Claude Wirion livre son opinion sur la directive Solvency II dans le Dossier de l'édition de septembre/octobre de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne)

Claude Wirion livre son opinion sur la directive Solvency II dans le Dossier de l'édition de septembre/octobre de Paperjam2. (Photo: Luc Deflorenne)

Monsieur Wirion, quel est l’état de santé du secteur des assurances au Luxembourg?

«Il est bon, et même excellent. L’année 2014 a été une très bonne année, avec une progression importante de l’ordre de 12% de l’encaissement, marquée notamment par une forte hausse de 20% dans la branche vie. Évidemment, pour le premier semestre 2015, c’est un peu l’inverse : le secteur vie n’a pas su garder ces niveaux exceptionnels de 2014, alors que le non vie retrouve un rythme de croissance soutenu. Mais il faudra bien sûr voir ce que donnera la seconde moitié de l’année.

Ce rééquilibrage était prévisible…

«Oui, surtout que le Luxembourg a toujours eu, en matière d’assurance vie, une spécialisation en produits en unité de compte. Or, c’étaient les produits à rendement garanti qui avaient surperformé fin 2013 puis en 2014. Les assureurs d’origine française, notamment, grâce à leurs stocks d’actifs à haut rendement, pouvaient encore offrir des taux garantis supérieurs au secteur bancaire, ce qui a drainé une partie des épargnants vers l’assurance. Mais au fur et à mesure que ces actifs à haut rendement sont venus à échéance et ont été remplacés par des actifs à rendement plus faible, le phénomène ne pouvait pas durer. En outre, il y a aussi une évolution dans la politique des assureurs de ne plus accepter des primes s’appuyant exclusivement sur des supports avec garantie de rendement… L’offre doit être davantage panachée. Cela répond sans doute moins aux souhaits de la clientèle, même si une diversification de leurs placements est dans leur intérêt.

La Place luxembourgeoise reste néanmoins attractive en matière de produits d’assurance?

«Oui! Non seulement le niveau des primes reste satisfaisant, mais on voit également que de nouveaux assureurs continuent à s’intéresser au Luxembourg. D’ailleurs, d’ici à la fin de l’année, on verra de nouveaux acteurs internationaux s’implanter au Grand-Duché.

Dans son programme, le gouvernement a mis en avant la promotion du Luxembourg comme domicile international de choix pour l’assurance vie et la réassurance. Comment cela se concrétise-t-il sur le terrain?

«Cette promotion est déjà bien avancée, même si, en tant que Commissariat, nous sommes évidemment moins impliqués dans ces efforts-là. Le fait de participer activement à attirer un opérateur pourrait occasionner une gêne pour faire preuve de la sévérité nécessaire si, ultérieurement, cet opérateur venait à ne pas respecter suffisamment la législation. C’est davantage le rôle de Luxembourg for Finance d’être à la manœuvre en la matière, avec le concours actif de l’Aca (l’Association des compagnies d’assurances et de réassurances, ndlr). L’Aca était d’ailleurs présente lors de la récente visite du ministre des Finances en Chine et a ainsi eu l’occasion de rencontrer certains assureurs chinois. Et puis à l’occasion de la conférence ‘Insurance Europe’, qui s’est tenue en mai à Luxembourg, une assez importante délégation d’assureurs chinois était présente. Nous avons eu l’occasion de les rencontrer en marge de l’événement.

Qu’en est-il de la réassurance?

«Luxembourg reste un marché important dans ce secteur qui est numériquement composé en grande partie de captives. Avec la mise en œuvre de Solvency II, les plus petites de ces captives verront leurs coûts de fonctionnement augmenter sensiblement et nous nous attendons à une diminution du nombre d’acteurs qui vont rester. Mais il y a toujours, parallèlement, de nouveaux groupes industriels et commerciaux qui s’intéressent au Luxembourg pour y installer d’autres captives. Il y a donc toujours des nouveaux venus, même si on est loin du nombre d’arrivées qu’on a pu connaître à la fin des années 90 et au début des années 2000.

Le projet de loi Solvency II a reçu, cet été, un second avis émis par le Conseil d’État, avec encore des oppositions formelles. Cela risque-t-il de perturber le calendrier de transposition d’une directive qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016?

