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Il y a bon nombre d’années que le Luxembourg a reconnu l’importance du marché chinois, et qu’il a été capable d’attirer les principales banques chinoises, qui utilisent le pays comme plateforme pour accéder à leurs clients européens et leur fournir des services. Après la crise financière, le monde a assisté à une autonomie croissante des pays asiatiques qui commencent à agir de façon totalement indépendante. Cet état de choses va avoir des conséquences pour les Etat-Unis et l’Europe. Mais si le Grand-Duché arrive à bien jouer ses cartes, il pourra trouver des opportunités et en profiter, car le pays dispose d’un atout strategique: une marque reconnue au niveau mondial, qui de surcroît ne peut pas être facilement piratée. Encore une fois ce pays de taille modeste a l’opportunité de jouer son match parmi les grands, sous le signe de l’excellence.

«En continuant à maintenir un taux de change rigide, la Chine empêche les ajustements nécessaires à assurer la croissance globale solide et durable dont nous avons besoin», a lancé le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, lors de son audition devant le comité bancaire du Sénat américain. Il a durci le ton en reprochant à la Chine d’encourager la délocalisation de la production et des emplois hors des Etats-Unis. Le secrétaire au Trésor à choisi un langage inhabituellement musclé sur la responsabilité de la Chine dans les déséquilibres mondiaux.
Le sénateur Christopher Dodd, président du comité bancaire du Sénat, affirme, désolé: «Désormais la Chine fait ce qu’elle veut.» Mais il n’y a pas que les Chinois. Le Japon aussi. Mercredi 15 septembre, sur les marchés mondiaux, on a assisté à une action en tenaille contre les devises occidentales, le dollar et l’euro. Le Japon a vendu massivement des yens sur les marchés afin d’abaisser sa valeur qui venait d’atteindre son plus haut niveau en 15 ans face au dollar.

Au chef de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, qui a critiqué ces interventions unilatérales, s’oppose le Premier ministre japonais, Naoto Kan, qui a affirmé clairement que le Japon interviendrait de nouveau directement sur les marchés des changes si nécessaire, afin d’affaiblir le yen si sa valeur remontait trop vite.

Ce n’est pas un cas isolé. Désormais, l’Asie est de plus en plus autonome. Pas nécessairement contre les Etats-Unis ou l’Europe, mais pas pour autant avec nous. Pour la première fois, nous assistons à une autonomie croissante des pays asiatiques qui commencent à agir en totale indépendance, quel que soit l’avis des Etats-Unis.

Le fait que les autorités monétaires chinoises et japonaises soient intervenues en faveur de leurs monnaies et économies aurait été impensable il y a quelques années. Il y a 25 ans, l’administration Reagan réussit à forcer le Japon à accepter de laisser le yen s’apprécier face au dollar. Le Japon était un pays qui dépendait totalement de la demande étrangère. Ce diktat avait permis une amélioration de l’économie américaine: grâce à la faiblesse du dollar, les Etats-Unis ont pu faire redémarrer les exportations et réduire le déficit.
Aujourd’hui, le contexte est fort différent. Les actions de la Chine ne sont pas le résultat des pressions étrangères, auxquelles elle est insensible. La question de savoir si le yuan sera réévalué dépendra uniquement de quand la Chine pense pouvoir en bénéficier. Elle ne le fera pas pour faire plaisir à l’Occident.

Les pays asiatiques ont appris la leçon du passé récent. En 1997, la crise des économies asiatiques s’est développée avec les fluctuations non contrôlées des cours des changes. Dans les dernières dix années, en profitant de la croissance mondiale et de l’élargissement de l’OMC, elles ont commencé à accumuler des réserves en dollars. De cette façon, elles sont devenues presque insensibles au risque de contagion. Beijing, Seoul et Tokyo sont les plus importants clients du département du Trésor des Etats-Unis.

Mais il n’y a pas que le cours des devises. La deuxième ligne du front qui sépare la Chine et les pays occidentaux se décline en termes de technologie et de know-how. L’affirmation de M. Geithner, que la Chine tolère le vol de technologies occidentales, n’est pas tout à fait exacte. Le gouvernement chinois est en train d’organiser une nationalisation du know-how des entreprises étrangères.

Le secteur de l’automobile en est un exemple. Une nouvelle norme va obliger les producteurs d’automobiles étrangers à divulguer leurs technologies écologiques, condition nécessaire pour avoir accès au marché chinois. La Chine ne veut pas être dépendante de technologies occidentales et elle organise donc un échange.

L’accessibilité au know-how va de pair avec l’accessibilité au marché chinois: 1,3 milliard de consommateurs, la plus vaste classe moyenne du globe. En ce qui concerne le secteur automobile, cela concerne 40 millions de voitures par an en 2020, soit le double du marché américain d’avant la crise (aujourd’hui nous sommes à 12 millions par an). Ceux qui n’acceptent pas de partager avec leur partenaire chinois l’expertise et le know-how risquent de rester en marge du plus grand marché mondial. Cette approche est transversale. Siemens, BASF, General Electric peuvent le confirmer, mais aussi les banques et les entreprises financières.

Récemment, il y a eu une mission chinoise à Luxembourg. C’était un moment très important de connaissance réciproque, pour comprendre quel développement nous verrons dans le futur, pour se convaincre que nous ne pourrons pas empêcher l’avènement de certaines choses dans les prochaines années. Mais aussi pour comprendre qu’un petit pays comme le Luxembourg peut offrir quelque chose que les autres grands pays ne pourront ni avoir ni développer facilement.

D'un côté, les maisons mères des sociétés de gestion et des banques basées à Luxembourg ne pourront pas renoncer au marché chinois (taux d’épargne des ménages de plus de 30% par rapport au revenu disponible, qui s’ajoute à une croissance du PIB d’environ 10%) et devront accepter un transfert d’expérience vers la Chine, où la taille du marché des fonds d’investissement s'est fortement agrandie en passant de 59 fonds en 2001 à 618 en juin 2010. En contrepartie, l’Empire du milieu ne pourra pas aller à la conquête du monde financier avec ses fonds d’investissement et ses banques localisées à l’intérieur de ses frontières.

La Chine et les Etats-Unis sont, dans ce contexte, plus similaires que ce qu’on pourrait penser. Deux grands marchés presque impénétrables pour les produits financiers étrangers, mais aussi pratiquement incapables d’exporter leurs fonds d’investissement. Le Luxembourg avec ses fonds Ucits dispose d’une marque reconnue au niveau mondial qu’il sera difficile de pirater. De plus, il faut y ajouter les structures sociétaires et surtout la capacité toute luxembourgeoise de gérer plusieurs juridictions, un élément à même d’attirer les capitaux des high net worth individuals, en particulier de ceux en provenance des pays émergents.

Encore une fois, il n’y a pas d’intérêt à entrer en compétition avec les autres hubs du private banking, qu’ils soient classiques ou émergents (Suisse, Hong Kong et Singapour). Il s’agit plutôt de les dépasser en accélérant sur un terrain où le Luxembourg dispose d’un avantage compétitif et d’une expérience pouvant consolider son image de centre d’excellence.