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C’était écrit. «Il [le gouvernement] réserve les moyens nécessaires pour assurer définitivement la place du Grand-Duché parmi les centres européens de télécommunications. Cette perception doit être soutenue sur le plan de l’infrastructure nationale par des réseaux fixes et mobiles à la pointe du progrès et par une offre de services variée et complète soutenue par une concurrence réelle entre opérateurs.» Le programme gouvernemental Juncker-Asselborn II avait annoncé la couleur, l’été dernier; Jeannot Krecké, ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, et François Biltgen, ministre (entre autres) des Communications, ont assuré le service après-vente en présentant, en mars dernier, la stratégie retenue pour le développement des réseaux Internet de nouvelle génération.

Les objectifs? Ils sont pour le moins ambitieux. Garantir, pour tous les utilisateurs, quelle que soit leur situation géographique sur le territoire national, un accès à un débit Internet de 100 Mbits/s en voie descendante (et 50 Mbits/s en voie ascendante) à l’horizon 2015 et de 1 Gbit/s en voie descendante (et 500 Mbits/s en voie ascendante) pour 2020. Le tout en prenant place parmi les leaders européens en termes de pénétration de «l’ultra-haut» débit dès 2013.

Il est, en outre, annoncé la création de zones d’activité à ultra-haut débit, qui seront labellisées en tant que telles, et caractérisées par des itinéraires dédoublés, dont au moins un accès par fibre optique en boucle, pour sécuriser l’accès aux services de télécommunication des entreprises. Cet équipement doit être mis en place d’ici 2013, date à laquelle, parallèlement, toutes les administrations publiques, les établissements d’enseignement et centres de recherche seront, eux aussi, dotés de cette connectivité ultra-haut débit. Les moyens? Ils vont essentiellement se concentrer autour de la capacité de l’opérateur historique, l’Entreprise des P&T (EPT), à jouer le rôle de «force motrice de tout premier ordre». Il s’agira notamment, pour elle, d’assurer le développement d’un réseau national de fibre optique en architecture FTTH (Fiber-To-The-Home). Une enveloppe de 130 millions d’euros, dans laquelle sont inclus les dividendes auxquels l’Etat a choisi de renoncer, doit être utilisée pour la mise en place d’un tel réseau FTTH qui devra couvrir 80% de la population d’ici à 2015.

«Nous avons évidemment accueilli ce plan avec satisfaction», indique Didier Rouma, CEO de l’opérateur de téléphonie mobile Tango, mais aussi président de l’Opal, la fédération des opérateurs alternatifs du Luxembourg, affilée à la CLC et qui regroupe la quasi-totalité des acteurs majeurs du secteur. Invitée à découvrir les grandes lignes de ce plan quelques jours avant sa présentation publique officielle, l’association a eu l’occasion d’adresser, au gouvernement, ses commentaires et remarques sous forme d’un document de synthèse dont la grande partie a été reprise dans la publication du détail de la stratégie en avril dernier.

Quels services?

Le volet «infrastructures», qui facilite l’accès, pour les opérateurs alternatifs, aux infrastructures d’accueil (gaines, conduites, fourreaux, tubes…) et prévoit la mise en place de registres nationaux permettant un suivi de l’état des lieux (lire aussi l’encadré), a, notamment, été favorablement perçu par l’Opal. «Les coûts d’infrastructure représentent entre 70% et 80% de nos coûts de développement de réseaux, indique M. Rouma. Auparavant, il y avait très peu de visibilité dans ce domaine. Il est très positif que des règles soient désormais définies.»

Même le fait que le développement de tout le réseau de fibres optiques ait été confié, en priorité, à l’Entreprise des P&T, reçoit l’aval de l’association… faute de mieux. Il est évident qu’au vu du marché luxembourgeois, le tour des sociétés qui sont capables de construire une telle infrastructure est plutôt vite fait. Mais l’Opal souhaite que le gouvernement exige de l’opérateur historique un amortissement des investissements à très long terme, permettant ainsi que les frais d’accès partagés avec les autres opérateurs alternatifs stimulent la création de services innovants à des prix compétitifs.

Parmi ces opérateurs, il y a Cegecom, membre du groupe Artelis et premier opérateur alternatif «fibre optique» du pays, avec un réseau qui compte plus de 1.500 km dans le pays et qui est déjà relié à 25 points d’accès déjà mis en place par les P&T. «Nous réfléchissons à l’opportunité de connecter, avec notre propre backbone, l’ensemble des 200 points d’accès que les P&T mettront à disposition, explique Georges Muller, directeur de Cegecom. Mais tout dépendra du business case qu’il sera possible d’appliquer et de la durée d’amortissement de ces investissements qui vont se chiffrer en plusieurs dizaines de millions d’euros. En tout cas, notre intention est bien de faire preuve d’un maximum de flexibilité et de donner un accès à ce réseau à l’ensemble des autres opérateurs.»