«Je dois tout d’abord dire que nous sommes très satisfaits que les avis du Conseil d’État, mais aussi de la Chambre de commerce, soient disponibles. Nous avons regardé dans le détail l’ensemble de ces observations et nous avons trouvé, ces dernières semaines, des solutions que nous pensons être acceptables pour tout le monde.

À notre niveau, nous avons donc plus ou moins terminé notre travail. Nous allons, comme toujours, discuter avec les acteurs du secteur de la viabilité et de la faisabilité des modifications de texte que nous allons ensuite soumettre au gouvernement et à la Commission parlementaire compétente. Nous sommes confiants que le texte pourra être adopté avant la fin de l’année.

Quel est le niveau de préparation des acteurs luxembourgeois, à quelques mois de l’entrée en vigueur de la directive?

«Le secteur est prêt, même s’il subsiste toujours un point d’interrogation concernant les reportings à faire parvenir au Commissariat. L’autorité européenne (l’EIOPA, European Insurance and Occupational Pensions Authority) devait fournir depuis longtemps un outil de saisie et de transmission des données. Mais sa délivrance a toujours été reportée. Nous ne l’avons reçu que fin août. Au cas où cet outil se révélerait inadapté, cela signifierait que dans un premier temps, nous ne pourrions pas collecter les données dans un format uniforme comme cela est prévu. Des systèmes de saisies différents pourraient ainsi subsister.
L’EIOPA pourra toujours émettre le reproche que l’utilisation de cet outil n’était pas obligatoire et que les compagnies auraient alors dû utiliser d’autres logiciels disponibles sur le marché ou développés en interne. Mais sur un marché aussi réduit que le nôtre avec des sociétés de taille réduite, il est clair que beaucoup ont fait confiance à l’EIOPA pour qu’un tel outil soit délivré en temps utile.

La mise en œuvre de cette directive va-t-elle bouleverser le paysage de l’assurance au Luxembourg?

«Je ne pense pas. Nous avons un nombre très limité d’entreprises, pas plus d’une demi-douzaine, qui ne respectaient pas les exigences en matière de capital telles qu’imposées par le régime Solvency II. Pour la plupart de ces compagnies, il suffit juste de procéder à une recapitalisation. Les groupes concernés ne voulaient simplement pas le faire tant que cela n’était pas nécessaire. Il est vrai que par ailleurs, certaines compagnies ont préféré se retirer du marché, mais il s’agissait de toutes petites entités. Si départs il doit y avoir, ils ont donc déjà eu lieu ou sont sur le point d’être réalisés. On ne s’attend pas à d’autres mouvements d’ampleur en relation avec Solvency II. En revanche, abstraction faite de Solvency II, il reste tout à fait possible que le marché se réorganise, compte tenu des conditions accrues de concurrence, en particulier en matière de gestion d’épargne.

La certitude se répand qu’il faut des portefeuilles de taille suffisante et la taille critique ne cesse d’augmenter d’année en année. Cela amènera forcément certaines petites sociétés à se rapprocher de plus grandes ou à céder une partie de leur activité.

Globalement, donc, le chantier Solvency II a bien été digéré par les acteurs?

«Il est vrai que cela a représenté un lourd effort, aussi bien pour les acteurs du secteur que pour le Commissariat. Il a fallu familiariser les équipes avec ces nouveaux outils. Nous notons avec satisfaction que certaines universités l’ont intégré dans leur cursus. Mais il n’empêche que cela nécessite encore un gros effort de formation aussi bien du côté des sociétés que du superviseur.

Solvency II constitue-t-il le plus gros dossier qui se trouve actuellement sur votre bureau?

«Oui, et il va nous occuper non seulement dans les mois à venir, mais aussi toute l’année prochaine, car il va ensuite falloir voir comment les choses fonctionnent sur le terrain. Mais il y a aussi d’autres chantiers qui s’annoncent pour les années à venir et si l’on considère comme acquises les avancées en matière de surveillance prudentielle, on s’intéressera désormais davantage à la protection des consommateurs. Il y a ainsi l’Insurance Distribution Directive (IDD), pour laquelle un accord politique entre les institutions a été trouvé in extremis à quelques heures de la fin de la présidence lettone du Conseil de l’UE. Ce sera d’ailleurs sans doute sous présidence luxembourgeoise que cette directive sera formellement signée. Le texte a trait à toutes les formes de distribution de produits d’assurance, y compris en vente directe, et constitue une avancée majeure en matière de protection des consommateurs. On peut s’attendre à ce que d’autres textes suivent très vite.

