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Antoine David (Global Jet Luxembourg). (Photo: Etienne Delorme) 

Fidèle lecteur de paperJam, le président fondateur de Global Jet Luxembourg a accepté de répondre à nos questions malgré un naturel discret et le secret cultivé dans sa profession. Les bureaux de cette société méconnue au Grand-Duché, dont cet ancien pilote est propriétaire, sont situés à Howald au troisième étage du bâtiment H2O, également occupé par BNP Paribas, Nomura et Royal Bank of Scotland. Des photos décorent les murs des couloirs et des open spaces: les intérieurs luxueux des jets commercialisés par la compagnie et aussi un portrait officiel du couple grand-ducal.

Monsieur David, pourquoi votre société est-elle si méconnue au Luxembourg?

«La discrétion fait partie de notre culture. Les déplacements des entreprises nécessitent de la confidentialité vis-à-vis de la concurrence.

Comment communiquez-vous?

«Essentiellement par le bouche-à-oreille, même si nous étions exposants au salon Ebace (-European Business Aviation Convention and Exposition- qui s’est déroulé à Genève le mois dernier, ndlr) et si nous faisons parfois un peu de publicité dans des revues spécialisées. Notre service commercial est réparti dans différents pays, en Suisse, à Paris, à Moscou, à Beijing, à Monaco et à Londres.

Quand et comment Global Jet Luxembourg a-t-elle vu le jour?

«J’ai décidé d’entreprendre, après mes études, au milieu des années 80, car je ne trouvais pas de travail comme pilote. Global Jet a été créée il y a dix ans sur un pavillon, un agrément de transport public luxembourgeois. Elle fait aujourd’hui partie des leaders européens. Nos avions sont immatriculés au Grand-Duché. La flotte du groupe compte 42 appareils. Nous employons 380 personnes au Luxembourg, dont 220 pilotes à temps complet, une centaine d’hôtesses et près de 70 admi-nis-tratifs.

Quelles sont vos activités?

«Les vols charters représentent environ 90 % de notre chiffre d’affaires. Nous mettons à la disposition de nos clients, le plus souvent des grands groupes privés, l’avion de leur choix pour un trajet défini. Notre autre métier est le management. Des propriétaires nous confient la gestion de leurs avions et les louent à d’autres sociétés quand ils ne les utilisent pas. Cela leur permet de couvrir tout ou partie de leurs charges.Nous sommes spécialisés dans les avions long-courriers et positionnés sur le très haut de gamme. Nous effectuons des vols continentaux et intercontinentaux, notamment Europe/Etats-Unis ou Europe/Asie. Notre clientèle est européenne et nos destinations sont mondiales. Il nous est possible de faire le tour du monde avec une seule escale.

Avec quel type d’avion?

«Exemple type, nous avons immatriculé, il y a deux mois, le premier Airbus au Luxembourg. L’avion en version corporate est aménagé avec tout le confort pour des déplacements d’entreprises, en 19 places au lieu de 90. Nous disposons d’à peu près toutes les gammes d’avion à réacteur, de marque Dassault Falcon, Gulfstream, Bombardier. Nous avons aussi deux Boeing.

Qui sont vos concurrents?

«Les principaux sont TAG Aviation et Jet Aviation, tous deux domiciliés en Suisse. L’américain NetJets, de loin le plus gros opérateur d’avions d’affaires dans le monde (qui appartient à Warren Buffett et gère une flotte de 144 appareils, ndlr.), n’est pas une compagnie aérienne. La société fait du time-sharing, c’est-à-dire de la propriété partagée, ou multipropriété. Les avions sont partagés entre plusieurs entreprises propriétaires. Inspiré de l’immobilier, ce concept est né aux Etats-Unis et a été transposé en Europe il y a huit ou neuf ans. Au Luxembourg, Jetfly Aviation exerce également ce métier.

Pourquoi Global Jet est-elle installée au Grand-Duché?

«Je travaille ici depuis une quinzaine d’années. Je suis résident au Luxembourg où je me sens bien. L’image du Luxembourg, pays à taille humaine et apprécié dans le monde économique, est intéressante pour un pavillon européen.

Y a-t-il des avantages fiscaux à faire immatriculer ses avions au Luxembourg?

