Christian Scharff: «Les responsables de ressources humaines doivent être parties prenantes du changement en temps de crise.» (Photo: Julien Becker)

Christian Scharff: «Les responsables de ressources humaines doivent être parties prenantes du changement en temps de crise.» (Photo: Julien Becker)

«Devenir un véritable business partner au sein de la société», telle est l’ambition que de nombreux DRH se fixent à titre individuel et que la profession caresse sur le long terme. Particulièrement en temps de crise. Cette nécessité correspond à l’évolution des services de support, de plus en plus appelés à devenir des fournisseurs de services internes.

Avec les difficultés rencontrées sur les marchés, chaque département est d’ailleurs scrupuleusement analysé et évalué quant à sa contribution aux objectifs de l’entreprise. «Les responsables de ressources humaines doivent être parties prenantes du changement en temps de crise, déclare Christian Scharff, associé Human resources services (HRS) chez PwC Luxembourg. Ils doivent suivre trois indicateurs essentiels: les coûts, le niveau d’engagement des collaborateurs et les risques psychosociaux.»

Une approche systémique

Trois indicateurs cruciaux qui, combinés, renseigneront quant à l’état d’esprit des salariés. Étant influencés par l’environnement dans lequel évolue l’entreprise, a fortiori en temps de crise, ils doivent être gérés de façon proactive, en étroite collaboration avec les membres du comité de direction, dont le CFO. Ce dernier pourra en effet apporter son soutien dans l’analyse des coûts liés au personnel de la société, qu’ils soient directs (politique de rémunération, bonus, augmentation salariale…) ou indirects, liés par exemple à l’absentéisme.

Les indicateurs psychosociaux font peut-être partie des paramètres moins considérés en période faste. À l’inverse, la période de crise, synonyme d’inquiétude, mais aussi de compression des effectifs et donc d’une surcharge de travail potentielle, amène les responsables des ressources humaines à surveiller davantage le taux de maladie, le nombre de démissions ou encore les cas éventuels de burn-out. «Sans dépenser plus d’argent, il est possible de mieux gérer l’approche psychologique des collaborateurs, déclare Valérie Ballouhey-Dauphin, senior manager HRS, PwC Luxembourg. À l’inverse, si cet aspect n’est pas suffisamment pris en compte, cela peut avoir des répercussions sur les activités de la société.»

De la bonne santé des employés, dépend aussi celle de l’entreprise. Et vice-versa. La structure de la société a en effet un impact important sur les collaborateurs. Certains d’entre eux ne sont d’ailleurs pas à l’abri de présenter des troubles psychosociaux générés par le cadre du travail, même chez des salariés apparemment en bonne santé et présentant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. D’où la tendance, par défaut, à opter pour une gestion des problématiques évoquées sous un angle humain.

Mais une autre voie semble aussi possible. «On a tendance à aborder la performance des ressources humaines et les problématiques qui y sont liées sous un angle humain, déclare Olivier Noblot, fondateur de la société de conseils en ressources humaines Masselotte. Mais l’approche systémique est, en revanche, négligée.»

Cette approche vise à passer en revue les différentes strates de l’organisation d’une structure pour mieux en mesurer l’influence sur les employés. La volonté de mieux faire coïncider les besoins de l’entreprise avec les ressources disponibles fait partie des résultats escomptés. Ce travail doit être piloté au départ du département en charge des ressources humaines. «Pour réussir à approcher de manière systémique la performance des ressources humaines, plusieurs facteurs doivent être réunis, en premier lieu la performance intrinsèque des départements RH, ajoute Olivier Noblot. Il est important d’investir dans les bons outils d’information et de gestion. Ils pourront aider le DRH qui subsiste, trop souvent, un artisan dans sa fonction.»

Reste, dans cette alternative, à trouver ces outils qui aideront les DRH à maîtriser les paramètres relatifs à leur mission. S’il existe autant de définitions de la performance des ressources humaines que de DRH, la typologie des outils utilisés par les responsables du personnel est justement très variable.

Certaines entreprises ont ainsi fréquemment recours à des instruments fonctionnels, comme des tableaux, dont l’indépendance opérationnelle n’est cependant pas forcément compatible avec une agrégation de données, dans la perspective de fournir, par exemple, au CEO une information à valeur ajoutée.

«La majorité des outils en ressources humaines sont considérés comme des outils opérationnels; les aspects stratégiques sont en revanche moins connus», note à ce sujet Guy Tescher, administrateur délégué de Microtis. Le contexte économique actuel étant synonyme d’efficacité et de gestion pragmatique des moyens, il conviendra, dans la même logique, de choisir l’outil qui correspond à la morphologie de la société.

Au risque de provoquer un effet de rejet de la part des équipes utilisatrices. «Certains outils sont complexes et demandent beaucoup de consultance pour être appliqués à l’entreprise, ajoute Guy Tescher. Cela peut générer un refus d’adhésion et un retour en arrière vers d’anciennes méthodes. Le client doit rapidement obtenir un bénéfice via son choix.»

