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Le défi de la place financière est grand: réussir la conversion d'un centre offshore en un centre onshore. Le bien-être du pays tout entier pourrait en dépendre!

Imaginons une fois le Luxembourg sans place financière.

Ce serait un Etat réduit au poids économique d'une ville provinciale de taille moyenne, avec un PIB par habitant comparable non plus à celui de la Région parisienne, de Hambourg et de Vienne, mais plutôt à celui de la Franche-Comté, de la Rioja ou du Leicestershire. Un Etat qui imposerait ses habitants à des taux (imposition et charges sociales) dépassant en moyenne les 50% du salaire mensuel brut pour financer l'équilibre budgétaire. Enfin ce serait un Etat, dans lequel personne n'oserait discuter d'augmentation de retraites, de salle de concerts ou de musée d'art moderne.

Le poids de la place financière sur l'économie luxembourgeoise représente selon une étude récente, publiée par le Comité pour le développement de la place financière de Luxembourg(1) , plus de 30% de la production nationale, entre 32% et 36% du PIB, 20% de l'emploi intérieur luxembourgeois et près de la moitié des recettes fiscales de l'Etat.

Chiffres impressionnants qui illustrent combien le bien-être de l'Etat luxembourgeois et de ses habitants dépend d'un seul secteur.

Si le succès initial de la place financière s'est basé sur le développement du domaine des euro-obligations et des eurocrédits syndiqués, domaine dans lequel le Grand-Duché a pu développer au cours des années 60 et 70 des compétences reconnues, la place offre aujourd'hui surtout des services commerciaux et financiers destinés aux investisseurs, privés et institutionnels. Ainsi, la place financière du Luxembourg est surtout un centre de gestion patrimoniale.

Qui dit gestion patrimoniale ne dit plus uniquement gestion individualisée, mais de plus en plus gestion collective, par le biais d'organismes de placement collectif (OPC).

Aujourd'hui, le Luxembourg se situe au deuxième rang à l'échelle mondiale en matière de volume d'actifs nets sous gestion collective, derrière les Etats-Unis, mais bien avant la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne. Dans un contexte boursier difficile, les actifs nets gérés sont passés de 734,5 milliards Euros en 1999 à 875,6 milliards Euros en 2000, soit une progression de 19%. Le nombre d'OPC, dont les Sicavs constituent la forme la plus répandue, s'est chiffré à 1.785 à la fin de l'année passée.

Mais attention: tous ces fonds enregistrés ne sont pas nécessairement aussi gérés à partir de la Place. Le manque d'un savoir-faire spécifique fait toujours froncer les sourcils des responsables. Aujourd'hui, la Place manque effectivement de spécialistes en matière de gestion de fonds, d'analyse financière et d'ingénierie financière, capables de développer des produits innovants.

Suite aux décisions communautaires en matière d'harmonisation fiscale, prévoyant à terme soit l'échange d'information entre États-Membres sur les revenus financiers perçus par des non-résidents, soit une retenue à la source sur les revenus des non-résidents (et donc la plus grande partie des clients de la place), le Luxembourg devra progressivement se transformer en centre onshore.

C'est pourquoi les acteurs de la Place ont lancé de nouvelles initiatives pour garantir l'attrait de la place bien au-delà des réalités offshore. Le défi est celui de faire du Luxembourg un centre d'excellence en matière de private banking, en s'appuyant sur les points forts de la Place: environnement législatif et réglementaire favorable, confidentialité, discrétion et dimension humaine de l'accueil et enfin qualité de la main d'oeuvre.

Si tous les regards sont actuellement tournés vers la formation bancaire - on parle beaucoup d'une Luxembourg School of Finance et certaines formations, dont celle d'Analyste Financier, organisée par l'IFBL (2), en concert avec l'ALGAFI (3), permettent déjà de garantir un niveau de qualité international ? on oublie trop rapidement que, contrairement à d'autres places financières européennes, le Luxembourg ne dispose plus vraiment d'acteurs nationaux, ayant un attachement naturel au développement de la place financière luxembourgeoise. Sauf quelques rares exceptions, toutes les banques installées au Luxem-bourg sont aujourd'hui des branches de groupes étrangers. On compte ainsi, parmi les 197 banques de la place, 63 filiales ou succursales de banques allemandes. Les banques belges occupent la deuxième place dans ce classement, devant celles de l'Italie, de la France et de la Suisse.

Etant souvent forcées à limiter leur rôle à celui d'un «pieds à terre» des grands acteurs européens et internationaux, les banques de la place financière doivent aussi se soumettre à la logique stratégique et commerciale de leurs patrons étrangers. Il existe un risque réel que la perception des atouts de la place financière sera progressivement réduite à celle d'avantages purement pécuniaires, de nature fiscale notamment.

Ceci explique pourquoi la place financière du Luxembourg n'a pas arrêté au cours des dernières années de chercher de nouvelles niches à occuper, niches qui demandent trop de spécialisation pour intéresser la concurrence européenne ou dans lesquelles le Luxembourg peut trouver un avantage compétitif grâce à sa capacité à créer rapidement un cadre législatif et réglementaire avantageux.

L'exemple le plus souvent cité est celui du développement d'une industrie de fonds de pension. La demande d'instruments d'épar-gne-retraite spécifiques ne cesse d'augmenter et le Luxembourg a été une des premières places à créer un cadre permettant de répondre aux besoins internationaux. Malheureusement, les dossiers restent encore rares pour l'instant. Le développement de l'electronic banking constitue un autre exemple, avec quelques initiatives encourageantes.

Néanmoins la place financière - ou devrait-on, en absence d'autres métiers financiers tels que l'investment banking, plutôt parler de place bancaire? ? est aujourd'hui encore (trop) fortement spécialisée.

Reste enfin la question: est-ce que le Luxembourg sera en mesure de gérer le développement futur de sa place financière, sachant qu'un employé nouvellement embauché sur six est encore de nationalité luxembourgeoise? Il est devenu quasiment impossible de trouver du personnel qualifié et expérimenté au Luxembourg et dans les régions transfrontalières, à moins de ?mettre un gros paquet sur la table?.

A défaut de pouvoir recruter des salariés qualifiés dans les régions avoisinantes, la Place doit de plus en plus se tourner vers d'autres centres financiers européens: aujourd'hui des centaines de fi-nanciers français, belges, allemands ou italiens sont déjà envoyés par leur maison-mère au Grand-Duché.

Le succès de la place financière sera très certainement (aussi) fonction de sa capacité à recruter des professionnels à l'échelle européenne, à les former et enfin à les garder à moyen et long terme.

(1) CODEPLAFI: Etude d'impact de l'industrie sur l'économie luxembourgeoise, 2001

(2) Institut de Formation bancaire luxembourgeois

(3) Association luxembourgeoise des Ges-tionnaires d'actifs et Analystes financiers