Table ronde avec les présidents et vice-présidents de Design Luxembourg et MarkCom, les deux fédérations représentatives des métiers de la communication au Luxembourg.
Lorsque les frémissements d'une reprise économique se font de plus en plus sentir, le marché de la communication et de la publicité au Luxembourg est un des premiers à en bénéficier. Comment les acteurs du marché ressentent-ils cette reprise d'activité? Quelles sont leurs priorités et leurs attentes pour l'année 2006 et les suivantes? La Fédération luxembourgeoise des agences-conseils en communication, la MarkCom (par la voix de sa présidente, Heike Fries et de son vice-président, Pol Goetzinger), et Design Luxembourg, qui regroupe tous les indépendants, travaillant seuls ou en studios, dans différents domaines de la communication visuelle (via ses président et vice-pprésident Tom Gloesener et Guido Wolff), se sont prêtés au jeu d'une rencontre informelle pour établir un état des lieux de la situation. Morceaux choisis.
Il y a un peu plus d'un an disparaissait la Fédération des Professionnels de la Communication. Comment vivez-vous, aujourd'hui, cet "après F/P/C"?
Pol Goetzinger: "Le bon côté des choses est aussi que la collaboration entre Design Luxembourg et la MarkCom commence à porter ses fruits. Nous avons des atomes crochus et nous sommes sur la même longueur d'onde sur la majorité des dossiers.
Guido Wolff: "On peut même dire qu'à partir du moment où la F/P/C n'a plus existé, nos relations n'en ont été que meilleures.
Heike Fries: "Il y avait aussi un problème de double emploi, car de nombreux dossiers sur lesquels nous avions à nous prononcer avaient déjà été traités au niveau des comités spécifiques à chacune des fédérations. Or, l'une des principales occupations de la F/P/C était, tout de même, l'organisation des Trophées.
Que retiendrez-vous finalement de 2005?
Pol Goetzinger: "On peut considérer 2005 comme une année charnière, qui nous a permis de remonter la pente après une période plus délicate. L'année a été plutôt bonne, pour la qualité du travail et les volumes investis. Tom Gloesener: "Cela nous donne de bonnes bases pour continuer 2006 sur la même lancée. Et même si les membres de Design n'ont pas le profil de clientèle identique à ceux de la MarkCom, nous ressentons aussi le mouvement.
Pensez-vous que les entreprises sont, aujourd'hui, moins frileuses qu'hier?
Pol Goetzinger: "Je pense plutôt que nos clients ont enfin bouclé leurs processus de réflexion et souhaitent passer à l'action de façon réfléchie et stratégique. Ils ont bien analysé la meilleure façon de réagir à la crise du début 2000, au cours desquelles les budgets étaient effectivement en repli. Aujourd'hui, ils sont prêts à avoir des propositions qui tiennent debout. Du côté des agences, nous avons été en mesure d'affûter notre offre de services. Aujourd'hui, on ne peut évidemment plus se limiter à une approche de type "mass media". Il faut qu'elle soit plus pointue, plus intelligente et plus complète, intégrant également des indicateurs de réussite. Il est important de pouvoir mesurer une sorte de "ROI" marketing, mélangé avec davantage de sondages, afin de mieux savoir ce que veut vraiment le consommateur final. Alors, seulement, on peut imaginer lancer l'artillerie intégrée de la communication.
Guido Wolff: "L'un des principaux enseignements de cette année est que nos clients ont, en effet, remarqué qu'il n'était plus temps d'épargner sur les budgets publicitaires. Aujourd'hui, il y a une réelle prise de conscience que le marketing, la communication et le design sont autant de branches à part entière dans la vie de l'entreprise, au même titre que les ressources humaines ou la direction financière. Dans ce cadre-là, MarkCom et Design ont évidemment un rôle très important à jouer.
Heike Fries: "Sans doute la période de crise a-t-elle été bénéfique pour tout le monde. Elle a permis de faire davantage réfléchir les annonceurs et devenir plus professionnel.
Tom Gloesener: "D"une certaine façon, nous l'avons vécue comme un restart du marché de cette branche d'activité.
