Monsieur Pabst, comment la stratégie IT est-elle pensée chez Allen & Overy?
«Il y a énormément de synergies à l’échelle du groupe. Les grands choix sont décidés au siège. Un IT board se charge de définir une stratégie commune et des standards de travail pour toutes les antennes. Composé du CFO, du CIO groupe et de toute une série d’associés, cet organe rassemble et traite toutes les demandes et propositions d’amélioration, de l’adoption de la VoIP au changement de version d’un logiciel financier. En parallèle, un infrastructure board, dont je fais partie, est responsable de valider les projets les plus techniques, par exemple, le choix d’une nouvelle version d’Exchange ou un changement de modèle de serveur. Une équipe dédiée à la veille technologique scrute toutes les nouveautés qui sortent sur le plan international.
Ensuite, un service consacré à l’IT delivery assure l’application concrète dans les différents pays des décisions stratégiques prises en amont. Enfin, chacun de ces piliers est chapeauté par un directeur groupe, lui-même secondé par des responsables de site, comme moi. Le support représente généralement une grande partie des activités locales.
Concrètement, comment les rapports entre l’IT au Luxembourg et la maison mère sont-ils organisés?
«Tout ce qui touche à l’IT se conçoit toujours selon ces deux niveaux de lecture. L’IT groupe mobilise 350 collaborateurs depuis Londres et Belfast. Chaque bureau national se charge d’assurer un support et une gestion de l’infrastructure. En général, l’effectif des départements varie entre trois et sept collaborateurs.
Au Luxembourg, nous sommes trois, dont une personne qui gère le helpdesk et une autre qui coordonne plutôt l’encadrement des utilisateurs. Les contacts sont forcément très fréquents avec le siège, notamment via les logiciels que nous utilisons. Chaque antenne apporte en retour son regard et sa contribution à l’effort d’efficacité collectif. Tenter d’adapter la stratégie globale aux contraintes locales est un défi constant.
Les avocats étant souvent amenés à travailler à distance, quel accès peuvent-ils avoir à vos systèmes?
«BlackBerry, extranet ou voix sur IP leur garantissent une mobilité optimale. Via des clés et des portables encryptés, ils ont accès à tout. Nous faisons entièrement confiance à nos collaborateurs, qui doivent pouvoir se connecter de n’importe où à nos systèmes. Ce n’est pas sans conséquence sur l’IT. L’environnement et le service délivré doivent être les mêmes partout, comme si on était au bureau. Le respect du secret professionnel est quelque chose de presque inné chez les avocats, qui disposent généralement d’une éthique professionnelle très solide. Dans une logique d’identité commune et d’harmonisation, les imprimantes et le processus de création de documents sont les mêmes dans toutes les filiales. Il nous faut en permanence jongler entre souplesse du système et sécurité, et assurer une disponibilité des systèmes très élevée en toute sérénité.
Quelle formation des end users effectuez-vous en interne?
«Tout le monde reçoit les mêmes outils, le même package global. Notre objectif est que chacun soit autonome et opérationnel le plus vite possible. Dès les premiers jours dans l’entreprise, un parcours de formation attend nos 95 avocats, ainsi que le personnel plus administratif. Nos collaborateurs produisent de nombreux documents. Dans une société globale comme la nôtre, cela impose notamment un même format dans tous les pays. Ce constat est le même pour les mails, les documents comptables, etc. Par souci de faisabilité, notre degré de standardisation est très élevé. Cela a un impact en termes de formation. Nous voulons que l’accompagnement soit très proche et qu’il y ait toujours quelqu’un de disponible pour répondre aux questions. Notre formatrice est la première personne qu’ils voient. Elle reste un point de contact. Dans tout projet, nous gardons en tête que nous avons deux populations en interne avec des besoins parfois très différents.
Avec autant de données sensibles à gérer, la sécurité est un de vos grands challenges. Quels sont les autres défis qui vous attendent?