Question de compétence et de génération

Et l’un des bénéfices les plus rapidement recherchés est de disposer d’une vue globale sur les ressources disponibles, ainsi que leurs compétences, pour remplir les missions de la société. D’où la recommandation des conseillers en ressources humaines de se doter d’un tableau de bord intégré composé d’indicateurs de gestion, soit autant de paramètres dépendant de l’activité et des besoins de la société.

«Les indicateurs de gestion peuvent être dressés au jour présent, de façon mensuelle ou annuelle, relève Guy Tescher. Ils peuvent être organisés par unité organisationnelle, par entreprise ou groupe d’entreprises. Ces indicateurs aident à construire le tableau de bord stratégique de suivi des ressources humaines.» La planification figure parmi les aspects clés de ce tableau de bord qu’il sera nécessaire d’adapter au cas par cas.

Dans le domaine de la production, par exemple, il sera nécessaire de suivre des indicateurs mesurant le nombre d’équivalents temps plein nécessaire pour produire les quantités demandées. Or l’apport de collaborateurs intérim ou la gestion des CDD entre de plus en plus en ligne de compte lorsqu’il s’agit de répondre à un besoin ponctuel de production, sans toutefois pouvoir engager des collaborateurs sur un plus long terme.

Et qui dit planification entend, par corollaire, maîtriser la notion de flexibilité qui y est liée. Un enjeu de plus en plus crucial dans certains domaines. D’autres sont appelés à le considérer progressivement. «Certains secteurs devront veiller à garder un coefficient de flexibilité aussi élevé que possible pour faire face aux fluctuations du marché, comme dans l’industrie, ajoute Valérie Ballouhey-Dauphin. Cette notion est peut-être moins répandue dans le secteur de services.» Si l’on ajoute à ces paramètres une pénurie de talents frileux à quitter leur travail pour saisir de nouvelles opportunités, une possible baisse du budget des formations ou encore de gel des embauches, on comprend que la gestion du développement des collaborateurs nécessite une certaine inventivité de la part des DRH.

Face à aux réductions de moyens ou à leur statu quo, la solution pourrait provenir d’une cartographie des talents, autrement dit une base de données exhaustive des compétences réunies au sein de l’entreprise, qu’elles concernent les missions des collaborateurs ou celles acquises par le biais d’autres expériences (ou de passions extra-professionnelles). «La connaissance sur le personnel fait partie des éléments sous-exploités au sein des entreprises, d’où l’importance de surveiller les compétences acquises et surtout le savoir-faire souvent méconnu des collaborateurs», ajoute Olivier Noblot. Pratiquement, la compilation, qui doit être effectuée par le département en charge des ressources humaines, doit regrouper les compétences acquises au sein ou en dehors de la société qui pourraient permettre d’optimiser la performance de la société. Et par la même occasion d’identifier les différents types de profils.

Pour réussir cet exercice, il est capital de comprendre les vecteurs de développement de l’entreprise ainsi que ceux des collaborateurs. «Cette démarche de recensement des compétences et du savoir-faire permet d’ouvrir des opportunités de développement, ajoute Olivier Noblot. Si le responsable des ressources humaines dispose d’une vision à moyen terme, il peut proposer des projets durables aux collaborateurs.»

Cette base de données se révèle particulièrement utile pour le DRH qui souhaite valoriser son rôle de planificateur. Un rôle clé qui est pourtant généralement alloué aux responsables des départements. Cette démarche implique dès lors de ne pas uniquement être cantonné aux tâches administratives, mais bien de connaître les activités de la société dans le détail.

Parallèlement à l’inventaire des ressources existantes, la pérennité de l’entreprise passe nécessairement par une transmission du savoir-faire entre anciens et juniors. Il s’agit d’un processus que les responsables des ressources humaines doivent de plus en plus apprivoiser. Particulièrement lorsque des employés de la génération du baby-boom sont amenés à partir à la retraite, sans que le turnover observé sur le marché du travail ait permis, dans certains cas, de transmettre les secrets de fabrication, par exemple. «Le rôle du responsable des ressources humaines est d’identifier les talents et d’effectuer les projections sur cinq ou 10 ans, pour estimer les besoins de l’entreprise en termes de compétences, déclare Filip Gilbert, associé et human capital advisory services leader chez Deloitte Luxembourg. Il faut faire travailler ensemble les différentes générations et veiller au transfert de passion, de connaissance et des valeurs liées au travail dans l’entreprise.» Doté des outils qui lui permettent de structurer son environnement de travail et d’organiser ses activités, le DRH doit aussi, et avant tout, compter sur ses qualités de manager, voire de leader, pour coller aux besoins de l’entreprise.

