Selon David Seban-Jeantet: «Les inquiétudes actuelles s’expliquent par le fait que les champs d’application de l’intelligence artificielle sont très vastes et croissent de jour en jour.» (Photo: Société Générale Private Wealth Management)

Selon David Seban-Jeantet: «Les inquiétudes actuelles s’expliquent par le fait que les champs d’application de l’intelligence artificielle sont très vastes et croissent de jour en jour.» (Photo: Société Générale Private Wealth Management)

La question de savoir quels seront les effets à long terme de l’intelligence artificielle sur la croissance et sur l’emploi est primordiale. Faut-il alors s’alarmer de l’avènement des robots?

Si le sujet de l’intelligence artificielle est récent, celui de la robotisation est en réalité déjà ancien. De même que l’intelligence artificielle inquiète aujourd’hui, l’introduction de machines-outils au début de du XIXe siècle ne s’était pas faite sans heurts. Ainsi au tout début de la Révolution Industrielle avait émergé le mouvement des «Luddites» en Angleterre qui était constitué d’ouvriers s’opposant à l’apparition de métiers à tisser mécaniques et ayant organisé la destruction de machines dans les fabriques de draps.

Depuis ces débuts chaotiques, les progrès de l’automation et de la robotisation ont toutefois suivi un long processus d’amélioration engagé il y a près de 200 ans et l’on estime que les gains de productivité s’établissent désormais autour de 2% par an. Les chaînes de production automatisées sont aujourd’hui la norme et les robots et automates remplacent efficacement l’humain dans les travaux répétitifs, précis ou dangereux.

Force est par ailleurs de constater que la Révolution Industrielle a permis un essor considérable du niveau de vie en Europe, même si un grand nombre d’emplois ont disparu dans l’artisanat, l’agriculture ou l’industrie et que ce phénomène s’est accompagné d’une mutation profonde du paysage économique, avec l’émergence et la prédominance du secteur tertiaire.

Les inquiétudes actuelles, qui rappellent celles éprouvées par les ouvriers touchés par la Révolution Industrielle, s’expliquent par le fait que les champs d’application de l’intelligence artificielle sont très vastes et croissent de jour en jour. Compte tenu du risque de remplacer l’humain par des ordinateurs ou des robots dans un contexte de chômage élevé en Europe, la tentation est grande pour certains de contraindre ou d’entraver leur développement pour préserver l’emploi.

On peut néanmoins imaginer qu’à l’instar de la robotisation dans le secteur industriel, le développement de l’intelligence artificielle permet d’envisager une nouvelle phase de croissance de l’efficacité opérationnelle, en particulier dans le secteur des services. Sans établir une relation directe entre puissance de calcul et gains de productivité dans les services, rappelons néanmoins que la loi de Moore constate un doublement de la puissance de calcul des ordinateurs tous les 18 mois.

Cette toute nouvelle révolution est ainsi susceptible de modifier considérablement les sources et la répartition de la valeur ajoutée, tout en étant source d’amélioration des conditions de vie. 

Sur longue période, l’analyse économique établit une relation directe entre croissance économique et productivité. Le niveau de richesse créé dans une économie est ainsi une fonction linéaire de l’utilisation des facteurs de production. Le progrès technologique permet ainsi d’augmenter la production à ressources constantes mais également de baisser les prix, stimulant ainsi le pouvoir d’achat des ménages qui peuvent par la suite affecter une plus grande part de leurs revenus à des nouveaux produits et services. Au niveau agrégé, les destructions d’emplois liées au progrès technique sont plus que compensées par des créations d’emplois dans de nouveaux secteur d’activité. Cette relation a été explicitée par l’économiste français Alfred Sauvy analysant un mouvement de «déversement» des emplois d’un secteur à l’autre de l’économie.

L’analyse économique démontre les bienfaits du progrès technique sur la croissance et sur l’emploi à long terme, mais le processus de «destruction créatrice» qui la sous-tend n’est pas sans poser des questions d’adaptabilité de la main-d’œuvre à plus court terme. Les chocs de productivité peuvent ainsi aboutir à une destruction nette d’emploi et doivent impérativement être accompagnés de politiques visant à adapter la main-d’œuvre pour accompagner ces mutations et éviter un chômage de masse.

Ces évolutions posent également la question de l’accroissement des inégalités dans nos sociétés développées. Les travaux de Thomas Piketty nous indiquent à ce titre que celles-ci progressent fortement quand le taux de croissance de l’économie est inférieur au rendement moyen du capital. Partant, si le progrès technique crée des enjeux à court terme sur l’adaptation de la main d’œuvre, le surplus de croissance met en place les conditions d’une répartition des richesses plus équitable et il est alors plus facile de mettre en œuvre des politiques de redistribution pour accompagner la mutation de certains secteurs de l’économie. En conclusion, si certains secteurs d’activité devraient être affectés, de manière transitoire, par le développement de l’intelligence artificielle et de la robotisation, cet essor, s’accompagnera, à terme, d’une amélioration des conditions de vie, de la croissance et de l’emploi.