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Se former aux métiers de la pub au Luxembourg? vraiment pas facile! Dans un pays qui n'a pas d'université, pas la peine de chercher des formations spécialisées dédiées à la publicité. 

En plus, ce n'est pas le tout de parler de diplôme, tout le monde vous le dira: un bout de papier attestant de compétences plus ou moins théoriques n'impressionnera pas grand monde. Camille Groff, président de la MarkCom et directeur général de Mikado Advertising, explique ce problème : "Tous les métiers en agence sont assez pointus et, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres métiers, on ne peut plus se permettre de former les gens. On veut des gens tout de suite opérationnels, ce qui signifie qu'ils ont une expérience en agence. Personne ne donne donc la chance aux gens qui sortent de l'école d'acquérir cette expérience, c'est un peu un cercle vicieux ".

Rouler sa bosse

L'absence d'expérience ne doit pas constituer un frein pour les passionnés de pub. L'année dernière par exemple, Camille Groff estime qu'une dizaine de stagiaires sont passés en stage pour chaque métier de la publicité représentés chez Mikado: "Les jeunes peuvent voir, pendant 2 à 6 semaines, ce qui se passe en agence, apprendre à connaître les différents métiers, et cela nous permet de nous créer en quelque sorte un pool de recrutement, qui regroupe des gens que l'on connaît, qui nous connaissent, que l'on sait évaluer et qui ont déjà acquis un peu d'expérience. La difficulté, c'est qu'on est souvent pris par le temps. Or, lorsqu'on prend des stagiaires, il faut s'en occuper avec sérieux".

Acquérir une expérience de base grâce aux stages, mais aussi une expérience tout court à l'étranger, passage quasi obligé pour les études et/ou le début dans la vie professionnelle (voir le témoignage de Will Kreutz, page 069), est valable pour tous les métiers de la pub. Ce bagage semble d'ailleurs de plus en plus vital pour la crédibilité de l'agence, puisque l'annonceur a lui-même ses propres spécialistes en marketing et communication, et sait beaucoup mieux qu'auparavant ce qu'il veut (et veut souvent cela au plus bas prix). Gare donc à ce que le fossé ne se creuse entre l'expertise des uns et celle des autres!

Du talent!

Les formations "artistiques" que l'on propose dans les lycées ou dans les écoles techniques luxembourgeoises ne suffisent pas pour vraiment se lancer dans la publicité (il faut entre autres maîtriser les outils informatiques), à moins qu'on ait beaucoup de talent ? Camille Groff estime d'ailleurs qu' "il y a des gens talentueux qui sortent du lycée et sont capables de fournir directement un travail magnifique en agence? cela dépend de la personne".

Le talent ne concerne pas que les créatifs purs. Ainsi, ce qui a toujours primé pour Will Kreutz, ?communicator? chez Will Kreutz & Friends, c'est "la personnalité, l'ouverture d'esprit, outre l'expérience. Plus que tout, l'important c'est surtout le talent que je pouvais déceler et pousser, développer, quel qu'il soit, purement créatif, organisationnel. Si le media planner, le copy, le art director, le créatif, l'infographiste, tous à leur niveau, sont créatifs, on sort des trucs sensationnels? et pas besoin d'aller copier chez le voisin! Si, en plus, le consultant a saisi ce que le client avait comme objectif, ça devient spectaculaire!"

Prenons l'exemple du media planner, souvent présenté comme un stratège, et dont on occulte un peu la dimension "créative". Will Kreutz estime qu' "on n'a pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre ce qu'il se passe au niveau des médias luxembourgeois, c'est un paysage relativement clair. Savoir comment utiliser ces médias de manière créative, c'est autre chose. Pour être capable de cela (créer des formats très spéciaux pour les annonces dans la presse, loin des colonnes traditionnelles,?), il y a un passage obligé par les grandes centrales d'achat, les grosses structures". 

Au Luxembourg, il semble très difficile à Will Kreutz de pouvoir trouver un copy publicitaire: "Ici, nous avons des rédacteurs, pas beaucoup de réels copy- concepteurs avec un feeling du marché. On est obligé d'aller à l'étranger pour trouver des gens qui ont des compétences dans des domaines précis. On trouve peu de rédacteurs multilingues issus du marché local, qui ont une connaissance de la culture luxembourgeoise spécifique et peuvent entrer dans les matières qu'on leur propose de traiter (voir le témoignage de Lucien Czuga, concepteur- rédacteur chez Comed, à la page 058). Si le travail est intéressant, les copys que l'on va chercher à l'étranger vont travailler pour le Luxembourg? mais pas ici. On n'a pas suffisamment de travail intéressant et important pour justifier leur venue. Ce que ces gens cherchent, c'est le challenge. Résoudre quelque chose. Si vous avez la possibilité de travailler sur les magnifiques spots AGF, vous n'allez pas travailler à la campagne de pub d'une société d'assurances luxembourgeoise". Les talents, luxembourgeois comme étrangers, fuyeraient-ils le Grand-Duché comme la peste, préférant s'installer dans des marchés plus excitants'  Will Kreutz n'en est pas aussi sûr: "Beaucoup finissent toujours par revenir ici? c'est plus confortable. Mais ce n'est jamais bon pour un créatif de s'installer dans le confort".

