Le Barreau ne veut plus que les aspirants avocats doivent justifier de leur maîtrise de l’allemand et du luxembourgeois pour accéder à la liste I des avocats à la Cour. Mais en attendant une modification législative, les tests sont toujours obligatoires. (Photo : Christophe Olinger / archives)

Le Barreau ne veut plus que les aspirants avocats doivent justifier de leur maîtrise de l’allemand et du luxembourgeois pour accéder à la liste I des avocats à la Cour. Mais en attendant une modification législative, les tests sont toujours obligatoires. (Photo : Christophe Olinger / archives)

La maîtrise des langues du pays reste un véritable casse-tête pour le Conseil de l’ordre des avocats au Luxembourg. Elle ne figure que depuis la modification en 2002 dans la loi du 11 août 1991 sur la profession d’avocat, mais elle a rapidement été dénoncée par la Commission européenne au titre de la directive 98/5/CE consacrant le droit d’établissement des avocats.

Rappelé à l’ordre par la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne en 2006, le Grand-Duché a dû supprimer les barrières linguistiques imposées aux avocats européens souhaitant s’installer sur son territoire.

Après un projet de loi jugé insuffisant par Bruxelles et d’âpres débats à la Chambre, les députés ont finalement adopté la loi du 13 juin 2013 fixant le niveau de langues requis en allemand et en luxembourgeois et aménageant une dérogation pour les avocats issus de l’UE: ils peuvent exercer au Luxembourg sous leur titre d’origine en intégrant la liste IV du Barreau et rejoindront automatiquement la liste I, celle des avocats à la Cour, au bout de trois ans d’exercice au Grand-Duché. Ils n’ont pas à justifier de la connaissance des trois langues officielles, comme les candidats au certificat d’aptitude délivré par le ministère de la Justice.

Une tolérance forcée à l’égard des avocats étrangers

Mais cette exception a une contrepartie: «Ils doivent respecter la règle déontologique qui veut qu’un avocat ne peut accepter un dossier s’il n’en maîtrise pas la matière, en l’occurrence les langues», rappelle MeRosario Grasso, bâtonnier du Barreau de Luxembourg.

De fait, le français demeure la langue administrative, législative et judiciaire par excellence. La Constitution, les lois et règlements grand-ducaux, les plaidoiries des avocats et les décisions judiciaires sont écrits en français. Mais sa maîtrise ne suffit pas à embrasser l’ensemble des moments judiciaires. En matière pénale par exemple, l’avocat doit impérativement comprendre le luxembourgeois si un témoin s’exprime dans cette langue à l’audience. Un interprète ne lui sera pas fourni. Idem pour les contentieux qui nécessitent des procédures orales comme le bail à loyer, le divorce, etc.

C’est pour cette raison que des tests de langues sont encore imposés aux aspirants avocats qui terminent leurs études de droit et s’inscrivent aux cours complémentaires de droit luxembourgeois (CCDL). Cette formation de neuf mois passe en revue les spécificités du droit luxembourgeois par rapport au droit français ou belge qu’ils ont étudiés à l’étranger. Les étudiants qui réussissent l’examen et les tests de langues sont assermentés et réalisent encore deux années de stage avant de pouvoir accéder à la liste I du Barreau, les avocats à la Cour. 

Le CCDL doit évaluer les avocats sur des critères juridiques plutôt que linguistiques.

Me Benjamin Bodig, président du Jeune Barreau

«Cela signifie qu’un candidat qui a brillamment réussi son examen du CCDL, qui ferait un excellent avocat, ne peut être assermenté parce qu’il a échoué au test de langues», résume Me Grasso, qui dénonce un «traitement différencié» entre les avocats exerçant sous leur titre d’origine et ceux dont l’effort de se former en droit luxembourgeois est alourdi par une épreuve de langue en allemand et en luxembourgeois. «Je pense que le CCDL doit évaluer les avocats sur des critères juridiques plutôt que linguistiques», renchérissait Me Benjamin Bodig, président du Jeune Barreau de Luxembourg, dans un entretien publié par Legimag en mai dernier.

Car les exigences linguistiques détournent les aspirants avocats du CCDL. «Depuis les deux dernières années, nous notons une augmentation significative des avocats voulant s’inscrire sur la liste IV», remarque Me Grasso. «Il y a 25 ans, les Français venaient au Luxembourg car il était plus facile d’y devenir avocat et retournaient en France. Aujourd’hui, c’est le contraire.»

Le Conseil de l’ordre a donc imaginé une modification de la loi du 10 août 1991 afin de remédier à cette inégalité de traitement. «L’idée serait d’assermenter l’avocat immédiatement après le CCDL s’il remplit les conditions d’honorabilité et s’il a trouvé un maître de stage», explique Me Grasso. «Il aurait ainsi deux ans pour prendre des cours et passer ses certificats.» Le Barreau va même plus loin dans son idée. «S’il réussit l’examen de fin de stage mais ne présente pas de certificat de langue, on pourrait dire qu’il s’engage à ne pas travailler dans une matière dont il ne maîtrise pas la langue.»

