Madame Frogneux, en plus de gérer l’équipe locale, vous êtes à la recherche de volontaires pour Médecins Sans Frontières. Comment se passe le processus ?
« La structure permanente de MSF au Luxembourg est plutôt légère, avec seulement 23 personnes. Pour nos volontaires expatriés, nous travaillons principalement avec les demandes de Bruxelles, même si nous collaborons également avec Paris. Travailler avec un centre opérationnel, cela veut par exemple dire que ce sont eux qui sélectionnent les volontaires
qui seront envoyés en mission, selon différents critères d’expérience, de compétence, de disponibilité… Chaque centre a ses spécificités, et sa politique. Par exemple, Bruxelles demande des compétences en médecine tropicale, alors que Paris ne le fait pas.
Comment trouvez-vous vos candidats au départ ?
« Nous recevons la plupart du temps des candidatures spontanées de gens qui ont envie de partir avec MSF. Notre rôle, c’est de commencer par évaluer leur réelle motivation pour se lancer dans l’humanitaire. Il y a certains critères définis a priori, comme le fait d’avoir deux années d’expérience professionnelle, ou la maîtrise de l’anglais et du français. Nous évaluons donc ces premiers critères, pour déterminer si cela vaut la peine d’aller à l’étape suivante, ou s’il faut conseiller d’éventuelles formations complémentaires au candidat. Ensuite, il y a un dossier à remplir en ligne – nous avons complètement supprimé les documents papier. Selon son profil, il peut postuler dans trois types de métiers différents : médical et paramédical, administration financière, et enfin logistique. Les critères varient bien entendu pour chaque poste, et chaque métier a ses propres recruteurs. Si le profil est retenu à cette étape, des entretiens sont organisés, ainsi que des assessment centers, avec une mise en situation, en groupe. Il y a également des tests et questionnaires écrits, qui viennent en complément. Le but est de réussir à bien cerner le profil de la personne, à la fois en tant qu’individu, mais également en tant que membre d’une communauté. Lorsque l’on va en mission, on travaille et vit presque en permanence pour MSF.
Que se passe-t-il après ?
« S’il passe les tests avec succès, le candidat est intégré dans nos bases de données. Cela ne veut pas dire qu’il y a un départ à l’étranger dès le lendemain… Cela veut dire que l’on connaît ses compétences, et que l’on pourra y faire appel selon les besoins de notre mouvement, selon les missions qui seront les nôtres. Personne ne choisit son pays, ou ses missions. Ce sont les besoins du terrain qui guident les choix. Tant qu’une personne n’est pas partie en mission, il n’y a pas de relation contractuelle entre nous, simplement une information. Nous avons à Bruxelles une autre formation qui traite de la gestion du stress. L’idée, c’est de préparer nos volontaires à reconnaître les différents signes dus au stress, et à savoir y réagir correctement. Les coordinateurs de mission ont des modules spécifiques, pour leur permettre de gérer au mieux leurs équipes.
Y a-t-il une préparation avant le départ ?
« Avant le premier départ, nous avons ce que nous appelons une ‘PPD’, une formation à la préparation du premier départ. Nous la lançons lorsque la probabilité de voir la personne partir en mission est très haute, presque faite. C’est une semaine de formation et de préparation au terrain, sous forme de différents jeux de rôles. C’est alors, en fait, que notre relation ‘contractuelle’ commence. Le départ pour la première mission se fait seul, sans la famille. Pour les missions suivantes, il est possible d’accueillir la famille sur le terrain. Quelques fois, ce sont les couples qui partent ensemble, dans la même mission. Sinon, sur place, il peut être possible de trouver du travail. Mais quoiqu’il arrive, on ne se retrouve jamais seul sur le terrain, on y est toujours accompagné et encadré. Même en cas de départ immédiat.
Tous les volontaires sont-ils envoyés en mission ?
« Non… Certains ne partent en fait jamais. Je comprends très bien qu’il puisse y avoir des difficultés par rapport à la carrière professionnelle de chacun. Pour les infirmières, elles sont assez rares, car elles peuvent prendre des congés sans solde assez facilement. Pour les profils plus administratifs, c’est plus compliqué. Il faut que les employeurs comprennent la situation, et permettent à leurs collaborateurs de s’impliquer. Il arrive que l’on veuille répondre ‘oui’ à notre appel, mais qu’on ne le puisse pas. Nous comprenons qu’il peut y avoir des situations personnelles ou professionnelles qui évoluent, et qui contrarient le volontaire au moment où nous avons besoin de lui. Ce que nous n’acceptons pas, en fait, ce sont les refus d’un pays en particulier, ou tout autre argument qui est en contradiction avec notre charte et son esprit.