Vous avez pris, en début d’année, la succession de Victor Rod qui a dirigé le Commissariat pendant près de 20 ans. Comment s’est passée la transition?

«Depuis que j’ai rejoint le Commissariat en 1992, j’en suis le numéro deux. Je connais la maison de fond en comble et j’ai été associé à l’embauche de tous les collaborateurs de la maison. Prendre la relève de M. Rod n’a donc pas été une révolution et la relève s’est faite sans heurts. À peine y a-t-il eu quelques redéfinitions de fonctions. Il a notamment fallu compenser l’absence d’un directeur au sein du comité de direction. En plus de la responsabilité de l’assurance vie, j’ai, provisoirement, repris celle de M. Rod concernant les intermédiaires d’assurance et la protection du consommateur.

On vous présente volontiers comme étant plus rigoureux, moins flexible que votre prédécesseur…

«C’est vrai que j’ai cette image. Peut-être est-ce dû aussi à mon côté scientifique, qui pouvait donner cette impression d’une certaine rigidité plus grande. Victor Rod était un pur juriste. Pour ma part, je cumule des connaissances de juriste – je suis titulaire d’une maîtrise en droit avec des connaissances scientifiques. Mais je pense avoir vite dissipé les craintes du secteur.

Depuis votre promotion, le comité de direction du Commissariat aux assurances ne compte plus que deux membres. Le Conseil d’État a d’ailleurs vivement critiqué cette situation. Quelle est votre position à ce sujet?

«Les amendements au projet de loi concernant la composition du comité de direction du Commissariat ne sont évidemment pas de notre fait. Je n’ai donc pas de commentaire particulier à faire à ce sujet. Je suis cependant confiant que le comité de direction sera de nouveau composé de trois personnes d’ici à la fin de l’année. Nous avons, du reste, des collaborateurs tout à fait valables dans la maison susceptibles d’être promus à cette fonction.
 
Les récents développements législatifs ont-ils nécessité de profonds changements dans l’organisation et le fonctionnement du Commissariat?

«Nous sommes sur le sujet Solvency II depuis 2009. Nos équipes ont donc eu le temps de s’y préparer, et nous les avons renforcées au fur et à mesure avec des spécialistes, notamment en matière de modélisation, ce qui nous permet de discuter d’égal à égal avec les compagnies d’assurance. Nous évitons les recrutements en masse qui nous obligeraient à un gros travail de formation immédiat. Nous préférons étaler les processus afin de bien encadrer chacune des recrues. Mais nous sommes conscients que nous ne sommes pas au bout de nos peines et nous continuons à recruter. D’ailleurs, nous sommes à la recherche d’un profil économiste avec des connaissances IFRS et d’un juriste. La protection des consommateurs risque d’être une matière qui va prendre de l’ampleur dans un avenir proche, avec des exigences toujours plus importantes dans le chef des autorités de surveillance.

Comment envisagez-vous l’évolution des relations existant entre les différentes autorités de contrôle de la Place?

«Dans le cadre de la récente création du comité du risque systémique, nous collaborons plus étroitement avec la Banque centrale, la CSSF et le ministère des Finances. Une première réunion a eu lieu avant les congés d’été et nous nous sommes fixé un plan de travail autour d’une dizaine de points à discuter. Nous sommes confiants que cette collaboration fonctionnera bien. Et quels quel soient les successeurs de l’actuelle équipe de direction de la CSSF, nous ne doutons pas que nos relations connaîtront le même niveau de qualité dans le futur.

Vous semblez donc serein quant au développement futur du secteur…

«Je suis en effet tout à fait confiant dans le développement et la pérennité de la Place. Il y a eu, il y a quelques années, un petit mouvement de panique de la part des assurés d’origine belge qui avaient massivement retiré les fonds gérés par les assureurs luxembourgeois lors de l’annonce de la nouvelle donne en matière d’échange d’informations fiscales. Mais le pire est passé et les rachats des contrats d’assurance sont revenus à des niveaux normaux. C’est quelque chose de rassurant. Le Luxembourg reste assurément une place intéressante pour conclure des contrats d’assurance et y rester…»