en sorte que la contrepartie financière (le cash lié à la transaction, ndlr.) ne soit plus détenue par un établissement commercial, mais par une banque centrale ? Dans l’échange d’un titre, on aura donc d’un côté le dépositaire central de titres (plus connu sous le sigle anglais CSD, pour central securities depositary, ndlr.) et de l’autre, la banque centrale.
Le Luxembourg compte déjà deux CSD, LuxCSD et VP Lux. Dans quelle mesure leur existence est-elle liée à T2S ?
« Lors de l’annonce de sa prochaine mise en œuvre, Target2 – Securities (T2S) représentait soit un grand risque, soit une grande opportunité pour la Place. Le risque est dorénavant écarté grâce notamment à LuxCSD (coentreprise entre la Banque centrale du Luxembourg et Clearstream) et VP Lux. Ces deux opérateurs vont permettre aux établissements de crédit de directement se connecter à la plateforme européenne installée à Francfort.
Pourquoi passer par ces structures ?
« Il s’agit d’une obligation légale. Les banques européennes devront passer par un dépositaire central de titres pour se connecter à plateforme de la BCE. Cela fait partie des critères légaux et techniques requis. Clearstream en tant que tel – dépositaire central, mais disposant d’un statut bancaire – ne peut pas se connecter directement à T2S. Les maisons mères de ces institutions (Clearstream et VP au Danemark) vont fournir le support technique et matériel, mais ce sont des entités juridiquement séparées.
VP est une société danoise. Se sont-ils rendus au Luxembourg voyant cette opportunité poindre ?
« La perspective de T2S peut largement expliquer leur arrivée au Luxembourg. Au Danemark, la monnaie étant la couronne et non l’euro, il leur fallait, pour participer à T2S, avoir l’accord de la Banque centrale du Danemark et de la Banque centrale européenne pour se connecter à T2S. Ils l’ont obtenu, mais entretemps ils ont créé une plateforme dans la zone euro parce que si la Banque centrale européenne accepte le collatéral en euro, elle ne le fait pas, ou moins avantageusement, dans d’autres devises. Vu que le secteur obligataire est important pour leur groupe pour tout ce qui relève du crédit hypothécaire, ils ont créé cette plateforme. Puis, sa vocation a été élargie pour servir l’entièreté de la place luxembourgeoise. Pour être complet, il existe également un partenariat technique entre VP et Clearstream.
La raison invoquée pour justifier T2S est la volonté de baisser les coûts de transaction, mais l’instauration d’un échelon intermédiaire ne va-t-elle pas plutôt provoquer l’effet inverse ?
« C’était effectivement la crainte initiale de l’ABBL. En pratique cependant, pour arriver à ce que toutes ces opérations passent par la plateforme européenne unique, il faudra faire dans les États membres de la zone un effort préalable d’harmonisation sur un grand nombre d’aspects techniques et légaux. Du coup, la plateforme va fournir un service beaucoup moins cher que ce que coûte aujourd’hui le règlement-livraison, notamment lorsqu’il est transfrontalier. Mais le point principal reste l’harmonisation des procédures.
Comment les banques seront-elles très concrètement impactées ?
« Lorsque l’une d’entre elles souhaitera effectuer une transaction sur l’un des marchés, elle devra passer par un CSD, domestique ou étranger.
De la sorte, les banques vont pouvoir se connecter à la plateforme T2S et en même temps à toutes les autres entités qui sont connectées à un CSD. La question est de savoir si on va réussir à créer au Luxembourg des CSD assez efficaces pour attirer des clients non luxembourgeois.
A priori donc, une banque ne verrait pas de problèmes à traiter avec un dépositaire central étranger ?
« En tant que banque, la location du CSD importe peu. En tant que place financière, on préfère avoir l’activité chez nous plutôt que chez les autres.
Selon cette logique, il ne pourrait y avoir qu’un seul CSD européen.
« Tout à fait. Une seule infrastructure, soutenue par la BCE, pourrait concentrer tous les risques. Ce qui caractérise d’ailleurs le modèle américain, qui a inspiré les créateurs de T2S.
En fait, l’intérêt serait qu’à terme, le seul dépositaire central se trouve au Luxembourg…
« Voilà. C’est l’objectif. Il faut voir qu’en 2006, nous n’avions aucune possibilité de nous qualifier pour ce marché. Nous bénéficions dorénavant de deux CSD et d’une infrastructure efficace. Le marché T2S sera en premier lieu limité à la zone euro, mais on conçoit très bien qu’il s’étendra à moyen terme au continent européen. »