Pierre Schoonbroodt est à la tête d’une équipe de 15 personnes pour superviser les aspects financiers de l’activité de la Bourse de Luxembourg. (Photo: Mike Zenari)

Pierre Schoonbroodt est à la tête d’une équipe de 15 personnes pour superviser les aspects financiers de l’activité de la Bourse de Luxembourg. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Schoonbroodt, être CFO de la Bourse de Luxembourg, ça consiste en quoi? Comment décririez-vous vos fonctions?

«C’est tout d’abord travailler en étroite collaboration avec la direction générale du groupe. Ma mission est d’assurer le bon fonctionnement de l’entreprise d’un point de vue financier. Pour cela, il est important d’avoir une bonne compréhension économique de toutes les activités de la Bourse et de Fundsquare (l’infrastructure de marché dédiée aux fonds, ndlr). Mon souhait, peut-être expliqué par le parcours qui a été le mien dans la banque, est d’opérer une fonction financière qui a une bonne compréhension du business et qui a une vision des affaires par segments d’activité, par segments de clients ou encore par marchés. C’est une approche qui est devenue incontournable aujourd’hui pour répondre aux exigences du rôle de CFO et qui implique qu’on ait une proximité étroite avec les équipes métier et les différentes fonctions.

Au niveau de la Bourse, c’est particulièrement vrai avec l’IT qui joue un rôle prépondérant dans notre organisation. En support des métiers de la Bourse, nous avons des équipes informatiques qui représentent presque la moitié des effectifs. J’essaie ainsi de maintenir des contacts réguliers avec les managers opérationnels dans l’objectif de pouvoir renforcer une culture financière au sein de la Bourse et de Fundsquare.

Qu’entendez-vous exactement quand vous dites renforcer une culture financière au sein d’un organe comme la Bourse?

«C’est surtout sensibiliser mes collègues aux enjeux financiers de toutes les décisions qui sont prises à tous les échelons de la chaîne de valeur. Que ce soit au moment des rencontres avec les clients ou, par la suite, lors du traitement d’un dossier d’admission, il est important que chacun comprenne l’impact des choix qui sont faits, tant sur les résultats que sur la performance de l’entreprise. C’est donc finalement jouer ce rôle de CFO dans une vision de vrai business partner.

«Mes précédentes expériences professionnelles m’ont convaincu que l’utilisation des données financières nous permet de mieux piloter le business.»

Selon vous, la fonction ne se limite donc pas à établir les comptes de l’entreprise…

«Absolument pas, cela va vraiment au-delà. Mes précédentes expériences professionnelles m’ont convaincu que l’utilisation des données financières nous permet de mieux piloter le business. Il s’agit d’apporter une vraie culture financière au niveau du groupe et d’assurer le développement de l’entreprise sur la base des chiffres financiers. Le jour où j’ai choisi de rejoindre la Bourse, ce n’était certainement pas pour tenir un bilan. Même si, en fin de compte, la responsabilité première du CFO est d’assurer que l’entreprise dispose d’états financiers corrects.

Par rapport aux autres Bourses, celle de Luxembourg a développé un profil particulier. À quoi est-ce lié?

«Notre statut particulier vient du fait que la Bourse de Luxembourg est une entreprise indépendante dans un monde où les Bourses ont toutes fusionné pour former de grands groupes internationaux. Nous sommes fiers de ce statut de société indépendante qui bénéficie d’un actionnariat purement local.

Quelles sont ces activités spécifiques de la Bourse de Luxembourg?

«Notre particularité est que nous opérons principalement sur une activité de niche: la cotation des valeurs mobilières internationales. Au niveau de la cote, nous comptons 40.000 valeurs dont 27.000 obligations. ‘Listed in Luxembourg’ est un label qui est mondialement reconnu. C’est un signe de qualité, de sérieux et de rapidité de réaction. Coter une valeur en Bourse de Luxembourg permet aux émetteurs de donner de la visibilité à leur émission et de bénéficier des solutions offertes par un partenaire pour répondre à leurs besoins et en particulier à leurs obligations réglementaires.

Pourquoi la Bourse de Luxembourg tient-elle autant à son indépendance?