«Assurer la sécurité des flux entrants et sortants est, en effet, de plus en plus compliqué. Or, la valeur d’un cabinet réside dans ses documents. Comme dans de nombreuses organisations, nous sommes victimes d’un nombre grandissant de tentatives d’attaques. Un de nos grands défis est d’assurer une permanence et une réactivité des systèmes 24h/24 et 7j/7. La mobilité grandissante de nos applications constitue un autre challenge actuel. Nous sommes dans l’instantanéité, tout doit toujours être plus rapide. Dans cette optique, nous devons prévoir, mettre à jour et gérer l’ensemble des équipements multimédia, des salles de conférence, le reporting, la gestion des accès, le scanning… Sur le plan environnemental, limiter notre empreinte écologique avec une consommation électrique raisonnable ou des impressions recto verso est un aussi un des défis majeurs.
«Par souci de faisabilité, notre degré de standardisation est très élevé.»
Quel peut être l’impact en termes de stockage?
«De par notre métier, nous devons presque tout conserver. Certains documents font plusieurs centaines de pages et sont très complexes. Le nombre de données que l’on stocke est exponentiel depuis des années et ne fera qu’augmenter. Pouvoir ressortir de la valeur ajoutée de cette masse brute est l’enjeu le plus crucial. Nous travaillons étroitement avec le département Know-how pour parvenir à classer, organiser et traiter tous nos documents pour que chacun puisse trouver lui-même ce dont il a besoin. Certains contrats ont été anonymisés pour être dupliqués.
Nous avons notamment créé un index pour offrir un autre niveau de lecture et retrouver plus rapidement les informations clés. Un énorme entrepôt de données, doté de multiples entrées, a également été bâti. Une personne par département est chargée de l’enrichir. Nos collaborateurs bougent, se ‘séniorisent’, changent de fonction voire de cabinet, il faut pouvoir conserver leurs connaissances. L’ensemble de nos données est hébergé dans nos deux data centers en Europe pour permettre des temps de latence très réduits.
Quelles sont les tâches qui vous occupent le plus au quotidien?
«Je pense que ce sont les imprévus qui me prennent le plus de temps. Garder le fil est un effort constant. Mon équipe doit gérer toute une série de tâches, dont la première est de veiller à la solidité de notre infrastructure. La responsabilité ultime est d’assurer la stabilité et l’efficacité des serveurs, mais aussi la fiabilité des postes de travail et la bonne marche de la téléphonie. Un de nos plus gros pôles est le support aux utilisateurs, notamment à travers notre service desk et des formations informatiques dispensées en interne. À côté de cela, le département IT œuvre à mettre en place des plans de continuité de reprise d’activité. Si je n’ai pas à proprement parler d’agenda-type, je me partage généralement entre toutes ces missions, tout en étant un point de contact pour nos associés, internationaux comme luxembourgeois. Je dois m’assurer que nos services soient en ligne avec la stratégie globale.
En outre, je gère notre réseau de fournisseurs, j’élabore et je contrôle notre budget. Le pôle Business services, que je chapeaute également, comporte la gestion du bâtiment, du volet real estate à la technique et maintenance, jusqu’au nettoyage et aux approvisionnements, mais aussi l’accueil client par le biais de notre réception.
«Les avocats n’ont pas le temps, ils ont besoin d’efficacité.»
Comment collaborez-vous avec les autres départements?
«Par essence, l’IT touche tous les membres du cabinet. L’ensemble de nos collaborateurs dispose d’un ordinateur et d’une adresse mail, y compris à l’accueil. Je dois dire que j’ai la chance que nos associés aient bien conscience de l’importance de disposer d’une infrastructure réactive et solide. En tant que CIO, ma responsabilité est de leur proposer les produits les plus adaptés pour soutenir leur stratégie. En ce sens, je dois aussi réfléchir en termes de rentabilité. Mon équipe doit constamment penser à des applications pratiques et des solutions qui puissent les aider à délivrer de meilleurs services. Cela passe automatiquement par une étroite collaboration avec tous les autres départements. Le Know-how est un de nos interlocuteurs récurrents. Nous travaillons notamment ensemble sur des bases de données à haute valeur ajoutée.
Quel suivi faites-vous des nouvelles technologies?