Le BTS "Opérateur-médias"

Comment acquérir un savoir et un savoir-faire dans les métiers de la publicité (puisque le talent, ça ne s'apprend pas)? Les stages, les expériences à l'étranger, c'est une chose? le BTS "Opérateur-médias", lancé à la rentrée de septembre 2001, en serait-il une autre? C'est dans le bulletin de juillet de l'AMIL (Association des Maîtres-Imprimeurs du Grand-Duché de Luxembourg) que l'on trouve la description de ce nouveau diplôme luxembourgeois bac+2: "L'opérateur-médias est une nouvelle profession issue de la fusion des métiers de typographe et de reprographe. La formation se fera sur base d'un contrat de formation pratique en entreprise à conclure avec une imprimerie légalement établie. Elle se fera d'une part au Lycée Technique des Arts et Métiers (LTAM) et d'autre part à l'entreprise, et elle est sanctionnée par un Brevet de Technicien Supérieur (BTS). Sa durée est de 22 mois".

Un groupe de travail composé de membres de l'AMIL, de la Fédération des Artisans, des enseignants des métiers du livre et du Ministère de la Culture, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a initié le BTS grâce à des réflexions qui ont débuté début 2000. Il s'agit d'une formation en alternance, soit un enseignement pratique en salle de classe couplé à une formation pratique elle aussi, mais en entreprise. Le BTS est accessible aux détenteurs d'un diplôme de technicien de l'enseignement secondaire ou d'un diplôme de fin d'études secondaires, ou secondaires techniques, et se déroule en partenariat avec une école suisse, mais aussi de grandes et petites imprimeries nationales.

 Le but est que les élèves, 14 pour cette première promotion, soient à même de maîtriser les outils grâce auxquels ils pourront préparer les fichiers à l'impression. Yvan Klein, régent de la classe du BTS, estime que cette formation est une "remise à jour pour les métiers du pré-presse. Le BTS remplace la formation classique de Maître Imprimeur en pré-presse du Lycée Technique du Centre. Pour ce diplôme-là, 2002 est  l'avant-dernière promotion. Il s'agit d'une formation traditionnelle où les gens ne touchent pas à l'ordinateur. Les imprimeurs devaient jusqu'alors aller à l'étranger pour trouver des gens de métier formés à l'informatique. Grâce au BTS, le Luxembourg est désormais pourvu d'une formation de ce type".

Au programme des cours: du traitement d'image pur et dur, avec Photoshop, pour préparer les fichiers au pré-presse, du "Bild Gestaltung" ("compréhension de l'image") pour expliquer aux élèves le choix des couleurs, des techniques, mais aussi du traitement de texte (QuarkXPress, Illustrator), ainsi que des cours généraux en techniques d'impression (comment utiliser un flasheur,?), informatique (mise en place d'un serveur,?), traitement de la couleur (pour que les couleurs à l'écran et à l'imprimé soient identiques), et des langues (français, allemand, anglais, pour être capable de trouver une faute d'orthographe dans une brochure à imprimer,?). Les élèves sauront transformer des fichiers pour l'écran: pages HTML, documents PDF, CD-Roms? "C'est un métier en soi", ponctue Yvan Klein, avant de continuer: "Nous n'avons pas mis de côté le côté créatif dans cette formation, puisqu'il arrive fréquemment que des clients, pour des commandes basiques, ne passent pas par les agences de publicité et fassent appel directement à l'imprimeur, comme c'est le cas pour les cartes de visite. Il faut donc pouvoir répondre à une demande plus orientée vers la création, même si ce ne sera jamais du même niveau que celui d'une agence de pub".   Voilà pour la description de ce BTS encore bien méconnu. Camille Groff, un rien dubitatif: "Il est sûr qu'il faut énormément de pratique dans la profession d'infographiste. Ce que l'on voit à l'écran n'est jamais ce qui sort en impression, il y a toujours un décalage. Je ne sais pas si quelqu'un qui ne fait que le BTS a assez de connaissances pratiques pour pouvoir vraiment attaquer le marché tout de suite. Je ne pense pas. Si cette personne a déjà la base de graphisme parce qu'elle l'a étudiée au Lycée Technique, elle a déjà une certaine expérience avec les outils. Mais je me demande vraiment si en deux ans on peut acquérir assez d'expérience pratique pour vraiment être opérationnel à 100%, avoir assez de feeling pour voir les différences. Dans tous les métiers, c'est pareil:  l'expérience, on l'acquiert en exerçant le métier, et il faut donc du temps".

Yvan Klein est photographe, et les autres professeurs du BTS sont quant à eux des professionnels de l'imprimerie, ce qui ne devrait pas déplaire à Will Kreutz, qui juge que la formation des formateurs au niveau des écoles est "de loin insuffisante et s'oriente à côté de la réalité. Je prêche cela depuis 20 ans! Les professeurs doivent être issus du marché, de la réalité. Ce n'est pas LA solution, mais c'est un des éléments déterminants pour assurer la qualité. A Saint-Luc en Belgique, par exemple, les professeurs viennent des agences. Pour apprendre les métiers de la communication, il faut des gens qui viennent de l'extérieur!"