«C’est un choix qui a été fait par nos actionnaires. Il y a quelques années, des personnes sont venues frapper à notre porte pour voir si nous ne voulions pas rejoindre un grand groupe européen, mais le choix a été fait de conserver l’indépendance de cette activité mondialement reconnue qui, aujourd’hui, présente une performance financière plus que satisfaisante. Nos actionnaires ont donc voulu conserver cette entreprise et ce savoir-faire à Luxembourg. Cela leur permet aussi de pouvoir compter sur la Bourse de Luxembourg en tant qu’acteur indépendant qui peut les accompagner dans toutes les évolutions et les défis auxquels la Place luxembourgeoise doit faire face aujourd’hui. Nous prenons par exemple part à toutes les missions organisées par le ministre des Finances et Luxembourg for Finance au travers desquelles nous cherchons à contribuer à la promotion du Luxembourg sur la scène internationale.

Un grand problème des Bourses est le coût de la technologie. C’est une des grandes raisons des fusions. Comment faites-vous pour gérer ces coûts en tant qu’acteur indépendant?

«C’est une question que les responsables se sont posée en 2006, l’année où ils ont choisi de rentrer dans un partenariat privilégié avec Euronext. Au travers de ce partenariat stratégique, nous bénéficions d’un effet de mutualisation des coûts technologiques liés à la plateforme de négociation et à l’ensemble du volet post-trade. Ainsi, un rapprochement avec d’autres Bourses ne nous apporterait plus aucune économie d’échelle dans la mesure où nous en bénéficions déjà via ce partenariat.

Il n’y a pas vraiment de culture d’investissement dans du capital à risque au Luxembourg. Comment peut-on expliquer cette aversion?

«Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une aversion à proprement parler, mais plutôt d’une sensibilisation culturelle différente. Il est vrai que la préférence des Luxembourgeois va au compte d’épargne et à l’immobilier. Peut-être est-ce aussi lié à l’offre relativement limitée sur le marché des actions à Luxembourg.

En effet, sur les 40.000 valeurs cotées à la Bourse de Luxembourg, on ne trouve que 28 actions luxembourgeoises.

Depuis la crise, le monde de la finance se plaint de la lourdeur des nouvelles réglementations internationales. À quel point êtes-vous touchés par ces réglementations et comment y faites-vous face?

«Il est vrai que nous sommes impactés par la recrudescence des réglementations Mifid II, Mifir, CSD et Mad/Mar (abus de marché), ainsi que par d’autres directives comme ‘Prospectus et transparence’, qui nous touchent directement dans le cadre de nos activités de cotation. Pour faire face à ce nouveau cadre légal, nous disposons d’une équipe développement qui les étudie en collaboration étroite avec le département juridique et les équipes métier, et essaie de voir dans quelle mesure ces réglementations impactent notre business model et comment nous devons le faire évoluer pour pouvoir y répondre. Mais d’un point de vue business, il faut aussi voir ces réglementations comme des opportunités, dans la mesure où elles ont pour objectif de protéger toujours davantage les investisseurs.

La Bourse de Luxembourg a réalisé cette année une marge bénéficiaire de 25%, ce qui pourrait paraître très important dans le cadre d’une activité industrielle classique. Qu’en est-il de l’activité boursière?

«Nous ne sommes justement pas dans le cadre d’une activité industrielle classique. Dans un contexte boursier international, la norme est plutôt de 50%. Mais notre activité n’est pas comparable à celle des autres Bourses. D’une part, nous sommes présents dans une activité de niche, la cotation des obligations internationales, d’autre part, nous investissons depuis de nombreuses années dans le développement d’une infrastructure de place au service de l’industrie des fonds d’investissement. Ceci a, bien sûr, un impact sur la marge bénéficiaire nette du groupe.

Pour l’année 2014, vous avez expliqué que le bénéfice avait été soutenu par «une bonne maîtrise des coûts». Quelle est la recette employée pour cette maîtrise des coûts?

