Monsieur Santer, vous avez récemment quitté vos fonctions de président du conseil d’administration de CLT-UFA que vous occupiez depuis 2004. Que retenez-vous de cette période?
«Je me rappelle que j’avais évidemment beaucoup de relations avec RTL lorsque j’étais au gouvernement. Mais des relations qui, au début, étaient difficiles compte tenu d’un actionnariat très disparate entre Français et Belges. Ce n’était pas évident pour gérer une entreprise de cette envergure. Les choses ont évidemment bien changé lorsque Bertelsmann est devenu l’actionnaire de référence. Pour moi, et je ne suis pas le seul, le plus important était que RTL s’ancre définitivement dans le paysage audiovisuel luxembourgeois et international. Nous avons réussi à le faire, même si cela a pris du temps. Je me rappelle des difficultés que nous avions eues pour établir RTL en Allemagne. Jamais nous n’aurions imaginé que nous serions ensuite amenés à gérer plus de 50 chaînes de télévision et une vingtaine de stations de radio…
Votre engagement est allé bien au-delà des frontières du Grand-Duché…
«Nous avons en effet souvent eu affaire à des soucis en France, notamment. Régulièrement, les gouvernements français, quels qu’ils furent, manœuvraient pour mettre la main sur la radio française RTL qui était, et est toujours, la première écoutée en France. Nous avons toujours dû défendre son indépendance, et c’est grâce à cette indépendance qu’elle a gardé son succès auprès des auditeurs français.
Nous avions eu aussi des difficultés au moment de la libéralisation du paysage audiovisuel français. Nous avions été demandeurs pour exploiter la licence que TF1 possède aujourd’hui. Nous n’avions pas pu obtenir cette licence, malgré nos démarches au niveau de la présidence et du Premier ministre. Nous avons dû nous contenter d’une petite chaîne, qui s’appelait TV6. On nous a toujours dit que c’était à titre de compensation. J’ai même été critiqué à l’époque à la Chambre des députés pour ne pas avoir réussi à imposer notre demande initiale. Mais grand bien nous en a fait, car la première chaîne a eu ensuite des problèmes financiers, alors que la petite chaîne devenue M6 est bien montée, est devenue profitable et s’est établie fortement dans le paysage.
Margaret Thatcher me parlait toujours de Radio Luxembourg.
Jacques Santer, ministre d’État honoraire
Le modèle européen vous semble-t-il en danger? RTL serait-il aujourd’hui aussi fort si son siège avait dû quitter le Grand-Duché à un moment de son histoire?
«Peut-être, oui. Mais c’est justement pour cela qu’il fallait à tout prix ancrer le groupe au Luxembourg, pour le prestige du pays. J’ai toujours été impressionné de la notoriété de RTL depuis si longtemps et bien au-delà des frontières. Margaret Thatcher me parlait toujours de Radio Luxembourg. Il y a eu récemment une belle exposition à notre ambassade en Pologne où les dissidents expliquaient qu’ils écoutaient RTL dans les heures sombres.
RTL était aussi très écouté en Allemagne de l’Est et d’ailleurs, peu de temps après la chute du mur de Berlin, plusieurs Allemands de l’Est avaient fait le trajet avec leur traban pour venir jusqu’ici et voir le siège de RTL qui se trouvait alors à la Villa Louvigny.
Vous avez aussi été le président du conseil d’administration du Mudam jusque début 2016. On imagine que l’affaire Lunghi vous a particulièrement touché.
«Je regrette évidemment la situation qui a été créée et qui, au final, fait que tout le monde a été perdant. À commencer par le Mudam qui a perdu, pour une bagatelle, un excellent directeur général que j’avais d’ailleurs engagé. RTL aussi est perdant parce que son image a été écornée et qu’elle a eu une remontrance de la part de l’Alia. Et puis, le gouvernement aussi est perdant, dans la mesure où la scène internationale s’est un peu alliée contre lui. On aurait vraiment pu gérer cela de façon différente.
Comment?
«Dès le départ, il aurait fallu s’occuper de l’affaire sur le fond et parler avec Enrico Lunghi. Je suis un homme de consensus. De dialogue. Nous aurions clairement pu régler cette histoire dans le cadre d’un dialogue plus structuré avec tous ceux qui étaient impliqués.
Le Luxembourg, c’est aussi le fief de SES. C’est également sous votre gouvernement que ce géant des satellites a officiellement vu le jour…
«Nous disposions à l’époque de trois fréquences satellitaires et nous avions demandé à RTL de les exploiter. Mais ils n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur la façon de le faire, et le premier projet Luxsat n’est finalement jamais sorti des cartons. Mon prédécesseur, Pierre Werner, avait lancé un ultimatum à RTL qui n’a pas été tenu. C’est alors qu’il a été fait appel à l’Américain Clay Whitehead. En tant que ministre des Finances, j’avais été au cœur des négociations, sachant que la seule voie de développement de RTL était clairement de passer par la voie satellitaire pour bénéficier d’une plus grande couverture européenne. Et c’est pour cela que sur la base des travaux de Whitehead a été créée SES.
La société a pris son envol et a connu un succès qui était inespéré à la base. Et le système conçu par Clay Whitehead de communications renforcées par réception directe s’est même imposé sur le plan mondial. Eutelsat, qui était notre grand concurrent, a même abandonné son ancien système pour adopter celui-là.
Je me souviens qu’il y avait quatre communes qui se disputaient le siège de SES. Mais comme nous disposions d’une maison de la Croix-Rouge anciennement occupée par le Grand-Duc héritier, nous avons vendu le site et les terrains aux alentours à SES.»