Plus implantée dans les pays anglo-saxons, la tradition philanthropique a mis plus de temps à se structurer au Luxembourg. Bien présent, le mécénat a longtemps été une pratique discrète.
Toujours encadré par une loi de 1928 révisée en 1994, le mouvement philanthrope a bénéficié d’un coup de fouet avec la naissance de la Fondation de Luxembourg en décembre 2008, une structure abritant aujourd’hui 62 fondations, dont l’écrasante majorité (88 %) est initiée par des familles ou des particuliers isolés. Quatre fondations créées par des employeurs privés forment l’exception. Le déclencheur est souvent l’envie d’agir sur le bien-être de sa communauté. «Chaque fondation est une histoire différente. Chacune suit une démarche et une philosophie qui lui sont propres. C’est ce qui fait la richesse de la philanthropie», introduit Tonika Hirdman, directrice générale de la Fondation de Luxembourg.
Les sociétés sont nombreuses à mettre à disposition des fonds, mais aussi du temps et de l’expertise.
Tonika Hirdman, directrice générale de la Fondation de Luxembourg
Un point commun entre ces mécènes privés: ils utilisent leurs outils et leurs compétences au service des causes choisies. Leur niveau d’exigence par rapport aux projets sélectionnés est le même que pour leur business. «Très souvent, les entreprises choisissent un champ d’action proche de leurs domaines d’activité. Elles veillent au transfert de savoirs et de compétences. Les sociétés sont nombreuses à mettre à disposition des fonds, mais aussi du temps et de l’expertise. Leur suivi est très précis. Certaines ont recours à des auditeurs externes, d’autres s’en chargent elles-mêmes.»
Conçue comme projet d’entreprise, une fondation mobilise l’ensemble des collaborateurs et donne un sens différent à leur travail, puisqu’ils peuvent très souvent proposer des associations à soutenir. «Créer une fondation permet d’inscrire des dons dans une démarche globale et réfléchie. D’autant plus que les décisions stratégiques sont en majorité prises par le conseil d’administration de la firme.» Parmi la palette de thèmes, l’éducation, le développement durable, l’environnement et l’énergie se taillent la part du lion. La durée d’engagement varie entre trois ans et cinq ans pour les projets. La durée est de trois ans pour la fondation elle-même. Pour les entreprises abritées, qui allouent en moyenne 250.000 euros à leur fondation, l’encadrement de la Fondation de Luxembourg, facturé 7.500 euros/an, représente à la fois un gain de temps et de professionnalisme. «Nous leur assurons transparence, crédibilité et neutralité», affirme Tonika Hirdman. Dotée d’un réseau de plus en plus impressionnant, elle favorise également la rencontre entre fondations et le cofinancement de projets, permettant d’en multiplier l’impact. «Nous sommes des facilitateurs. La philanthropie progresse au Luxembourg, même si d’autres marchés sont bien plus avancés.»
Fondation Atoz (voir photo ci-dessus)
La première étape de la réflexion sociétale du cabinet de conseil fiscal Atoz a été de financer une chaire en fiscalité à l’Université du Luxembourg. «Créer une fondation nous a permis de cadrer nos actions en RSE sous un seul véhicule», introduit Fatah Boudjelida, managing partner Operations chez Atoz. «Être profitable sur un marché donne une responsabilité.» Choisir l’appui de la Fondation de Luxembourg était un choix naturel. «Son support nous donne une discipline, de la sérénité et du professionnalisme. La philanthropie est un métier qui ne s’improvise pas.» Environ 50% des projets soutenus sont menés à l’étranger, du Pérou au Maroc en passant par le Cambodge. «Nous n’avons pas de frontières définies.» Une bonne moitié est proposée par la fondation abritante. L’autre provient des collaborateurs eux-mêmes.
Nous n’avons pas de frontières définies.
Fatah Boudjelida, managing partner Operations chez Atoz
«Cette fondation est un ciment entre les gens. À chaque événement, nous ressentons un vrai engouement. Nos équipes sont encore plus fières d’appartenir au cabinet. Oui, nous sommes une entreprise dont le but est de faire du profit, mais nous agissons aussi pour le bien-être des populations.» L’éducation est le maître mot de la fondation. «C’est un des piliers de notre société. L’accès à la connaissance est un moteur de développement. Nous sommes convaincus que l’éducation passe d’abord par les jeunes filles.» En moyenne, chaque projet dure trois ans.
C’est aussi la durée de vie de la fondation, qui reçoit d’Atoz 1 million d’euros à chaque renouvellement. «Nous voulons aider à la détection d’un besoin. Il faut que la fondation puisse se retirer ensuite et agir ailleurs.»