«Nous envisageons, à travers tout le groupe, la technologie comme un moyen d’être plus compétitifs par rapport à nos concurrents. Le projet Omnia, qui a été mis en place en 2004, constitue un bon exemple d’outil affiné continuellement. Il s’agit d’une plateforme utilisée par tous les employés, qui permet de classer tous les documents électroniques faisant partie d’un même dossier sous un label commun et de manière entièrement sécurisée. Elle nous aide à travailler plus efficacement.
Un autre projet qui me tient à cœur a été la création d’un calepin électronique, partagé en ligne, qui reprend tous les plannings d’audience et permet de répartir le travail. C’est quelque chose de simple, mais très utile dans la pratique. De manière générale, nous ne souhaitons pas essuyer les plâtres. La nouveauté pour la nouveauté ne nous intéresse pas. Nous sommes plutôt des followers et optons plutôt pour des technologies éprouvées et des éditeurs bien établis, comme Microsoft ou Hewlett-Packard, toujours disponibles en cas de problème. L’IT n’est pas notre fonds de commerce, ce n’est qu’un outil.
Comment l’IT a-t-elle évolué pour suivre la croissance du business?
«Le cabinet a bien grandi depuis mes débuts. Les avocats, comme les services de support, doivent produire beaucoup plus. De 40, on est passé à 147 collaborateurs. La structure IT a dû suivre. Quand je suis arrivé, nous gardions énormément de documents sous format papier. On archive désormais sans pièce, c’est une autre contrainte. Si au départ les échanges se faisaient par fax, aujourd’hui, tout se fait par mail. Toutes nos informations sensibles s’y trouvent. En proposant les bons outils et un service de support réactif, l’informatique est pour moi un vrai facteur d’augmentation de la rentabilité. Elle diminue non seulement les coûts, mais permet aussi de rationaliser les processus. Plus celle-ci est performante, plus nos collaborateurs peuvent se concentrer sur leur métier sans perdre une seconde, et sont donc mieux à même de répondre aux besoins de leurs clients. La plus grande raison d’être de notre département est de faciliter leur travail. Par définition, les avocats n’ont pas le temps, ils ont besoin d’efficacité et de fiabilité.
Quels sont les projets au programme pour 2015?
«Nous allons poursuivre la modernisation de nos équipements, qui représente un effort continu. Le projet Omnia va également être réorganisé pour mieux coller aux demandes actuelles et futures des utilisateurs. Affiner notre document management va aussi sans doute beaucoup nous occuper. Bientôt, nous allons abandonner nos BlackBerry pour des iPhone. Ce choix s’accompagnera certainement de nouvelles applications.
Comment pourriez-vous décrire le rôle d’un CIO?
«C’est un métier d’abnégation, qu’on ne doit pas choisir si on veut être dans la lumière. L’IT est un travail de fourmi. Sauf chez Google, ce n’est pas le département star, mais bien un service de support. Sa mission reste avant tout de faciliter le travail des autres. Quand on l’a compris, c’est un job passionnant.»
Parcours
«Nous voulons être un soutien fiable»
Après un DUT en informatique, Arnaud Pabst commence sa carrière comme développeur d’applications dans une SSII en 1990.
Après sept années riches en apprentissage, il choisit de rejoindre le secteur de la logistique en endossant la casquette d’informaticien. Dès 1999, il est engagé par Beghin Feider, qui prépare alors sa fusion avec Allen & Overy, avérée au tournant de 2000.
«Au départ, j’ai commencé pour monter un service de helpdesk. Nous étions dans un contexte de peur autour de l’an 2000. Avant cela, l’IT était externalisée. Le groupe a choisi de progressivement construire un département. Il y avait un fort besoin de contrôle en interne.»
Au sein de l’IT du cabinet depuis lors, il accepte la fonction d’IT manager en 2002, et voit les effectifs du cabinet progresser. La responsabilité du pôle Business services s’ajoute quelques années plus tard. «Nous voulons vraiment nous positionner comme un soutien fiable et régler les problèmes des utilisateurs par l’IT. Nous nous devons d’être disponibles. Comme dans d’autres métiers, nous devons être toujours plus efficaces.»