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Les clichés et les pré-jugés ont souvent la vie dure. Et cela est d'autant plus vrai lorsqu'on occupe une position dominante comme peut l'être celle du groupe saint-paul dans le paysage médiatique luxembourgeois(*), au travers, en particulier, du Luxemburger Wort, quotidien national qui diffuse près de 80.000 exemplaires, dont plus de 70.000 par voie d'abonnement (source CIM, 2002), affichant ainsi un taux de pénétration proche de 50% (mais qui était de plus de 60% il y a dix ans). 

Ce journal, plus que cent-cinquantenaire ? fondé en 1848, fait figure de vitrine d'un groupe mastodonte que l'on pensait à l'abri de tout souci existentiel si ce n'est, peut-être, celui de chercher à se défaire de son image d'organe de communication de l'Eglise (l'Archevêché du Luxembourg en était actionnaire à 100% jusqu'à la récente augmentation de capital) et, par extension, du parti chrétien social, au pouvoir depuis 1945 (exception faite de la période 1974-1979 où, bien que disposant du plus grand nombre de sièges, le CSV ne prit pas part à la coalition DP-LSAP).

Cela n'empêche pas toutefois le CSV de faire appel à une agence média communication hors du groupe saint-paul (en l'occurrence imédia) pour sa prochaine campagne électorale, tout comme ce fut le cas en 1999.

Et pourtant... Avec plus de 5 millions d'euros de pertes enregistrées au 31 décembre 2002, faisant suite aux 4,5 millions recensés fin 2001; avec des fonds propres tombés à 21,5 millions d'euros (contre 30 millions en 1997) et, parallèlement, un endettement presque doublé à 61,5 millions en 2002, le groupe saint-paul a frôlé le grave accident industriel. En cause, principalement: les conséquences d'un programme d'investissements de 100 millions d'euros initié dans les années 90, en vue de moderniser et d'accroître les équipements de production et d'élargir le périmètre de consolidation du groupe (agence de communication, librairies, imprimeries), lourdement plombé par le ralentissement économique du début des années 2000. 

Les revenus, certes, se sont affichés en hausse, mais les charges ont grimpé encore plus vite, jusqu'à un point de non-retour, qui a justifié la décision de se lancer dans un profond et inédit exercice d'introspection doublé d'une totale remise en cause. 

A la tête de ce programme "saint-paul 2006", tel qu'il l'a lui-même défini avec le consultant allemand Roland Berger spécialisé dans les médias: Charles Ruppert, 62 ans, arrivé en octobre 2002 au chevet du grand malade, venant tout droit des hautes sphères de la Finance. Ancien président de l'ABBL, président de l'European Bank Academy Luxembourg, mais aussi membre du Conseil d'Etat depuis 1988, il avait quitté quelques mois plus tôt ses fonctions d'administrateur-directeur à la KBL. "J'ai horreur des banquiers reconvertis et j'avais d'autres projets en vue, reconnaît-il. Mais je connais la maison depuis bien longtemps (il est également membre du Conseil d'Administration depuis 1987, NDLR) et j'ai estimé que cette tâche était primordiale, existentielle pour le groupe et suffisamment passionnante"

D'abord nommé vice-président du conseil d'administration et président du comité exécutif de saint-paul, il accéda, ensuite, le 4 avril 2003, aux fonctions d'administrateur délégué et le 1er août 2003 à celles de directeur général, Paul Zimmer occupant ces dernières fonctions depuis 1995. Une succession en deux temps, M. Zimmer ayant d'abord été en congé maladie, avant de se retirer définitivement quatre mois plus tard, sans être jamais revenu aux affaires à saint-paul... 

"Dès le 7 avril, j'ai réuni la cinquantaine de cadres dirigeants du groupe pour leur exposer la situation financière, en toute transparence, et identifier tout ce qu'il y aurait à entreprendre pour redresser la barre. C'était une première dans la maison' Tout comme fut inédite la conférence de presse organisée fin novembre 2003 pour présenter les trois grands piliers du plan de restructuration envisagé. "Notre objectif est de retrouver une entreprise saine dans tous ses secteurs d'activité, avec une rentabilité appropriée, leader dans ses marchés clés et qui permette aux actionnaires de toucher une récompense de leur mise, ce qui n'est plus le cas depuis pas mal d'années. Le tout dans un encadrement respectant les valeurs humaines qui sont les nôtres", résume M. Ruppert. 

