Monsieur Schumacher, quelle est la brique la plus importante de votre système d’information?
«Il s’agit bien entendu de notre logiciel de gestion des enquêtes. Il doit être capable de gérer trois voies de saisie: par téléphone, par Internet et par entretien en face à face. TNS-Ilres a été fondé en 1978, sous le nom d’Ilres, et nous avons introduit dès 1990 ce que nous avons appelé le Cati (pour Computer assisted telephone interviewing). Internet n’était pas encore à l’ordre du jour, mais il s’agissait déjà d’utiliser l’informatique pour améliorer la rapidité, l’efficacité et la qualité de notre prestation de services.
En tant que société faisant partie d’un groupe international, vos choix technologiques sont-ils ‘limités’, ou ‘imposés’ par la maison-mère?
«Nous faisons certes partie d’un groupe international, mais le fait est qu’il ne nous impose pas de choix technologiques globaux. Sur certaines solutions, il nous permet de mieux négocier ou d’avoir accès à des prix globaux. Il faut reconnaître que lorsque l’on contacte un fournisseur, s’appeler TNS-Ilres plutôt que simplement Ilres, cela apporte beaucoup…
Avec la masse de données que vous créez et manipulez, comment gérez-vous les aspects de sécurité?
«Comme toutes les entreprises, nous avons une politique sécurité informatique… Il faut cependant relativiser: par rapport à des banques ou à de très grosses structures, nos besoins restent raisonnables. Nous faisons tout pour protéger les données de nos clients et de nos sondés et nous avons mis en œuvre, à cet effet, un certain nombre de solutions. Toutes les données sur nos portables sont encryptées et l’on ne peut pas utiliser des périphériques, comme les clés USB ou les disques durs externes non encryptés. Tous nos postes sont configurés pour respecter la charte de sécurité du National Institute of Standards and Technology, qui est une agence du ministère américain du commerce.
Y a-t-il des besoins ou des défis propres au Luxembourg, en comparaison avec d’autres pays?
«Le Luxembourg a des défis à relever qu’aucun autre pays du groupe ne rencontre. Ici, si jamais après avoir contacté 10.000 personnes, nous n’avons pas atteint les quotas, nous devons rappeler certaines personnes, trouver d’autres numéros à appeler. Dans les autres pays, ils n’ont aucune difficulté à remplir leurs quotas... Aux Etats-Unis, pour prendre l’autre extrême, il y a assez de monde. Imaginez, sur les plus de 300.000 millions d’habitants, en trouver même 30.000 est beaucoup plus simple… Les défis à relever pour le Luxembourg sont plus sensibles lorsque nous participons à des projets internationaux. En effet, nos interlocuteurs ne rendent souvent pas compte de la taille de notre pays et c’est pourquoi certains échantillons sont difficiles à compléter.
Pour remettre la différence d’échelle en perspective, il faut rappeler quelques chiffres. Le Luxembourg compte environ 500.000 habitants et 172.000 ménages. En contacter 10.000 pour une enquête… c’est énorme! Il est crucial de bien gérer les appels. Les grands pays n’ont pas ce problème.
Est-ce que le développement d’Internet vous aide dans vos enquêtes?
«Internet est devenu un outil primordial dans la réalisation des enquêtes. Nous en sommes conscients et c’est pourquoi nous avons adapté, en collaboration avec notre fournisseur, nos techniques d’enquête à l’Internet. Nous avons ainsi mis en place trois techniques complémentaires. Il y a d’abord MyPanel. C’est un panel de répondants en ligne, créé en 2006. Il compte actuellement plus de 10.000 membres actifs. Cet outil est devenu essentiel: il permet la réalisation de sondages dans un temps réduit… Et le logiciel qu’il utilise nous permet une gestion parfaite des échantillons, similaire à celle des enquêtes téléphoniques.
Ensuite, nous avons Cati@home. C’est un système d’enquêtes téléphoniques, par lequel les enquêteurs peuvent travailler depuis leur domicile. C’est un logiciel qui tourne sous Windows et qui connecte les utilisateurs avec notre Intranet. Ils ont simplement besoin d’un ordinateur. Le système nous permet de gérer nos enquêteurs indépendants à distance.
Enfin, il y a le Capi. C’est l’outil pour les enquêtes en face à face, assistées par ordinateur. Nous fournissons aux enquêteurs indépendants des ordinateurs leur permettant de réaliser ces sondages. La connexion Internet permet le transfert automatique des données.
Nous avons reconfiguré les laptops pour qu’ils soient les plus ‘légers’ possibles: il n’y a que le bouton ‘Démarrer’ et l’application disponible pour l’utilisateur… Nous avons réduit la taille prise par Windows XP à un quart de sa taille initiale… Cela permet d’éviter que ces laptops ne soient utilisés à d’autres fins que celles prévues, cela les rend les plus stables possibles, et enfin cela permet d’avoir une autonomie maximale.L’année 2009 a été celle de la bascule: nous avons reçu plus de réponses via Internet que via les moyens classiques d’enquête…
Quelles ont été les dernières initiatives dans ce domaine?