«À mon arrivée, il y a un an et demi, mon objectif était d’analyser les opportunités de rationalisation et de réduction des coûts. Dans les faits, cet exercice, lancé en octobre 2013, a été réalisé au travers du processus budgétaire de l’année 2014. Nous avons proposé de responsabiliser encore davantage l’ensemble des directeurs opérationnels en leur confiant la définition de leur propre enveloppe. Nous avons adopté une approche bottom-up au travers de laquelle chaque responsable est invité à définir ses besoins en termes de ressources, d’espace, de frais de déplacement et de représentation. Cet exercice a permis de mettre le doigt sur des poches de dépenses qui, finalement, n’étaient pas forcément toutes justifiées.

Quels sont les grands défis qui attendent la Bourse de Luxembourg au cours des prochaines années?

«Dans un marché des capitaux en constante évolution avec une réglementation de plus en plus forte, notre défi est de consolider notre position sur le marché des capitaux et de renforcer le positionnement de Fundsquare au service des fonds d’investissement. C’est précisément l’objectif de notre programme ‘Target 2016’ qui s’articule autour de deux grands volets: le premier est un volet stratégique dans le cadre duquel on se pose la question de savoir ce que l’on peut mieux faire, ce que l’on peut faire de plus, quel service à valeur ajoutée on peut encore apporter à nos clients. Au niveau du second volet, on se concentre sur l’amélioration de nos processus, de notre organisation et de notre infrastructure IT. L’objectif est d’assurer un support efficace et performant au développement de nos activités moyennant un contrôle des coûts et une bonne maîtrise des risques. L’ensemble des collaborateurs est ainsi mobilisé à travers une dizaine de projets.

En quoi consistent ces projets? Pouvez-vous nous en donner quelques exemples?

«Un des projets, le ‘One-Stop-Shop’, vise à offrir un point d’entrée unique à nos clients pour tous les services du groupe Bourse. Un autre projet a pour ambition la mise en place d’une infrastructure favorable à la création d’instruments servant de gage ou de collatéral.

Dans quelle mesure la fonction finance est-elle impliquée dans ces projets?

«Dans le contexte d’un petit groupe comme la Bourse, un des enjeux majeurs de la fonction finance est aussi d’assumer la fonction de gestion de projet. Au moment de la conception des projets, nous avons travaillé avec les project managers pour étudier leur faisabilité, tant d’un point de vue opérationnel que financier. Il fallait s’assurer de la rentabilité de ces 10 initiatives. À ce jour, quatre mois après le lancement du programme, nous nous assurons à tout moment que chaque projet respecte sa feuille de route et veillons au strict respect des budgets, au suivi des risques et des interdépendances. Ainsi, le CFO joue un rôle central dans la gestion du changement, la coordination des initiatives et la communication interne pour l’ensemble du groupe.»

Parcours
De salle en salle
Pierre Schoonbroodt a bâti son expérience au cœur de la salle des marchés de BGL BNP Paribas avant de rejoindre la Bourse de Luxembourg.

Originaire de Baillonville, près de Marche-en-Famenne (Belgique), où il habite toujours, Pierre Schoonbroodt est directeur financier de la Bourse de Luxembourg depuis janvier 2014, après y être entré en septembre 2013. À 32 ans, ce diplômé en sciences de gestion de l’Université de Namur affiche déjà un parcours professionnel bien rempli et exclusivement réalisé sur le territoire luxembourgeois. Après un premier poste d’auditeur junior chez Deloitte Luxembourg (neuf mois), il rejoint la salle des marchés de BGL PNB Paribas en 2007 – Fortis Banque Luxembourg, à l’époque – en tant que business controller. «Cette expérience m’a permis de développer rapidement mes connaissances des produits financiers ainsi que mes connaissances comptables et financières puisque, dans le cadre du lancement de nouveaux produits, je participais aussi à la définition des nouveaux schémas comptables», explique-t-il.

En 2009, à la suite du rapprochement avec BNP Paribas, il est détaché pour accompagner le responsable de la salle des marchés dans le processus d’intégration des activités corporate & investment banking (CIB) au niveau du groupe. C’est à cette occasion qu’il rencontre Robert Scharfe, l’actuel CEO de la Bourse, qui était CEO des activités CIB de la division luxembourgeoise. Une fois l’intégration réussie, il prend pendant trois ans la responsabilité du département Finance & Business development au sein de la salle des marchés à Luxembourg, avant de recevoir un appel du pied de la Bourse de Luxembourg.