(Photo: Castegnaro ) (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

(Photo: Castegnaro ) (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

La Cour d’appel vient de porter un coup d’arrêt à la pratique jusqu’à présent admise au Luxembourg, laissant l’employeur libre de déterminer la sanction disciplinaire la plus adaptée, en fonction de la gravité des fautes du salarié.

En l’espèce, un ouvrier contestait la rétrogradation temporaire avec réduction de son salaire qui lui avait été infligée, par application de la Convention collective applicable, suite à des refus d’ordre réitérés[1]. Il soutenait que cette sanction, n’étant prévue «que» par une Convention collective[2] et non par la loi, était inapplicable, car toute sanction ne peut être prévue que par une loi, selon le principe de la légalité des peines.[3]

Seuls une Convention collective de travail ou un Contrat de travail peuvent/doivent-ils prévoir des sanctions disciplinaires?

Selon la Constitution, «Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu d’une loi.» Or, une sanction disciplinaire, même si elle est infligée par l’employeur et non par les juridictions répressives, reste une «peine», c’est-à-dire une «punition» infligée à une personne du fait de son comportement fautif. Les sanctions disciplinaires devraient donc être prévues par la loi, pour pouvoir s’appliquer[4]. Or, à part le licenciement, le Code du travail (qui est une loi) ne prévoit aucune autre sanction disciplinaire. Cela implique-t-il que seul un licenciement pourra désormais être notifié aux salariés fautifs?

Non, car le Code du travail[5] autorise les parties au contrat de travail, respectivement à la convention collective, à déroger à ses dispositions dans un sens plus favorable au salarié.

Les sanctions disciplinaires notifiées à un salarié n’encourent donc pas la nullité, si elles sont prévues par le contrat de travail ou une Convention collective, et qu’elles sont plus favorables que les peines du licenciement[6]. En l’occurrence, la sanction de la rétrogradation financière n’est donc pas nulle du fait qu’elle n’est pas directement prévue par la loi, puisqu’elle a été expressément prévue par une convention collective, convention collective qui est par ailleurs mentionnée au contrat de travail du salarié[7].

En conclusion sur ce point, il conviendrait de se poser la question de la légalité des sanctions qui seraient prévues par un Règlement interne. Est-ce que le fait que le Code du travail y fasse référence ponctuellement suffirait pour considérer que le Règlement interne, et les sanctions qu’il prévoirait, sont pris « en vertu de la loi » ?[8] Est-ce que les sanctions applicables aux cadres supérieurs, qui sont en principe exclus de l’application des conventions collectives, ne seraient valables que si elles étaient prévues par leur contrat de travail ?

Le catalogue des sanctions disciplinaires doit inclure une échelle de sanctions

Le principe de la légalité des peines implique également que la peine disciplinaire soit déterminée de façon à permettre à l’intéressé de prédire, avec un degré suffisant de certitude, la nature et le degré de la sanction susceptible d’être infligée[9].

1. Les clauses suivantes[10] sont, selon la Cour d’appel, suffisamment explicites[11] pour permettre de déterminer l'échelon de la peine à appliquer, dans des limites définies (y compris la clause sur la suspension, point 7 alinéa2): Les sanctions sont basées sur la gravité de l'infraction et les antécédents professionnels des personnes concernées. Les sanctions pouvant être prises sont les suivantes :

1) Avertissement par le supérieur hiérarchique,

2) Avertissement écrit par le Collège des bourgmestre et échevins,

3) Suspension de service, jusqu'à trois jours,

4) Amendes, ne pouvant pas dépasser un dixième du salaire du jour où le manquement a été constaté, ou

5) Refus d’augmentation de salaire (primes d’ancienneté),

6) Refus de passage au groupe de salaire supérieur (promotion),

7) Classement dans un groupe de salaire inférieur.

A la place de la classification dans un groupe de salaire inférieur, une dispense de travail avec suspension de la rémunération peut s’appliquer, jusqu'à 30 jours. La durée de la suspension est déterminée par le Collège des bourgmestre et échevins, après consultation du Chef de service compétent et du Comité institué en fonction de la gravité de l’infraction. Les dispenses de plus de 15 jours ouvrables doivent être réparties sur deux mois différents.

8) Résiliation ordinaire ou extraordinaire.