Comment se fait le choix des « heureux élus » ?
« Une fois qu’un volontaire est ‘recruté’, son profil est inséré dans notre système, et chaque dossier est suivi par un pool manager, qui suit les dossiers de chaque expatrié. Pour le Luxembourg, nous avons environ 15 personnes, dont six sont parties cette année. Les profils vont du pharmacien au logisticien. Les plus jeunes sont les personnes concernées par les postes de logisticiens ou d’administratifs. Les médecins sont souvent moins jeunes. Il y a également d’autres personnes, avec des profils très particuliers, qui nous contactent. Par exemple, un chirurgien retraité nous a contactés, mais en étant précis sur les moments où il est disponible, et les besoins particuliers qu’il est capable de couvrir. C’est ici que nous devenons souples. Si en théorie, on essaie d’avoir des candidats très généralistes, pour certains spécialistes confirmés, il est aussi très pratique de les avoir ‘à disposition’, même si les conditions ne sont pas en ligne avec la politique classique.
Vous devez également gérer vos rapports avec les volontaires, à travers le temps… Les carrières et les envies de départ évoluent…
« Il y a une problématique de rétention des volontaires. Les plus jeunes partent certainement plus facilement. Une personne qui a déjà 20 ans d’expérience, même si ses motivations sont réelles, s’attend à une reconnaissance de son expertise… et il peut y avoir des limites dans nos rémunérations. Mais en même temps, nous sommes un employeur responsable : il s’agit de respecter ce que chacun nous apporte.
Les rémunérations proposées ne sont pas forcément aussi élevées que dans les milieux professionnels classiques, mais en même temps les règles sont très claires. Certains en sont satisfaits, pour d’autres, selon les charges qu’ils ont à supporter, c’est rédhibitoire.
Quel est le statut des volontaires ?
« Le contrat de travail donne aux volontaires le statut de coopérant. C’est un contrat de travail de droit luxembourgeois, qui permet de garantir une continuité dans la carrière : il y a les jours de congé, les cotisations retraite, cela permet d’éviter les trous administratifs.
Les rémunérations sont bien entendu un sujet sensible. Si nous pouvions payer plus, il est probable que nous aurions plus de candidats. Mais, en même temps, pour les personnes véritablement motivées, la rémunération n’est pas un problème. Notre grille est fixe, et déterminée par notre centre opérationnel. Pour les débutants, tout le monde est mis sur le même plan, que l’on soit senior ou junior. Autrement dit, pour la première mission, la rémunération est égale au salaire social minimum. C’est une manière de ‘tester’ la motivation du volontaire. Mais attention, il y a différents éléments complémentaires. Il y a d’abord une indemnité de ‘vie sur place’. Ensuite, nous prenons en charge le logement, avec du personnel, pour les déplacements ou la préparation des repas.
Ce n’est pas que pour fournir un certain ‘luxe’ aux équipes, mais surtout pour leur permettre d’être efficaces. Ils y vont pour travailler dans leur spécialité, pas pour perdre du temps sur des tâches annexes. Même si les contrats de travail indiquent 40 heures par semaine, dans la réalité, la durée est largement supérieure. Après une mission, la rémunération se met à évoluer. On prend en compte l’expérience MSF, l’expérience avec d’autres ONG, et l’expérience ‘autre’, avec des niveaux différents. Et chaque année, on regroupe toutes nos informations, et nous permettons aux gens de ‘monter’ de niveau.
Il ne faut pas confondre volontariat et bénévolat. Leur engagement est de respecter notre charte, pas de nous faire bénéficier gratuitement de leurs compétences. Nous avons, en tant qu’employeur, une responsabilité importante également.
Avez-vous des vagues de candidature, ou le rythme est-il régulier ?
« Les grandes urgences, lorsqu’elles sont médiatisées, stimulent l’arrivée de candidatures. Elles font prendre conscience aux gens qu’ils peuvent agir. On reçoit également des appels de gens ‘normaux’, qui sont touchés par la cause, et qui voudraient participer. Jusqu’à il y a peu, nous étions très carré sur les profils qui nos intéressent. Aujourd’hui, nous sommes plus souples, et nous essayons de créer des passerelles.
