Stéphane Revel: «Le Luxembourg est occupé à réussir une mutation de la banque vers la banque de données.» (Photo : David Laurent / Wili)

Stéphane Revel: «Le Luxembourg est occupé à réussir une mutation de la banque vers la banque de données.» (Photo : David Laurent / Wili)

Monsieur Revel, l’archivage électronique est régulièrement évoqué en raison d’un nouveau projet de loi visant à réguler cette activité. En quoi consiste-t-il ?

« L’archivage électronique est la préservation de la valeur d’une copie numérique d’un document ou d’un original numérique. La nuance est importante car une copie numérique est un document qui est passé par un cycle de dématérialisation. Nous veillons donc à préserver l’intégrité, la lisibilité, la confidentialité et la traçabilité des documents numériques ou numérisés.

Quel est l’historique de Luxembourg e-Archiving, opérant sous le nom de Learch ?

« Learch a été créée en novembre 2009 sur base du constat qu’il n’existait pas d’acteur dédié à l’archivage numérique au Luxembourg. Certaines sociétés fournissaient ce service en complément à d’autres, mais sans exercer le métier en tant que tel. La création de la société était aussi motivée par l’échéance d’un nouveau contexte législatif.

Le troisième vecteur ayant favorisé la création de la société est la généralisation de l’attrait du cloud, même dans le chef des banques, ces dernières ayant longtemps été réticentes. Learch a débuté de façon indépendante avant l’entrée des P&T, d’abord comme actionnaire minoritaire en mars 2011, puis en tant qu’actionnaire principal. L’archivage numérique intéresse les P&T dans le cadre de leur stratégie de diversification dans les technologies numériques, dont le coffre-fort électronique peut faire partie.

Comment peut-on définir un coffre-fort électronique ?

« C’est un concept encore futuriste, mais qui conçoit le service postal sous un autre jour. Il s’agit d’une boîte aux lettres virtuelle qui permet de recevoir, de façon certifiée, des documents, telles des factures de prestataires, et de les préserver. Le coffre-fort électronique n’est pas notre cœur de métier, mais son extension, dans la mesure où il s’appuie sur un socle d’archivage numérique que nous voulons fournir. L’expérience des pays scandinaves à cet égard est intéressante : les premiers documents qui ont été déposés dans des coffres-forts électroniques étaient des photos de familles, récentes ou numérisées, plutôt que des éléments tels que des factures ou des testaments.

Qui sont vos clients ?

« Les établissements financiers figurent parmi nos clients principaux, mais nous couvrons d’autres activités. Notre plus grande base de clients se situe en France, en raison du contexte législatif favorisant la facturation électronique depuis plusieurs années. Nous avons ainsi des partenaires français qui utilisent Learch comme archiveur dans une chaîne de facturation électronique pour des PME.

Comment se passe généralement la démarche d’adoption de l’archivage électronique de la part des entreprises ?

« Sur un mode par processus ou par projet, comme à l’égard de factures, de données relatives à la comptabilité interne ou encore concernant l’archivage de formulaires de virement. L’attitude dépend moins du secteur d’activité du client que de sa maturité vis-à-vis des documents électroniques et du flux de documents électroniques. De potentielles réductions de coûts peuvent aussi jouer en faveur de l’archivage électronique à l’égard de la formule papier.

Quel est l’état des lieux du cadre légal en place au Luxembourg ?

« Le métier d’archiveur électronique n’existe pas dans la loi au stade actuel, il n’y pas non plus de statut à proprement parler chez nos voisins. En attendant la finalisation du projet de loi entourant l’archivage électronique et actualisant son encadrement, le secteur se repose sur les standards internationaux. ISO 14721 représente à cet égard une base intéressante. La norme est elle-même inspirée par le système OAIS, conçu dans les années 70 pour conserver les données numériques issues de la conquête spatiale.

À l’époque, les agences spatiales ramenaient plus de données numériques sur terre qu’il n’en existait, d’où le besoin de maîtriser ces données. OAIS est encore le modèle de référence de l’archivage électronique. La solution informatique que nous utilisons se veut d’ailleurs être une application logicielle de cette norme qui n’est pas axée sur la sécurité, mais plutôt sur les modes opératoires. La sécurité est la confidentialité sont plutôt couvertes par la norme ISO 27001 pour la sécurité de l’information.