2. Le «Classement dans un groupe de rémunération inférieur» (point 7 supra) est une formulation trop vague et imprécise, selon la Cour d’appel, pour permettre au salarié de prévoir la sévérité de la sanction susceptible de lui être infligée. En effet, même si le droit disciplinaire tolère, dans l'établissement des peines à encourir, une certaine marge d'appréciation à l'autorité qui prononce la sanction, la peine doit cependant pouvoir se déterminer en fonction de critères préétablis, suffisamment précis pour permettre à la personne concernée de prévoir avec une sûreté suffisante l'importance de la peine qu'elle risque d'encourir en cas de manquement avéré.

Or, le libellé de la sanction de rétrogradation financière ne précise pas les critères déterminants du choix de la catégorie salariale dans laquelle la personne concernée risque d'être placée. Le texte ne prévoit même pas de limite inférieure de la rétrogradation, alors que pourtant l'influence sur le salaire peut sensiblement varier en fonction de la catégorie dans laquelle un salarié est effectivement rétrogradé. Aucune référence n'est par ailleurs faite quant à la durée dans le temps de l'application de la sanction, respectivement quant au délai éventuel à attendre avant que le salarié ait de nouveau droit à une promotion ou à un avancement en fonction de son ancienneté.

Dans ces conditions, la Cour d’appel annule la sanction qui avait été infligée au salarié, ce qui impliquera en principe pour l’employeur le paiement d’arriérés de salaire depuis la date de la rétrogradation.

Il pourrait être opportun que les partenaires sociaux, et notamment les employeurs, vérifient le degré de précision de la liste éventuelle des sanctions applicables dans l’entreprise, et quels documents sociaux les prévoient, afin de s’assurer qu’une liste de sanctions existe bien, qu’elle est prévue, directement ou indirectement, par la loi, et qu’elle est suffisamment précise (les conventions collectives actuellement en vigueur ont des formulations plutôt génériques, quant aux sanctions applicables).

Une reformulation, précise et flexible[12], pourrait être nécessaire, sous peine que les sanctions disciplinaires à venir fassent l’objet d’un recours en annulation.

Cour d’appel, 30 mars 2017, n°42278 du rôle

[[1] Rétrogradation ayant, d'après le salarié, un impact d'environ 2.000 euros par mois sur son salaire qui, avant la sanction disciplinaire, s'élevait à 5.637,60 euros.

[2] La Convention collective pour les ouvriers communaux des communes du sud, article 16.2. prévoit un catalogue de sanctions disciplinaires et notamment sub 7) la «Rétrogradation dans une classe de rémunération inférieure ».

[3] Article 14 de la constitution qui dispose que « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu d’une loi.»

[4] Tribunal du travail d’Esch-sur-Alzette, 2 mars 2015, n°526/15 du répertoire.

[5] Selon l’article L.121-3 du Code du travail, « Les parties au contrat de travail sont autorisées à déroger aux dispositions du présent titre dans un sens plus favorable au salarié.» Selon l’article L.162-12 (6) du Code du travail: «Toute stipulation [de la convention collective] contraire aux lois et règlements est nulle, à moins qu'elle ne soit plus favorable pour les salariés.» 

[6] Cour de cassation, 2 juillet 2015, n° 63/15 (n°3501 du registre), dans une affaire distincte.

[7] Cour d’appel, 30 juin 2016, n° 42278 du rôle.

[8] Le Code du travail n’impose pas expressément de régime précis pour les Règlements internes, et se contente d’en prévoir certains aspects particuliers (notamment aux articles L.225-4, L. 241-9, L. 253-3, L. 414-3 et -9, L. 415-1, L. 417-1, et L. 423-1).

[9] Cour d’appel, 30 mars 2017, n°42278 du rôle.

[10] En italique (Traduction non officielle de l’allemand).

[11] (à part la rétrogradation financière, au point 7, alinéa 1)

[12] Selon Cour constitutionnelle «le droit disciplinaire tolère, dans la formulation des comportements illicites, une certaine marge d’indétermination, sans que le principe de la spécification de l’incrimination n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite incriminée. Les sanctions disciplinaires doivent être raisonnablement évaluables quant à leur niveau de sévérité. Dans ce cadre, il est possible de prévoir un éventail très large de sanctions si l’application des sanctions se détermine notamment par la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents de la personne, règle qui range dans la marge d’appréciation admise dans toute poursuite pénale ou disciplinaire.» (Cour Constitutionnelle, 14 décembre 2007, n° 00041 du registre).