Hervé Burger, stratégiste chez Fuchs & Associés Finance (Photo: archives paperJam)

Hervé Burger, stratégiste chez Fuchs & Associés Finance (Photo: archives paperJam)

En septembre dernier, dans cette même tribune, nous avions souligné l’apparition d’un phénomène peu orthodoxe qui va bien au-delà de la simple curiosité mathématique: l’apparition de taux d’intérêt négatifs en Europe. Six mois plus tard, ils se sont généralisés et les investisseurs semblent s’habituer à cette situation. Rappelons que sur l’obligation souveraine allemande «bund», il faut maintenant acheter des maturités supérieures à sept ans pour échapper à un taux négatif (voir graphe: courbe des taux allemands). La maturité phare 10 ans offre, quant à elle, un taux annuel légèrement positif de 0,37%: la barrière du «zéro» n’est plus si loin. (Le taux du bund 10 ans vient d’ailleurs de passer en dessous du taux japonais de même durée, une première depuis des temps immémoriaux!) Le record dans la «négativité» est cependant détenu par nos amis suisses, où toutes les maturités inférieures à 12 ans se traitent avec des taux négatifs (voir graphe: courbe des taux suisses). Il faut savoir souffrir pour bénéficier de la qualité du franc suisse et du sérieux de la gestion helvétique…

Dans la zone euro, nous pouvons donner deux explications principales à cet environnement de taux négatifs.

La première correspond à une interprétation économique: les taux d’intérêt doivent normalement évoluer en phase avec la croissance nominale de l’économie (croissance réelle plus inflation). Le niveau actuel des taux pourrait ainsi anticiper une situation déflationniste dans la zone euro (une évolution négative des prix) assortie d’une croissance quasi nulle. Il est vrai que les dernières statistiques de prix publiées par Eurostat sont dans la zone rouge avec -0,6% pour le CPI en glissement annuel, conséquence directe de l’effondrement des prix de l’énergie. En ce qui concerne la croissance réelle, la zone euro pourrait connaître un rebond en 2015 à +1,3% selon les dernières prévisions de la Commission européenne. L’explication économique semble donc insuffisante pour expliquer le phénomène.

La deuxième explication, prépondérante à nos yeux, correspond à une dynamique de flux acheteurs et vendeurs. L’anticipation par les marchés financiers d’une politique massive de «quantitative easing» de la Banque centrale européenne, puis son annonce effective en janvier avec un programme d’achats d’obligations diverses (dont des titres d’État) pour un montant de 60 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre 2016 ont encore fait monter les prix des obligations d’État en exerçant une pression acheteuse sur les marchés obligataires (à l’exception grecque près). Dans le même temps, l’offre se raréfie car la tendance à la réduction des déficits publics dans la zone euro, afin de satisfaire les critères de Maastricht, diminue le flux d’émission d’obligations souveraines. Il est à noter que les achats d’obligations d’États de la BCE se feront de manière proportionnelle à la participation des pays dans le capital de la BCE (18,9% pour l’Allemagne, 14,2% pour la France…). La BCE n’a a priori pas exclu l’achat d’obligations allemandes ou françaises avec des taux actuariels négatifs, ce qui engendrera de manière certaine des pertes, au même titre que l’achat d’obligations grecques si ce pays connaît une restructuration de sa dette (les extrêmes finissent toujours par se rejoindre!).

Une autre catégorie d’investisseurs pèse sur les flux acheteurs, ce sont bien sûr les investisseurs institutionnels, qui pour des raisons réglementaires (encore renforcées par des réglementations comme Solvency 2 pour les compagnies d’assurance) sont structurellement acheteurs de titres domestiques souverains. Banques centrales, investisseurs institutionnels, fonds de pension, fonds souverains... on peut sincèrement se demander si les prix des obligations souveraines correspondent encore à des prix de marché, ou s’ils ne sont pas finalement fixés par un ensemble de règles étatiques et supranationales.

En conclusion, nous aimerions rappeler qu’il fut un temps où les coupons obligataires présentaient une forme de protection, ou de filet de sécurité, pour les investisseurs: ils venaient compenser partiellement ou en totalité les pertes en capital liées à des remontées de taux sur les marchés. Dans notre nouveau monde de taux négatifs ou proches de zéro, les investisseurs jouent «sans filet». Les pertes seront sanglantes à la moindre remontée des taux d’intérêt.