La multiplication des médias à votre disposition ne constitue-t-elle pas un facteur de multiplication de la difficulté à mener une campagne de communication'
Pol Goetzinger: "Au contraire, je pense que multiplier les médias multiplie aussi les opportunités. Que ce soit marketing alternatif, word ou mouth marketing (WOM), ou le smart mobbing, nous nous engageons à rester state of the art et, ainsi, permettre à nos clients d'utiliser des budgets plus petits pour avoir des résultats plus cohérents... Regardez la campagne Ils arrivent des CFL, le budget était ridicule. Tout le concept était basé sur de l'online et les relations publiques, qui ont créé une fédération de supporters de cette action, afin d'amplifier l'impact des messages.
Heike Fries: "Nous travaillons aussi avec l'Association européenne des agences de communication, afin de voir quelles sont les initiatives qu'il est possible de prendre. Car au-delà de cet aspect des supports, il y a tout un volet réglementaire qui entre en jeu et il est important d'informer tous nos membres sur les directives européennes qui existent et qui peuvent menacer nos clients... On parle beaucoup du tabac ou de l'alcool, mais il y a aussi de nouvelles dispositions pour les yaourts, par exemple: il n'est plus autorisé de dire que tel ou tel yaourt est un produit sain... Ces restrictions vont de plus en plus loin et concernent de plus en plus de produits et services différents. Il faut rester attentif à tout cela aussi.
Avez-vous le sentiment que la nature même de vos métiers respectifs est perçue avec justesse par vos clients?
Tom Gloesener: "Il est vrai que nous sommes confrontés à un réel problème: nous ne disposons pas de définition officielle de nos métiers. Aucune recherche n'est effectuée à ce sujet sur ce qu'est une agence de publicité, une agence de communication, un designer, etc. Il y a, en la matière, bon nombre de fausses idées, même auprès du gouvernement... Comment peut-on, dès lors, nous comprendre si on ne sait pas qui nous sommes? Actuellement, Design Luxembourg travaille avec les associations de design en Allemagne, en Pologne, en Autriche et en France, sur la définition du métier de designer, dans le cadre d'un projet européen Leonardo. Cela concerne aussi bien le métier en lui-même que les formations qu'il requiert. Le dossier doit être déposé devant la Commission européenne et pourrait très bien, à terme, être transformé en directive.
Pol Goetzinger: "Il y a eu aussi une prise de conscience qui est née de la récente loi sur l'accès à la profession. à l'époque, nous avons été un peu pris de court, parce que nos deux fédérations auraient dû s"impliquer davantage dans la rédaction de ce texte. Mais il n'y avait alors pas les mêmes acteurs. Si nous étions dans la même situation aujourd'hui, nous réagirions sans doute différemment. à notre niveau, aussi, nous essayons de faire un certain nombre de propositions, avec l'Association européenne des agences de communication, afin qu'un niveau minimum de formation soit requis dans notre profession. Il est, par exemple, indispensable de revoir les formations de type BTS. Les jeunes qui sortent du BTS Marketing nécessitent une formation supplémentaire on the job d'un minimum de 18 mois avant d'être vraiment opérationnels.
Guido Wolff: "Aujourd'hui, on peut aussi constater que les élèves du Lycée technique des Arts et Métiers section graphisme ne sont pas du tout prêts à entrer sur le marché du travail au sortir de leur école. Ils doivent donc à tout prix parfaire leur formation à l'étranger et il faut vraiment les pousser à le faire.
Heike Fries: "Nous regardons aussi ce qui se fait en Allemagne, où il existe des formations et des apprentissages. Nous essayons de voir ce qu'il est possible de proposer ici et nous avons prévu une rencontre avec l'université, qui pourrait être un des partenaires d'un réseau international, avec l'Italie, l'Espagne, la France ou la Grande-Bretagne. Ce serait vraiment une formation internationale novatrice. Guido Wolff: "Il est vraiment dommage de constater que le gouvernement ne se rende pas vraiment compte de l'importance de l'approche économique du design.
Vous aviez, justement, rencontré le ministre de l'Économie Jeannot Krecké, au mois de septembre, pour lui faire part de vos réflexions quant à l'impact économique du design au Luxembourg. Que s"est-il passé depuis?
Tom Gloesener: "Dans la continuité de ce rendez-vous, il y a eu une amorce de discussion avec l'agence Luxinnovation, qui est intéressée pour travailler et collaborer avec nos designers, mais pas nécessairement dans le domaine du graphic design.