Fondation Enovos
Créée en 2010 par le numéro un de l’énergie, la fondation s’est choisi la recherche de durabilité et l’efficience énergétique comme cadre de son action. Sous la présidence de Marc Solvi, elle s’engage notamment en faveur du progrès scientifique et des nouvelles technologies. «Des thèmes comme les énergies renouvelables et l’innovation sont des enjeux qui façonneront nos sociétés demain. Ce sont également deux piliers de la stratégie de Rifkin. On en a besoin pour que le Luxembourg soit dans le peloton de tête de la troisième révolution industrielle», note Jean Lucius, CEO d’Enovos International. «Quand on pense à Enovos, on pense sécurité énergétique et savoir-faire technique. J’aimerais que quand on réfléchit à la fondation, on ait la recherche de durabilité et de développement durable en tête.» La sensibilisation s’inscrit au cœur de l’approche de la fondation, qui travaille avec tout un réseau d’universités, de chercheurs, instituts et autres start-up.
J’aimerais que quand on réfléchit à la fondation, on ait la recherche de durabilité et de développement durable en tête.
Jean Lucius, CEO d’Enovos International
Mi-septembre, elle dévoilait «Secure», un projet d’efficacité énergétique mené par le List s’inscrivant dans la mouvance des smart cities. Financé à hauteur de 300.000 euros, il va bientôt permettre aux villes de mesurer et optimiser leur consommation d’énergie grâce à une plateforme logicielle. Un pilote à Esch a débuté début octobre. Dans les autres initiatives soutenues, on retrouve différentes recherches en matière d’énergie photovoltaïque, ainsi qu’un concours doté d’un prix d’excellence pour les étudiants ingénieurs.
Fondation Akuo
Seul acteur des quatre à ne pas être basé au Luxembourg, Akuo Energy est un producteur indépendant d’énergies renouvelables. Séduit par le dynamisme et la taille humaine de la Fondation de Luxembourg, le groupe français a choisi d’y abriter sa fondation, active dans la biodiversité, le changement climatique et l’éducation. Éric Scotto, CEO d’Akuo Energy et membre du comité de gestion d’Akuo Foundation, explique: «Nous avons créé une fondation dans un souci de transparence. C’est un modèle qui rassure et donne confiance à des donateurs potentiels. La Fondation de Luxembourg nous challenge. C’est à la fois un regard extérieur et un garde-fou. Bénéficier de l’appui de quelqu’un dont c’est le métier est plus qu’utile quand on débute.» Née en juin 2011, la fondation Akuo entreprend et soutient des projets de développement durable, sociaux et écologiques répartis dans ses différents lieux d’implantation. «Nous choisissons de soutenir un nombre limité de projets, dans l’idée de développer des partenariats à long terme, basés sur le dialogue et l’échange d’expertises. Nous ne souhaitons surtout pas entretenir une logique d’assistanat, mais agir pour l’autonomisation des populations concernées.»
Nous choisissons de soutenir un nombre limité de projets.
Éric Scotto, CEO d’Akuo Energy et membre du comité de gestion d’Akuo Foundation
Ainsi, les KPI sont coconstruits avec les porteurs de projet. Les 250 membres du groupe sont tous impliqués de près ou de loin dans la fondation. «Certains choisissent de lever des fonds, d’autres installent des panneaux solaires dans des écoles, d’autres encore mesurent la réalisation des projets sur le terrain.»
Fondation Mangrove
Première fondation d’entreprise à avoir choisi la supervision de l’ombrelle, la Fondation Mangrove, portée par les associés de Mangrove Capital Partners, se bat pour la préservation de la planète.
Un projet réussi crée un effet d’entraînement sur les collectivités locales.
David Waroquier, associé du VC luxembourgeois
«Nous avions réalisé que nous supportions les uns et les autres différentes causes sociétales et environnementales. Nous partagions le constat qu’il était urgent d’agir, maintenant et pour les générations futures», se remémore David Waroquier, associé du VC luxembourgeois et impliqué dans la gestion de la fondation aux côtés de Michael Rabinowicz et Mark Tluszcz. Dans ses actions menées dans le monde entier, la fondation s’attaque à deux enjeux-clés: la surpopulation et la protection de l’environnement. «Ces problématiques sont étroitement liées. Dans certaines zones du monde, l’activité humaine engendre de la déforestation, une raréfaction de l’eau potable, une surexploitation des ressources...» Les fondateurs appliquent leur regard d’investisseur sur les projets et leurs instigateurs. «Nous appliquons les mêmes techniques que pour choisir des sociétés innovantes. La différence est que le ROI se mesure à l’aune de l’impact sociétal. Un projet réussi crée un effet d’entraînement sur les collectivités locales. Nous veillons à ce que les projets puissent être répliqués et qu’ils soient durables.» Le soutien proposé n’est pas exclusivement financier, mais vise un partage de compétences. «Il est très important pour nous de nouer une collaboration soutenue avec les porteurs de projets. Cela nous amène souvent à nous impliquer personnellement et à aller sur le terrain.»