Tout se jouera, ensuite, pour beaucoup, sur la richesse des services proposés sur ces fibres. «Certains disent qu’on a déjà tout vu, mais je ne le pense pas, indique M. Muller. Quand on voit combien coûte le mètre carré au Luxembourg, il est par exemple possible de vraiment optimiser le télétravail. Le potentiel est là et le Luxembourg peut être plus fort que les autres pays dans ce domaine. Cela peut également avoir un impact positif sur la compétitivité et attirer des PME qui souhaitent développer leurs affaires en s’appuyant sur cette infrastructure.»

Les projets en matière de «services» ne manquent pas. Facilitation des soins à domicile, sécurité et surveillance à distance, échanges peer-to-peer familiaux, domotique, TV sur IP, jusqu’au cloud computing… tout pourrait être rapidement à portée de main. «Les technologies sont prêtes, mais ne se sont pas encore vraiment développées, car l’infrastructure n’était pas au niveau», indique M. Muller.

L’ILR va grandir

Si beaucoup de choses vont reposer sur les épaules des P&T, ce n’est pas pour autant que l’opérateur historique va se voir remettre un blanc-seing sur la question. Et c’est là que va devoir entrer en jeu un des acteurs clés du marché: l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR) que le gouvernement a, lui aussi, «invité» à soutenir «activement, dans les limites de ses compétences», le déploiement rapide de ces réseaux de nouvelle génération. «Il sera essentiel que les organes de contrôle comme l’ILR, mais aussi le Conseil de la concurrence, aient les moyens de régler convenablement le marché, ce qui n’a pas toujours été le cas, prévient Jérôme Grandidier, CEO de Luxembourg Telecom. Le prix de l’accès du last mile, qui sera géré par les P&T, sera notamment déterminant pour pouvoir créer un vrai marché concurrentiel.» Dans son plan stratégique, le gouvernement a d’ores et déjà prévu de demander à l’institut de «revoir tous les outils à sa disposition à l’heure actuelle et après transposition du nouveau cadre réglementaire pour les communications électroniques, de préciser comment et dans quel cadre temporel il entend les appliquer pour contribuer à atteindre les objectifs visés.» En espérant que le serpent ne soit pas vite amené à se mordre la queue, les moyens dont dispose l’ILR étant assez largement dépendants de ceux que le gouvernement veut bien lui mettre à disposition.

Un premier pas a, certes, été franchi avec l’adoption du règlement grand-ducal du 4 décembre 2009 fixant les nouvelles limites pour le nombre de personnels de l’institut. Il prévoit, notamment, un nombre maximal de cadres supérieurs passant de 13 à 31; de cadres moyens ingénieurs-techniciens augmenté de 15 à 17 et de cadres moyens rédacteurs gonflé de 8 à 13. Mais l’Opal espère que le paysage qui se dessine ne marque pas la création d’un nouveau monopole, faute d’une régulation adéquate qui manquerait d’imposer des règles d’accès non discriminatoires pour tous les acteurs. «De telles distorsions intolérables existent dans de nombreuses niches de services de télécommunication, rappelait la fédération lors de son premier commentaire officiel sur le plan stratégique du gouvernement. Citons comme exemple le marché DSL. En effet, le Luxembourg est un des seuls pays européens sans régulation effective entraînant une très faible rentabilité pour les opérateurs alternatifs. L’absence d’une régulation, excluant toute concurrence saine, qui est d’ailleurs le seul garant du meilleur prix pour le consommateur privé et l’utilisateur professionnel, ne laisse aux opérateurs alternatifs aucune opportunité d’investissement dans de nouveaux services innovants.»

D’où la volonté affichée par l’Opal de créer un véritable groupe de travail qui réunirait gouvernement, opérateurs historique et alternatifs et l’ILR, mais aussi, pourquoi pas, LuxConnect, afin que tout soit le plus transparent possible. «Cela donnerait une réelle garantie, pour tous les acteurs concernés, que la réalisation de cette stratégie nationale est conforme aux attentes et que tout le monde travaille dans le même sens, estime M. Rouma. Sans compter qu’il est aussi important de bien contrôler que les dividendes non perçus par l’Etat sont investis à bon escient.»

Si, pour l’heure, aucune structure de la sorte n’a concrètement été créée, le gouvernement a néanmoins prévu des réunions «fréquentes» avec les participants. «Nous pensons qu’il faudrait tout de même formellement créer un petit organe de pilotage ambitieux, insiste le président de l’Opal. Les opérateurs alternatifs ont aussi besoin d’avoir un suivi et ce comité de pilotage pourrait également permettre au grand public de suivre l’évolution du dossier.»

Ce groupe de travail pourrait, en outre, permettre de répondre aux inquiétudes de ces opérateurs alternatifs quant aux conditions concrètes de mise à disposition des infrastructures des P&T. «Depuis 1997, l’EPT a déployé une stratégie de fibre hybride (mélange fibre optique et cuivre, ndlr.) et a déjà défini le backbone pour ramener la fibre en un point central, explique Didier Rouma. Nous avons un doute quant à la technologie utilisée, puisque l’EPT le faisait pour ses besoins propres. Il est impératif que la technologie qui mettra les fibres à disposition des opérateurs alternatifs soit approuvée pour vérifier qu’elle répond aux objectifs du gouvernement et pour éviter que les alternatifs soient empêchés d’offrir des services différents.»