«C’est le 7 mai que nous avons commencé à envoyer nos enquêteurs sur le terrain avec le Capi. Cela améliore la qualité et la vitesse de saisie des réponses: les ordinateurs portables sont équipés de cartes SIM, donc ils sont connectés en permanence. Ce système nous permet de gérer les adresses d’enquête, de façon à ce que chaque résident ait une possibilité d’être interrogé. Cela permet une bonne répartition géographique de nos enquêteurs.
Revenons sur la question des appels… Comment trouvez-vous les numéros que vous appelez pour vos enquêtes téléphoniques?
«C’est un de nos grands chantiers permanents… Le passage, il y a quelques années, de 6 à 8 chiffres, a été un défi en soi. En fait, nous choisissons les numéros que nous appelons de manière aléatoire, dans une base que nous générons nous-mêmes. Ceci alors que de plus en plus d’habitants du Grand-duché abandonnent leur ligne téléphonique classique pour de la voix sur IP ou uniquement un GSM. C’est un défi sans cesse renouvelé.
C’est-à-dire? Comment se passent les appels que vous effectuez?
«Nous avons une base de données contenant des numéros publics. Sur cette base nous fabriquons, via un algorithme, de nouveaux numéros, que nous appelons. Certains existent, d’autres non… Concrètement, lorsqu’un opérateur se connecte au système d’enquête, il saisit un code projet ou on lui en assigne un d’office. Le système d’appel commence alors à appeler automatiquement des numéros. Lorsque l’appel est fait sur un numéro ‘qui existe’, il procède au transfert vers le poste de notre opérateur, en lien avec le questionnaire structuré de l’entretien à réaliser. Lorsque l’on s’approche de la fin du questionnaire, le système est notifié et commence déjà à chercher un nouveau numéro à appeler. L’idée est de laisser s’écouler le moins de temps possible entre un appel et un autre.
L’année dernière, nous avons appelé 1,9 million de numéros. En 2006, nous n’en étions qu’à 500.000. Il faut être capable de suivre la montée en charge... et d’améliorer notre efficacité pour rester compétitif. Il faut savoir gérer le volume, et savoir le faire de manière rigoureuse. Nos systèmes respectent les normes de la Direct Marketing Association et de l’Esomar, une autre association professionnelle.
Que deviennent les numéros qui ont été appelés?
«Ils sont mis sur différentes listes. Celle des personnes ayant répondu, mais qui ne veulent pas être appelées trop souvent; celle des personnes qui ne pouvaient pas répondre à ce moment-là mais veulent bien être rappelées; ou encore la blacklist, qui regroupe ceux qui ne veulent plus être appelés. Et enfin la liste de ceux qui veulent bien être appelés régulièrement, qui se sont inscrits volontairement dans notre panel.Les numéros sont conservés dans une base de données non liée aux réponses. Nous ne sommes en aucun cas capables d’établir le lien entre répondant et données. Notre système nous permet simplement de ne pas les rappeler pendant une certaine période.
Je suppose qu’il doit exister des liens entre les systèmes et les besoins de l’étude, selon la fameuse méthode des ‘quotas’?
«Oui, nous pouvons configurer les outils pour être en rapport avec les quotas. On sait ce que l’on veut obtenir... 51% de femmes, 49% d’hommes. C’est pourquoi, au début de chacun de nos questionnaires, nous posons des questions qui permettent de vérifier les quotas. Si la personne ne fait pas partie des quotas, nous la remercions et nous ne continuons pas l’enquête avec elle. Dans ce cas, notre système recherche un nouveau numéro. La méthode des quotas est importante: elle nous permet de garantir des échantillons représentatifs de la population.
Quelles sont les prochaines étapes?
«Il s’agit toujours d’un travail autour d’Internet, mais d’une autre nature. Il s’agit des enquêtes dans le domaine du ‘social media’: les blogs, Facebook... Autant de données à collecter et à analyser. Quels sont les termes utilisés? Comment sont-ils combinés? Un client nous a demandé l’année dernière: comment réagissent les internautes? Que disent-ils?Nous sommes en train de rechercher des solutions ‘scientifiques’: pour trouver les réponses à ces questions. Notre grand problème, c’est l’aspect multilingue du Luxembourg. Sans oublier l’aspect encore un peu ‘libre’ de l’orthographe luxembourgeoise... Selon les régions, il y aura des termes différents pour signifier la même chose, et des manières d’écrire différentes. On sait ce que l’on doit trouver, on cherche comment y parvenir.»
CV5 ans d’ancienneté
Agé de 33 ans, Serge Schumacher acommencé sa carrière chez Telecontact, un centre d’appel avec 130 postes. «J’étais entré comme ‘premier informaticien’. Je transportais les PC, m’occupais de l’informatique en général et commençais à programmer les premiers outils de gestion des numéros, le reporting sur les opérations du call center, et tout ce genre de choses.» Après la fermeture de la société en 2005, il est arrivé chez TNS-Ilres où il occupe aujourd’hui la fonction d’ICT manager. «L’informatique a cela de bien que si l’on est motivé, on peut apprendre beaucoup de choses sur le terrain, en plus de pouvoir se former soi-même. On apprend aussi en rencontrant les responsables des autres filiales du groupe. Cet aspect terrain est très utile aujourd’hui… Je pense que si l’on arrive à motiver et à convaincre les gens, cela apporte le petit plus qu’il faudrait toujours trouver. Ce qui ne veut pas dire qu’une société est une démocratie… Il faut encore décider.» B.Pa.