La compagnie de transport aérien luxembourgeoise embarque vers des cieux obscurs. (Photo : David Laurent / Wide/Archives)

La compagnie de transport aérien luxembourgeoise embarque vers des cieux obscurs. (Photo : David Laurent / Wide/Archives)

« Nous entrons dans une zone de fortes turbulences, veuillez serrer votre ceinture » : tel est en substance le message adressé par celui qui tient le manche chez Cargolux. Les résultats financiers n’étaient pas encore publiés que Frank Reimen, CEO, l’annonçait à ses collaborateurs : l’année 2011 a donné lieu à un déficit et il va falloir réduire les dépenses drastiquement.

Le contexte est hostile et les prévisions peu encourageantes. D’autres compagnies de fret cessent même leur activité, comme CargoItalia et Jade Cargo. « Nous nous préparons donc au pire en partant d’hypothèses de travail très conservatrices, au niveau du rendement et du tonnage », indiquait Frank Reimen au début du mois.

Un accord a donc été conclu avec les syndicats pour geler les embauches, favoriser les départs à la retraite anticipés, etc. Un comité de pilotage paritaire a également été institué pour conjointement diriger la société vers l’équilibre.

Mais les dépenses en personnel sont une goutte d’eau dans l’océan. Celles en carburant leur étaient, en 2010, trois fois supérieures (avec 661 millions d’euros), sachant que la société compte environ 1.500 employés.

Pour l’instant les deux principaux syndicats font preuve de compréhension au regard de la conjoncture et de la situation financière de l’employeur. Par exemple, Aloyse Kapweiler, secrétaire syndical responsable de l’aviation au LCGB, salue « la très bonne initiative de Frank Reimen de jouer la carte de la transparence ».

Mais leurs visions du nouvel actionnaire qatari – à hauteur de 35% - divergent, elles, sensiblement. Chez les syndicalistes chrétiens, on se veut pragmatique : « Seuls leurs actes et leurs conséquences sur les employés importent. » À l’OGBL, pour Hubert Hollerich, c’était choisir entre « la peste et le choléra ».

Si Richard Agutter, membre du conseil d’administration représentant les intérêts de Qatar Airways, avait déjà tenté de rassurer, certains commentateurs du dossier ne prêtent pas les mêmes intentions aux Qataris et parlent même de possible « cannibalisation ».

Ce n’est pas le terme employé par Hubert Hollerich, mais l’intéressé signale quand même que la compagnie du Golfe et celle du Grand-Duché demeurent des concurrentes : « Ils nous piquent du tonnage. Il n’est pas normal que la marchandise de DB Schenker (qui fait partie des cinq plus gros clients de Cargolux, ndlr.), se retrouve dans les avions de Qatar Airways », s’exclame-t-il. De tels échanges peuvent faire partie de la mise en œuvre du partenariat commercial signé entre les deux compagnies.

Dan Thisdell, journaliste spécialisé dans l’étude du marché de l’aviation chez Flight International, explique la prise de participation de compagnies en pleine expansion dans des compagnies moins rentables, par la volonté d’accéder à de nouvelles routes et à des créneaux d’atterrissage et de décollage. « L’exemple d’Etihad Airways rachetant une partie d’Air Berlin pour échanger les routes est comparable et augure un résultat gagnant-gagnant. »
Pour Cargolux, le Golfe Persique est une locali­sation rêvée pour un hub servant à connecter l’Europe ou la côte Est des États-Unis avec l’Asie. En échange, la compagnie luxembourgeoise apportera à son nouveau partenaire du Moyen Orient un savoir-faire pour l’aménagement dudit hub et de nouvelles routes vers le continent nord-américain.Les potentielles synergies et les pertes envisagées expliquent partiellement le prix modéré, 120 millions de dollars, de l’acquisition de 35 % de ses parts.

Jeu d’influence

Une lutte de pouvoir est néanmoins engagée entre l’Émirat et le Grand-Duché, chacun cherchant à placer ses pions. Akbar Al Baker a réussi à faire nommer un CFO, Richard Forson, qui avait déjà travaillé à son service. L’État luxembourgeois est en train d’installer Paul Helminger, député DP et ancien bourgmestre de Luxembourg, à la présidence du conseil d’administration, en remplacement d’Albert Wildgen. Et le climat n’est pas des plus paisibles. Cargolux n’a pas fait appel à une recapitalisation, car elle est maintenue à flot grâce à la vente de deux « vieux » 747-4F en 2011. Mais cette éventualité n’est pas complètement écartée et, le cas échéant, les Qataris ne manqueraient pas de placer des conditions dans leurs valises de billets. Selon nos sources en effet, Akbar Al Baker aurait profité de la venue des ministres Frieden (Finances) et Wiseler (Transports), à Doha, pour parler d’une éventuelle restructuration. L’assemblée générale ordinaire et le conseil d’administration qui se tiendront le 28 mars se prononceront sur ces dossiers brûlants.