«Pas plus que dans d’autres pays européens. La réglementation et la fiscalité de l’aviation sont harmonisées en Europe. L’EASA (Agence Européenne de la Sécurité Aérienne) chapeaute les organismes nationaux et standardise les règles et procédures.

Vos avions sont-ils établis ici?

«Non. Notre concept veut qu’une fois sa mission achevée, l’avion se rend directement au départ de sa prochaine mission. Il n’y a aucune raison de le ramener ici. C’est moins coûteux de déplacer les équipages que les avions.

Que pensez-vous des infrastructures luxembourgeoises?

«Notre bonheur a été l’ouverture du terminal aviation d’affaires (inauguré en février, ndlr). Pour notre clientèle de décideurs, c’est un grand plus et un outil adapté. On utilise l’aviation d’affaires pour gagner du temps. Il était inconcevable de perdre une heure ou une heure et demie dans des formalités.

Comment se porte le marché de l’aviation d’affaires?

«Depuis les attentats de 2001, l’aviation d’affaires s’est beaucoup développée. Face aux problèmes de sécurité, d’enregistrement, de retards, les entreprises y ont trouvé un moyen plus fiable, plus rapide, plus flexible. C’est devenu un outil de travail et de communication. On pensait que les systèmes de vidéoconférence, de visiophones remplaceraient les déplacements. Mais rien ne vaut le contact humain tant pour les relations intergroupes que vis-à-vis d’un client ou d’un fournisseur. Le chef d’entreprise et les cadres doivent se déplacer, mais dans un temps limité et rationnel, d’où l’intérêt de l’aviation d’affaires.

Ne craignez-vous pas de faire partie des premières victimes du ralentissement économique?

«Les constructeurs sont ressortis un peu euphoriques du dernier salon Ebace, car de grosses commandes ont été passées. Mais, il faut rester prudent. Je pense que nous avons vécu nos plus belles années. Après une croissance de 15 % à 20 % en 2007, nous anticipons un certain tassement de l’activité d’ici à la fin 2008. Le marché américain a fortement régressé. Et certains marchés européens comme l’Angleterre et l’Espagne ont également ralenti. Il faudra attendre de voir ce qui se passe avec le dollar et surtout le pétrole.L’aviation d’affaires est une activité particulièrement cyclique, car directement liée au développement économique des entreprises. Il nous faudra donc limiter nos investissements, même si l’impact devrait être plus tardif que pour l’aviation de ligne.

En revanche, les demandes augmentent sur les pays émergents comme la Chine, l’Inde, les pays de l’Est et la Russie. En Europe, l’aviation d’affaires a aussi acquis une certaine maturité. Avec la mondialisation, elle est devenue un outil indispensable pour les entreprises, ce qui devrait assurer sa pérennité de ce côté de l’Atlantique, où le marché reste sous-développé par rapport aux Etats-Unis. Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 135 millions d’euros en 2007. Cette année, nous ferons un peu plus de 150 millions.

Les vols réguliers ne sont-ils pas beaucoup moins coûteux pour les entreprises?

«Si. Ce n’est pas comparable. Mais l’aviation d’affaires est la seule qui réponde aux impératifs de la mondialisation, à des déplacements de plus en plus rapides et de plus en plus lointains. Imaginez que vous ayez un rendez-vous à Londres un matin. Cela vous prendrait la journée avec un vol régulier. Avec un avion d’affaires, vous êtes rentré avant midi et vous pouvez aussi vous rendre à Bruxelles dans l’après-midi. Vous partez à l’heure que vous souhaitez et vous pouvez modifier votre planning quand vous le souhaitez, changer de destination, ajouter une escale. Vous avez la souplesse d’une voiture de fonction. Si vous allez en Asie, vous pouvez vous rendre sur quatre ou cinq destinations sur deux jours. Cela représente des gains de temps et de productivité énormes pour les entreprises. En plus, nous relions des destinations mal desservies par les compagnies régulières, comme en Afrique ou en Russie.

Avez-vous du mal à recruter des pilotes?

«Oui, c’est très dur. Cela dit, nous avons tout de même embauché près de 70 personnes en 2007. Cette année, nous devrions en recruter une quarantaine. Notre organisation et nos conditions de travail sont attirantes pour les pilotes et les équipages, car elles leur laissent passer beaucoup de temps chez eux. Les blocs de travail et les blocs de repos sont bien équilibrés, ce qui permet de préserver sa vie familiale dans un métier très prenant».