Guido Wolff: "Luxinnovation est seulement là pour la partie subventions et pour regarder l'innovation technique. Or, je pense que dans tous les domaines du design, l'innovation n'est pas que technique. Peut-être devrions-nous rencontrer à nouveau le ministre Krecké pour en parler.
Tom Gloesener: "Sa présence à l'occasion des Awards lui permettra peut-être de voir ce qu'est le graphic design et peut-être sera-t-il davantage sensibilisé par la suite. En tous les cas, le dialogue est amorcé et le ministère de l'économie n'a pas caché que l'un des sujets majeurs actuels concerne la propriété intellectuelle. Dans tous les pays de l'Union européenne, il y a une agence nationale de promotion du design. En Grande-Bretagne, par exemple, le design counsil existe depuis les années 60 et a été créé par l'État lui-même. Et il est capable de montrer, chiffres à l'appui, l'impact de l'utilisation du design sur le chiffre d'affaires.
uido Wolff: "Tous les pays membres du BEDA (Bureau of european design associations, www.beda.org, ndlr) ont une agence nationale de promotion de design. Sauf le Luxembourg...
Quelles seront vos priorités pour 2006?
Pol Goetzinger: "Nous allons diffuser plus largement le vade-mecum que nous avons publié en 2005 sur notre site Internet. Nous avons prévu un grand road show, tant au Luxembourg que dans la Grande Région.
Parmi les points sensibles que vous souhaitez aborder, il y a la problématique des concours. Comment jugez-vous la situation en la matière au Luxembourg?
Pol Goetzinger: "Elle est encore très insuffisante. Nous avions participé, en 2004, à un concours pour une grande entreprise du secteur des télécoms. Nous n'avons plus eu de nouvelles depuis... Dans un autre cas, une société d'assurances avait organisé, fin 2004, un concours d'agence puis n'a plus donné de suites et en a finalement organisé un second 14 mois après, sans revenir sur le premier ni inviter les mêmes players...
Heike Fries: "Il y a aussi le cas où l'on reçoit, dans une enveloppe, une fiche descriptive du concours, sans aucune autre indication ni même une lettre d'accompagnement. C"est un manque total de considération pour le travail de l'agence.
Pol Goetzinger: "Le problème est que, au Luxembourg, les fédérations professionnelles sont encore trop peu sollicitées dans le cadre de l'organisation de ces concours. Heureusement, il y a tout de même des références en la matière, comme le concours organisé par Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la Culture 2007. Pourtant, une telle approche devrait constituer la routine et faciliterait grandement le travail de tout le monde, aussi bien les acteurs publics ou privés que les agences. Car les responsables des fédérations connaissent très bien les forces et faiblesses de leurs propres membres...
Tom Gloesener: "Chez Design Luxembourg, nous restons assez réservés au sujet des concours. Du reste, les grandes fédérations étrangères recommandent de ne pas participer à ces concours, qui sont en général des pertes de temps et d'argent et ne rapportent finalement rien à personne.
Guido Wolff: "Ce manque de considération de la profession, on le retrouve malheureusement au niveau des grandes administrations nationales ou locales. Le ministère de la Culture, par exemple, avait lancé un concours l'année dernière dans des conditions peu correctes. Nous avons cherché, avec la MarkCom, à les contacter par la suite pour en parler. Nous attendons toujours une réponse. Même chose avec la Ville de Luxembourg. On sent vraiment un manque de respect envers nous.
Comment gagner ce respect, selon vous?
Tom Gloesener: "La première étape est de créer un dialogue plus approfondi et ce sera le but du road show que nous allons organiser cette année. Nous allons solliciter des rendez-vous avec les grandes entreprises, le Service Information et Presse du gouvernement, les ministères et les villes. Et pourquoi pas élaborer, tous ensemble, une charte reconnue par tous.
Pol Goetzinger: "L'arme la plus redoutable qui est à notre disposition, c'est clairement l'ouverture d'esprit et la recherche permanente de dialogue. Nous ne sommes pas là pour critiquer sans arrêt. Au contraire, au travers du vade-mecum et de l'énergie que MarkCom et Design Luxembourg déploient, nous sommes prêts à faire avancer les choses, en participant, notamment, plus systématiquement aux jurys d'évaluation des concours".