Même dans un métier, il peut y avoir des spécialisations. Nous en avons certains qui sont des spécialistes de l’urgence, capables d’être prêts à partir en deux jours. D’autres missions, comme le combat contre le Sida, se font sur le plus long terme, et peuvent durer un ou deux ans.
Fait-on « carrière » chez MSF ?
« Certains volontaires sont venus nous voir en début de carrière, puis se sont ‘désinscrits’, avec des changements dans leur situation personnelle… pour revenir quelques années plus tard, quand les enfants ont grandi, ou qu’ils sont plus installés. De manière générale, nous essayons de faire tourner les équipes sur place. Quoi qu’il arrive, aucun volontaire ne travaillera sur une même mission pendant plus de quatre ans.
Les gens ne doivent pas ‘s’installer’ dans le pays. Nous sommes une organisation humanitaire : notre but, c’est que les gens n’aient plus besoin de nous. Si les individus demeuraient trop longtemps sur place, il y aurait le risque de rester dans une mauvaise routine.
Comment se prépare un départ ? Vous devez avoir une planification efficace à mener…
« La gestion d’un pool, c’est la superposition de différents délais. Certaines missions sont clairement planifiées, on sait quand un contrat de volontaire va s’achever, jusqu’à six mois à l’avance. Il s’agit alors de faire une bonne gestion prévisionnelle, pour remplacer celui qui part. Le cas le plus critique, c’est lorsqu’il s’agit du chef de mission. Nous connaissons nos échéances, il faut assurer la continuité de la présence sur place. Quelques fois, nous pensions avoir trouvé la bonne personne, qui a un empêchement de dernière minute, ou bien qui est appelée sur une urgence, et donc devient indisponible. Il peut arriver qu’il y ait malheureusement – et involontairement – une concurrence entre différents centres opérationnels. À nous de vendre les postes et les projets à nos candidats pour qu’ils nous retiennent.
Quelles sont vos perspectives, sur le plan RH ?
« Un de nos défis pour les prochaines années, c’est de réussir à rayonner vers la Grande Région. La France est un grand pays, et même s’il y a des réunions d’information en province, le fait est que nous sommes plus proches de Nancy, que Nancy de Paris. Nous travaillons avec Paris et Bruxelles pour pouvoir chercher les candidats de l’autre côté des frontières du Luxembourg, et améliorer notre recrutement. C’est plus la continuité d’une situation : les frontaliers viennent déjà souvent spontanément vers nous, plutôt que vers le centre de leur pays de résidence. Cela devrait se mettre en place doucement, mais sans heurs. Nous sommes un mouvement, pas des entreprises concurrentes ! Et il y a une expérience. Nous avions un logisticien qui, même si théoriquement nous travaillons avec Bruxelles, est toujours parti avec Paris, et cela sans aucune friction. Il n’y a pas de réflexe de résistance stupide dans ce domaine.
Les gens ont-ils conscience des profils que vous recherchez ?
« Pas toujours. Il y a des métiers qui sont ouverts à des personnes qui n’en ont en fait même pas idée. Nous avons eu, lors de nos dernières portes ouvertes, un atelier RH. Avec quelques tests, cela permettait de créer des liens entre leurs métiers et nos besoins. Plusieurs personnes se rendaient compte qu’elles pourraient partir avec nous… Un responsable de rayon, ou de gestion de stock peut devenir logisticien ! Nous avons aussi des équipes ‘watsan’, pour tout ce qui touche à l’eau et aux questions sanitaires. Sur les compétences de base, nous ajoutons des formations spécifiques et adaptées au contexte. C’est ce à quoi servent les assessments initiaux : voir si les gens ont le bon esprit. La bonne réflexion pour partir en tant qu’humanitaire, même s’ils n’ont pas tous les savoirs techniques. On veut savoir s’ils peuvent partir, et nous les formons pour qu’ils le fassent de la meilleure manière. Près de la moitié des départs se fait sur des profils qui ne sont pas médicaux. »
Parcours - Direction, les RH
Âgée de 35 ans, Stéphanie Frogneux a suivi des études en communication en Belgique, à Tournai. « Même pendant mes stages, j’ai toujours travaillé dans l’humanitaire… C’est au cours d’un stage en Belgique, chez MSF, que j’ai rencontré celle qui était alors la DRH pour le Luxembourg. » Embauchée il y a 10 ans, elle est passée d’un rôle administratif à celui de DRH, il y a environ un an.