Une trentaine de projets majeurs ont ainsi été identifiés, mis en oeuvre au fur et à mesure, avec le souci premier de ne pas provoquer de séisme social. "Je n'étais pas en mesure de le certifier il y a quelques mois, mais aujourd'hui, je le peux: aucun emploi n'a été remis en cause en tant que tel et aucun plan social n'a été mis en oeuvre", tient-il à préciser. De 955 personnes fin 2002, les effectifs du groupe ont déjà été ramenés à 830 personnes et devraient approcher les 700 unités à l'horizon 2006, par le seul biais de la mise en oeuvre de mesures telles que les départs volontaires, en pension, ou prépension, le temps partiel, l'interruption de carrière, l'aide à la création d'entreprise ou encore la mobilité au sein des différentes structures du groupe. 

Deux "équipes" particulières ont été constituées: une équipe "réserve", avec des employés ayant un profil intéressant, mais pour lesquels aucune place n'est, pour l'heure, disponible et une équipe "emplois", une sorte de vivier dans lequel saint-paul peut puiser au gré de ses besoins ponctuels. "Certains cas ont été plus délicats que d'autres à négocier et j'ai tenu à intervenir en personne avec ces employés-là. Je n'ai certainement pas le monopole du management, de l'intelligence et du savoir, mais les employés n'ont pas non plus le monopole de la conscience sociale", prévient Charles Ruppert, qui a de quoi se montrer satisfait de l'adhésion manifeste de son personnel. A titre d'exemple, ils sont 94% à avoir accepté que le traditionnel paiement en juin d'une prime de 35% du salaire de décembre, établi par la convention collective et assimilé à une "participation aux bénéfices", soit repoussé jusqu'au moment où le groupe aura retrouvé un niveau de rentabilité de 2,5 millions d'euros (et au plus tard en 2009).

Pour concerner et sensibiliser davantage les salariés à l'ampleur du projet, l'Arche-vêché a par ailleurs consenti à leur ouvrir le capital social du groupe, par le biais de la mise à disposition d'actions privilégiées, mais sans droit de vote. Quelque 20% des employés du groupe ? et pas seulement des cadres ? ont répondu présents, permettant, ensemble avec d'autres institutions et sociétés proches du groupe, à saint-paul de réaliser une augmentation de son capital souscrit, passant de 26 à 32 millions d'euros. Devant le succès rencontré, une nouvelle offre pourrait être lancée d'ici à la fin de l'année. 

S'y ajoutent des initiatives à caractère social, visant à améliorer les conditions de travail. Un accent particulier est mis sur un programme étendu de formations, tant en matière de gestion d'hommes que dans les domaines à expertise technique. 

Dans les faits, quelques-uns parmi la trentaine de projets que regroupe le plan "saint-paul 2006" ont déjà été mis en oeuvre, comme par exemple la fusion des différentes agences de communication existantes au sein d'une entité unique constituée avec Advantage (voir aussi notre édition de mars, page 46), l'intégration des activités "Annonces" au sein de la régie saint-paul ou encore la restructuration des activités d'imprimerie, avec le transfert des activités de l'Imprimerie du Nord vers le site de Gasperich, et de librairie. 

De nombreuses autres actions sont programmées, allant du développement d'un nouveau concept pour la radio DNR jusqu'à la réforme du système actuel de portage des journaux vers les abonnés, en passant par la mise en oeuvre de synergies au niveau des différentes rédactions du groupe ou encore une refonte totale de l'aménagement des espaces de travail du site central de Gasperich. Une réflexion de fond est également en cours quant au contenu même du Luxemburger Wort et de La Voix du Luxembourg, afin de les rendre plus attractifs et d'en améliorer la visibilité. 

"J'assume entièrement la réalisation de ce plan de restructuration. Si ça marche, ce sera normal et si ça échoue, ce sera ma faute", prévient M. Ruppert. Mais contrairement à un secteur comme la sidérurgie dans les années 70 à 80, nous pouvons nous appuyer sur une stratégie gagnante et des produits qui disposent déjà d'une très bonne gestion, comme le Wort ou Télécran. J'ai confiance en l'avenir." Et de prévoir, déjà pour 2003, un retour à l'équilibre des comptes, "avec un petit zéro noir pour saint-paul luxembourg s.a.. et un petit zéro rouge pour le groupe". 

Verdict courant avril, lors de la présentation des résultats qui, autre grande première, seront également communiqués au grand public. 

(*) Le groupe saint-paul, outre le Luxemburger Wort et la Voix du Luxembourg, c'est aussi, notamment, l'hebdomadaire Contacto, les magazines Télécran et Auto-Moto, la radio DNR, l'agence Advantage Communication, les éditions saint-paul, l'imprimerie saint-paul...