Au sujet de l’A31 bis, «l’État français doit intervenir plus vite et dire ce qu’il est prêt à investir, au lieu de demander en premier lieu au Luxembourg de l’aider financièrement pour construire cette autoroute», explique Roger Cayzelle. (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne)

Au sujet de l’A31 bis, «l’État français doit intervenir plus vite et dire ce qu’il est prêt à investir, au lieu de demander en premier lieu au Luxembourg de l’aider financièrement pour construire cette autoroute», explique Roger Cayzelle. (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne)

Monsieur Cayzelle, les élections législatives ont eu lieu le 14 octobre au Luxembourg, quel regard portez-vous sur les résultats? 

«Je pensais que le CSV serait le grand vainqueur et formerait une coalition, au vu des sondages. Je pensais que l’on se dirigeait vers une coalition CSV-Déi Gréng, ou CSV-DP. D’un point de vue français, c’est vrai que c’est un système politique assez particulier. Le CSV est le parti le plus représenté, et pourtant il va vraisemblablement être dans les rangs de l’opposition. 

C’est également la deuxième fois que le parti de Jean-Claude Juncker n’est pas au pouvoir. On assiste d’une certaine manière à la fin des partis qui portaient des identités fortes comme le CSV et le LSAP, des partis qui étaient très constitutifs du Luxembourg avec leur identité, leur histoire. Les partis qui se portent mieux sont ceux qui sont plus pragmatiques, qui ne s’appuient pas forcément sur un corpus idéologique extrêmement puissant, les Pirates sont tout à fait symboliques de ça. 

L’économie grand-ducale ne peut pas se développer comme une île au milieu de la Grande Région.

Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région (IGR)

Le sujet de la Grande Région a-t-il suffisamment été au cœur de la campagne électorale? 

«Pas assez, mais la campagne a, d’une manière globale, été assez atone. Plus généralement, le Luxembourg a du mal à comprendre qu’il y a des synergies à mettre en place et que l’économie grand-ducale ne peut pas se développer comme une île au milieu de la Grande Région. Certains élus le comprennent, notamment le ministre du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch

Que faut-il pour que les choses deviennent concrètes?

«Il faut activer la Grande Région. C’est une petite Europe au quotidien et, aujourd’hui, son fonctionnement est beaucoup trop modeste, il y a des groupes de travail, mais on n’y comprend rien. La présidence est actuellement tournante, et, quelle que soit la bonne volonté des élus à sa tête tous les deux ans, derrière, il n’y a pas d’administration, donc ça ne peut pas bouger.

Il faut travailler la gouvernance. À l’IGR, nous plaidons pour qu’il y ait un président de la Grande Région qui reste un peu plus de deux ans et, surtout, qui n’ait pas d’autre poste. Et cette région n’a toujours pas de nom, il faudrait qu’on l’identifie, trouver un nom autour du Luxembourg serait une bonne idée, mais les susceptibilités des uns et des autres empêchent de le faire.

Quelles sont les priorités à faire évoluer?

«Le télétravail doit notamment être développé, mais surtout harmonisé au sein de la Grande Région. La Belgique a annoncé il y a quelques semaines vouloir passer à 69 jours de tolérance, l’Allemagne est à 19 jours et la France à 29 jours depuis la visite d’État de mars dernier. C’est une vraie solution de mobilité. 

La France est un pays très centralisé qui a du mal à gérer les spécificités locales.

Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région (IGR)

Au sujet de la mobilité justement, l’A31 bis semble aujourd’hui inévitable?

«Le processus est enclenché, mais on ne sait toujours pas combien d’argent l’État français mettra dedans. Ce dernier doit intervenir plus vite et dire ce qu’il est prêt à investir, au lieu de demander en premier lieu au Luxembourg de l’aider financièrement pour construire cette autoroute. Le problème, c’est que nos gouvernants français n’ont toujours pas pris conscience de l’importance que notre territoire représente. La France est un pays très centralisé qui a du mal à gérer les spécificités locales.

Élisabeth Borne a confirmé lors de son déplacement vendredi à Metz la piste du péage sur l’autoroute A31 qu’empruntent chaque jour les frontaliers français, souhaitant passer par une concession. Si péage il y a, il faudra trouver des systèmes pour les frontaliers, des abonnements spécifiques, voire un remboursement par les employeurs. 

Y a-t-il des sujets clivants au sein de la Grande Région?

«La question de la rétrocession fiscale, par exemple, envenime les relations entre Lorrains et Luxembourgeois depuis de nombreuses années. Certains élus disent que les frontaliers paient leurs impôts au Luxembourg, et les communes lorraines ne touchent rien de cela. Et ça, les Luxembourgeois ne peuvent pas le comprendre.

Rien n’oblige le Luxembourg à mettre en place une rétrocession fiscale, je pense que c’est d’abord à l’État français de payer pour ses écoles, ses infrastructures.

Quels thèmes sont également à développer?

«Il faudrait mettre en place des coopérations en matière de recherche et entre les universités de la région. Il faut également développer des clusters en matière de développement économique. Le plus important est de porter ces projets, de ne pas faire de cet espace seulement un espace de flux, mais de le gérer en profondeur.

Il faut créer cet esprit de groupe pour parler d’une seule voix au Grand-Duché.

Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région (IGR)

Qui est l’interlocuteur aujourd’hui du Luxembourg du côté français?

«Les choses sont désormais clarifiées. Jean Rottner, président de la Région Grand Est, s’affirme maintenant comme l’interlocuteur avec le préfet de région, face au Luxembourg. Mais il doit s’entourer d’un Lorrain pour être informé, mais qui? Jean-Luc Bohl, en tant que vice-président de la Région Grand Est et président de Metz Métropole, devrait être ce contact, il a toutes les clés pour pouvoir être un interlocuteur, peut-être pas unique, mais centralisateur. Il faut créer cet esprit de groupe pour parler d’une seule voix au Grand-Duché.

Êtes-vous confiant dans l’avenir de la Grande Région?

«Il y a à la fois une prise de conscience et une lutte quotidiennes. Les bonnes volontés ne manquent pas, il faut vraiment prendre la mesure des enjeux qui sont à l’échelle de la Grande Région et, pour l’instant, on ne sait pas comment cela peut bouger. Il n’y a rien d’automatique, le marché ne fera pas tout. Il faut que nous soyons plus organisés, et je ne crois pas du tout à la politique des petits pas.»