Être au cœur du pouvoir

Surtout lorsque celle-ci voit sa structure évoluer. «La gestion du changement est importante, par exemple lors de l’intégration ou de l’acquisition d’une entité qui prenait quelques mois ou quelques années auparavant, mais qui doit désormais se dérouler rapidement», ajoute Filip Gilbert. Opti-misation des ressources allouées à un projet, information à haute valeur ajoutée... les DRH sont, plus que jamais, appelés à devenir de véritables business partner, autrement dit un acteur stratégique de la société. «Le DRH doit être prudent, ne pas faire de la stratégie décalée, mais aligner les politiques de ressources humaines sur les objectifs de l’entreprise», note Olivier Noblot. Si l’objectif est ambitieux et représente un facteur de développement pour le professionnel des ressources humaines, deux cas de figure se dégagent sur le terrain.

«Nous observons deux tendances parmi les responsables des ressources humaines, ajoute Christian Scharff. Certains se focalisent sur les aspects administratifs de leur métier, d’autres se positionnent durablement en tant que business partner.» Le choix pour l’un ou l’autre modèle ne résulte pas forcément de la seule volonté du DRH. La présence de grands groupes au sein du marché de l’emploi luxembourgeois est en effet synonyme de dépendance organisationnelle vis-à-vis d’un siège à l’étranger. D’autres structures, plus petites, ne disposent pas de suffisamment de collaborateurs pour mettre en place un département RH en tant que tel. D’où un potentiel manque d’autonomie dans le premier cas et des moyens relatifs dans le second. «Il faut ramener le rôle des ressources humaines à la taille de l’entreprise, ajoute Filip Gilbert. Nombreuses sont celles au Luxembourg dont la taille ne justifie pas plus d’une personne à ce poste.» À l’inverse, lorsque plusieurs personnes traitent des ressources humaines, disposer d’un système de gestion centralisée paraît indispensable. De la décentralisation des tâches administratives à la gestion des compétences, la technologie a, ici aussi, effectué d’importants progrès ces dernières années. Outre la maîtrise d’indicateurs et de paramètres toujours plus pointus facilitée par ces outils, les responsables des ressources humaines doivent, plus que jamais, soigner l’image de leur métier au cœur des instances dirigeantes des sociétés via la démonstration des bénéfices – pas uniquement financiers – issus de leurs actions. Reportings et autres retours sur investissement sont en effet devenus des standards pour la grande famille des services de supports.

Coûts

Ne pas faire l’économie des ressources

«Les principes des ressources humaines sont connus des entreprises, le problème est de les implémenter», nous confiait l’un des spécialistes rencontrés pour préparer ce dossier. Ce constat reflète l’un des défis majeurs pour les DRH: disposer des moyens suffisants pour remplir leurs missions, au-delà d’une maîtrise des coûts à court terme générée par la crise. Un objectif dont le succès dépend du positionnement interne du DRH. À l’instar de ce que l’on a pu observer dans un autre service de support important: l’IT. En quelques années, son image est progressivement (le processus est toujours en cours dans certains cas) passée, non sans mal, d’un centre de coûts à un service interne, capable de créer de la valeur. Les ressources humaines ont emprunté ce même chemin, plus récemment. On ne parle plus de ressources humaines, mais bien de «capital humain» chez certains employeurs. «Des études montrent que le coût relatif à la gestion des ressources humaines au sein des entreprises représente en moyenne 1% des coûts de l’entreprise», relève Filip Gilbert, associé chez Deloitte en charge du conseil en ressources humaines. Alors que le Luxembourg entend positionner durablement son économie autour du savoir, notamment par le biais de l’Université et de l’écosystème de la recherche et de l’innovation, il convient de se poser la question des moyens dont disposent les DRH pour faire fructifier le capital le plus précieux pour les entreprises: le savoir-faire.

Communication

Parler le même langage

Souvent accaparés par des obligations administratives, les responsables des ressources humaines ne doivent pas perdre de vue leur rôle de ciment au sein de l’entreprise. L’importance de leur intervention dans la communication interne doit être valorisée, en étroite collaboration avec le département (Communication, Marketing) qui en a la charge opérationnelle. En cette période délicate, le départ, volontaire ou non, d’employés doit en effet s’accompagner d’une communication aussi structurée que transparente. À l’égard des employés et collègues tout d’abord, tant ils sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise vers l’extérieur, comme le reconnaissent les professionnels en charge des ressources humaines (voir page 64). Combiné à une approche stratégique du rôle de DRH, le choix d’une communication claire avec les employés, en toutes circonstances, permet de générer d’autres bénéfices auprès de ces derniers, dont un confort de travail accru et une performance facilitée par des perspectives d’avenir. Être le business partner au sein d’une structure passe donc, et avant tout, par l’adoption d’un langage commun avec ses collaborateurs et par la capacité des DRH à proposer un développement aux plus jeunes, aussi durable soit-il.