Ecoles

Deux sites web pour retrouver les meilleures écoles liées à la pub? toujours utile, même si un diplôme ne remplacera pas l'expérience:

- http://www.surfstation.lu

- http://www.fpc.lu/etablissements.php

Témoignages

Camille Groff, président de la MarkCom, directeur général de Mikado Advertising: À chaque métier son diplôme?

"Personnellement, j'ai une formation en sciences économiques. Pour l'account, il n'y a pas de formation spécifique. Ce sont des gens qui ont d'office du talent en termes de vente, et qui doivent bien sûr connaître le métier. Je dirais qu'il faut une expérience de 2 à 5 ans pour avoir les bases et puis maîtriser cette fonction, mais cela dépend aussi des personnes. Ce sont souvent des gens qui ont étudié le marketing, les relations publiques, ou d'autres qui se sont retrouvés dans la publicité alors qu'ils avaient un tout autre background.

Pour la cellule marketing, il est clair qu'il vaut mieux avoir étudié le? marketing, avec un bac +4-5. Ils ont un niveau universitaire'et ont donc dû quitter le Luxembourg pour l'acquérir. Pour ces fonctions (NDLR: chargés d'études,?), la qualification requise est beaucoup plus aisément définissable. Le planning, le buying, ne s'apprennent pas à l'école. Il faut faire son expérience sur le tas. Idéalement, ces personnes ont une formation orientée marketing, puisqu'on parle de stratégie média, de cible que l'on veut toucher avec les supports. Le mix media est devenu plus complexe, et demande une réflexion stratégique.

Le directeur artistique et le concepteur-rédacteur devraient avoir au moins une formation universitaire ou supérieure. Par exemple, en Belgique, à Saint-Luc, ils commencent peut-être avec des études en graphisme, puis choisissent la voix de la direction artistique ou de la conception-rédaction. Quelqu'un qui a étudié les langues peut aussi devenir concepteur-rédacteur. De toute façon, il n'existe pas de formation de D.A. ou copy au Luxembourg.

On peut étudier le graphisme ici, à l'Ecole Technique voire au lycée mais, généralement, les gens qui sortent du lycée n'ont pas assez d'expérience et de connaissances du métier et des outils pour pouvoir aller en agence. Le chemin normal serait plutôt d'aller dans une haute école pour étudier le graphisme (bac+3-4).

L'infographiste, chez Mikado, est plutôt là pour assurer la production' et il lui faut donc énormément de know-how, qui s'apprend plus difficilement à l'école. Certains apprennent leur métier chez les imprimeurs, d'autres ont étudié le graphisme mais s'intéressent plutôt à la finition, à la production, donc vraiment à l'aspect technique, et moins à l'aspect créatif. C'est une formation qu'on peut faire au Grand-Duché: on fait du graphisme dans l'enseignement secondaire, on trouve la voie de la production plus intéressante, et fait son expérience chez les imprimeurs et on se retrouve en agence".

Will Kreutz, communicator, Will Kreutz & Friends: Petit à petit, l'oiseau fait son nid

"La vieille garde luxembourgeoise des véritables 'pubeurs' est constituée de gens qui ont gravi les échelons tout doucement. Ils ne se sont pas mis à leur compte et réveillés avec une boîte de 40 personnes! Aujourd'hui, on se dit qu'on doit gagner beaucoup d'argent parce qu'on est au Luxembourg et que l'on a un diplôme. C'est trop facile! Il faut revoir ses prétentions à la baisse, être réaliste.  Au lieu de cela, les gens qui ne disposent pas de l'expérience nécessaire se voient refouler et il créent leur petite société. Comme dans tous les métiers, il ne faut pas sauter les étapes, il faut chercher les expériences, parfaire ses connaissances. Et peut-être avoir la chance de tomber sur quelqu'un qui va déceler chez soi le talent, et le pousser davantage.

Sur les autres marchés, à l'étranger, la bagarre est toute autre. Ce n'est pas à l'Ecole de Commerce et de Gestion qu'on devient consultant. A l'étranger, pas mal de filières sont proposées, avec des parcours où on touche à beaucoup de choses: les (nouveaux) médias, les techniques de communication, le marketing, les relations publiques. Vous avez la possibilité d'y acquérir une excellente base. Diplôme en poche, c'est l'expérience acquise en plusieurs années à différents niveaux qui fait de vous un consultant qui sait gérer un team créatif, préparer un brief, un spécialiste qui maîtrise plusieurs métiers de la communication, ne serait-ce que pour être crédible par rapport au client, et qui  est capable de choisir son team, comme un chef d'orchestre, pour parvenir à une harmonie.

Ma formation initiale est celle de graphiste ? designer.  J'ai été patron d'une agence qui a grandi, j'ai pu apprendre pas mal de choses, parce que j'avais le temps d'apprendre. J'étais crédible à deux niveaux : par rapport au client, parce que je savais de quoi je parlais, et par rapport à mes employés, parce que j'étais le plus fervent défenseur de leurs travaux".