Une loi à modifier

Voilà une petite révolution linguistique très attendue par une partie de la profession – la moitié des étudiants du CCDL se destine au droit des affaires et n’a nullement besoin du luxembourgeois et de l’allemand au quotidien. «Beaucoup ne font même pas le stage car ils sont engagés dans un cabinet d’audit», témoigne David Santurbano, qui vient de terminer le CCDL.

Si le ministre de la Justice ne s’oppose pas au principe de cette proposition du Barreau, il va falloir du temps pour modifier la loi - «au moins 18 mois à deux ans parce qu’il peut y avoir des oppositions» tant la question des langues est sensible, estime Me Grasso.

En attendant, le Barreau a suggéré d’instaurer une période de transition en suspendant les tests organisés par le Barreau et en considérant que la maîtrise de la langue allemande sera présumée acquise par la réussite des cours complémentaires en droit luxembourgeois. Une formulation surprenante voire contradictoire puisqu’aucun cours du CCDL n’est délivré en allemand. Cette dernière disposition a été retoquée par le ministre de la Justice et le règlement du 8 juin conserve simplement la fin des tests au Barreau.

On ne sait pas à quoi s’en tenir.

Une étudiante française du CCDL

Une transition qui ne ravit pas les premiers intéressés. Le groupe Facebook des étudiants du CCDL regorge de messages, de questions, de commentaires – et un sous-groupe «J’apprends le luxembourgeois» a même été créé pour ceux qui cherchent des informations sur les cours à suivre et comment obtenir les certificats de connaissance de l’allemand et du luxembourgeois. Un sous-groupe dans lequel certains instituts de langues privés s’avèrent très présents.

«On savait en venant au Luxembourg qu’il fallait passer en plus des épreuves d’allemand et de luxembourgeois, mais ce qui est délicat actuellement, c’est qu’on ne sait pas à quoi s’en tenir», témoigne une étudiante française. «Ça a beaucoup évolué depuis le mois de mai.»

Car la donne a changé pour ces étudiants: de tests informels passés avec des professeurs de la Luxembourg School for Commerce, ils doivent justifier d’un niveau B1 en expression orale des deux langues et B2 en compréhension écrite et orale. Et le règlement du 8 juin précise que ce niveau doit être «délivré soit par un institut de langue agréé, soit par une personne habilitée par la loi ou par une autorité nationale, à évaluer, entre autres, les compétences en langue luxembourgeoise et/ou allemande».

Or à l’heure actuelle, l’Institut national des langues est le seul institut officiellement agrée par l’État. «Le problème, c’est que l’INL ne propose que deux tests par an», souligne David Santurbano, «alors qu’il y a quatre assermentations par an au Barreau».

Une manne pour les instituts de langues

Les étudiants qui ont réussi leur examen du CCDL – à peine un quart de chaque promotion tant il est difficile d’atteindre la moyenne obligatoire dans les presque 20 matières enseignées – doivent donc justifier de leur maîtrise des langues officielles germaniques avant de pouvoir être assermentés, sachant que la prochaine assermentation se tient en septembre.

Beaucoup se posent la question de l’institut de langues à choisir. À 600 euros les cours pour un niveau chez certains, les étudiants ne veulent pas risquer de voir leur certificat refusé par le Barreau. «Il faut vérifier avec le ministère de l’Éducation nationale», esquive Me Grasso. Plusieurs instituts seraient sur les rangs afin de récupérer cette nouvelle manne.

Autre solution possible: les professeurs titulaires du Zertifikat Lëtzebuerger Sprooch a Kultur, quel que soit l’institut dans lequel ils enseignent, sont habilités à délivrer des certificats valables. Les étudiants sortis du CCDL en mai peuvent encore être assermentés en septembre ou en décembre s’ils passent les tests de langues d’ici là.

«J’ai de la chance, ma future maître de stage accepte de patienter jusqu’à ce que j’obtienne les certificats de langues et que je puisse être assermentée», témoigne l’étudiante française. Elle planche depuis le mois de mai sur ses cours de langues afin d’obtenir le sésame cet été.

Reste un constat: si le Barreau s’est délesté de l’organisation des tests, les étudiants ont le sentiment de payer la facture. «Aujourd’hui, c’est aux étudiants de payer leurs tests pour obtenir les certificats de langues parce que ceux-ci ne sont plus organisés par le Barreau», déplore l’étudiante française. Sachant qu’un test coûte 70 euros à l’INL et le double dans le privé. Et contrairement aux précédents tests, ceux-ci ne sont pas spécifiques aux situations rencontrées par les avocats (témoignage, garde à vue, etc.). Le bâtonnier a justement contacté l’INL afin de suggérer l’organisation de davantage de tests dans l’année et, pourquoi pas, d’un cours spécifique aux aspirants avocats. Rendez-vous en septembre pour une assermentation peut-être moins fournie que d’habitude.