Où sont stockées les données de vos clients ?

« En tant que PSF, nous devons garder nos données à Luxembourg ou les chiffrer (encrypter, ndlr) pour les externaliser. En archivage électronique, le chiffrement
est une mauvaise pratique, car la conservation à long terme de documents cryptés n’est pas compatible avec la possibilité de relire des documents chiffrés dans 20 ans, en cas de perte de clés par exemple.

Le Luxembourg est-il bien positionné sur ce marché ?

« Le Luxembourg est occupé à réussir une mutation de la banque vers la banque de données. L’objectif est de fidéliser les acteurs implantés au Luxembourg pour des raisons fiscales, grâce aux infrastructures IT, ainsi qu’au cadre réglementaire favorisant des activités dans le cloud et leur établissement depuis Luxembourg. Ce cadre, instaurant un agrément national et une supervision étatique, est clairement un besoin de la part du client. Si une banque est en difficulté, l’État va l’administrer afin de restituer les avoirs aux ayants droit.

Pour le monde numérique, le schéma est le même. Si vous déposez vos documents chez un PSDC-C (Prestataire de services de conservation, ndlr) et que ce prestataire est défaillant, l’administration veillera au transfert de ces données vers un autre PSDC-C ou à leur restitution. Cette démarche permet de se distinguer des pays voisins, car l’agrément donnant accès aux activités d’archivage électronique sera délivré sur base d’un audit technique et d’analyse financière de la société. Je note, par ailleurs, qu’il n’existe pas d’agrément national dans les pays voisins pour les tiers archiveurs, sauf en France pour le secteur public.

Le texte va-t-il globalement dans le bon sens selon votre regard de praticien ?

« Les règles autour du métier incitent le client à se décharger de ces opérations complexes tout en transférant le risque que nous assumons. L’élément intéressant est de compter sur un agrément fourni sur base d’un audit technique de différents points de contrôles fondés sur ceux de ISO/IEC 27001. Le législateur a réussi à développer une approche pragmatique qui permet aux organismes déjà certifiés ISO 27001 de combler uniquement certaines conditions manquantes pour bénéficier de l’agrément. On peut parler d’un réel effort de rationalisation, même si le texte arrive tard et qu’il n’est pas encore voté. Le Luxembourg essaie de prendre de l’avance dans ce domaine, mais plus la finalisation prend du temps, plus les concurrents se rapprochent.

Va-t-on réellement vers une nouvelle profession, comme l’autorise le texte ?

« On s’attend à dénombrer plus de prestataires à l’avenir, et donc plus de concurrents. Certains établissements vont développer leurs propres services en interne, car ils voudront conserver leurs documents en leur sein, avec toutes les difficultés que cela pourra représenter. Par exemple, aucune banque luxembourgeoise n’est certifiée ISO 27001.

Quels seront vos arguments dans ce nouveau contexte ?

« Nous comptons miser sur notre historique, et sur le fait que nous serons l’un des premiers PSDC-C certifiés. L’argument de l’économie via la mutualisation des coûts avec les autres utilisateurs, plutôt qu’un développement via une plateforme personnalisée, est aussi important.

Comment trouvez-vous les ressources nécessaires pour étoffer vos équipes ?

« Nous recherchons différents types de profil, mais nous constatons généralement qu’il y a un déficit de main d’œuvre qualifiée. Nous avons besoin d’administrateurs systèmes car nous opérons notre propre matériel dans les datacentres ebrc. Nous avons besoin de product managers capables de gérer une chaîne de valeur. Nous avons aussi besoin de développeurs pour gérer les interfaces personnalisées de nos clients.

Quels sont vos prochains projets ?

« Nous voulons accentuer nos partenariats avec des firmes qui touchent des utilisateurs finaux. Techniquement, nous devons être en mesure d’accepter des documents variés et versés de façon différente, tantôt en masse, tantôt via des connecteurs spécifiques. Nous essayons donc de développer ce type de relation pour nous positionner comme brique d’archivage dans une chaîne de valeur complète. Nous voulons être un des composants du service vendu par nos partenaires en nous concentrant sur
notre core business. »