« La bonne personne, au bon endroit, au bon moment. » L’adage est plus que jamais d’actualité dans l’industrie des fonds d’investissement. Le contexte de crise, auquel vient se greffer un agenda réglementaire très important, implique forcément de disposer des ressources nécessaires, si possible qualifiées. « La mise en place des réglementations a un impact direct sur les recrutements, déclare Nathalie Delebois, directrice et cofondatrice du cabinet DO Recruitment Advisors. Nous observons une augmentation des demandes en termes de risk management, de compliance, d’audit et de contrôle des opérations. »
Cette notion de contrôle et de risque, en tête de l’agenda des entités de l’industrie des fonds, n’est d’ailleurs pas étrangère aux législations en cours, dont AIFMD. « Nous recherchons des profils plus spécifiques que par le passé, capables d’intégrer des problématiques plus larges que les seuls aspects financiers du secteur », précise Géraldine Augier, senior consultant chez Michael Page.
Ces changements de priorités dans la recherche de profils correspondent aux objectifs ambitieux de l’Alfi, comme celui de doubler les actifs sous gestion dans la sphère alternative. « Les changements de responsabilité pour les banques dépositaires dans le sillage d’AIFMD entraînent des besoins plus poussés en formation, déclare Ben Lyon, consultant en formation et chef de projet auprès de l’IFBL. De notre côté, cela implique de pouvoir proposer des modules actualisés au moment où le besoin se présente. »
Le départ de back-office vers des localisations présentant des coûts moindres vient s’ajouter à la mise en place de directives. On assiste donc à une spécialisation accrue des recrutements pour les années à venir, non sans un certain effet pervers. « Par le passé, nous recrutions de nombreux comptables fonds, note Nathalie Delebois. La forte demande de l’époque de la part des entreprises a entraîné les salaires vers le haut. Nous nous sommes donc retrouvés avec un back-office important affichant des salaires élevés. » Si les recrutements en back-office sont terminés en raison du départ à l’étranger, le recrutement de fonctions de coordination des équipes à l’étranger depuis Luxembourg est toujours possible.
La spécialisation des profils est par ailleurs en adéquation avec les besoins de la clientèle en termes d’optimisation patrimoniale. « Nous notons clairement une migration vers la valeur ajoutée des profils, précise Ben Lyon. L’époque où l’on pouvait percer dans des fonctions administratives sans diplôme est révolue. » Une tendance qui concerne les fonds, mais aussi les banques et les services financiers d’une manière générale. « Nous passons d’une organisation pyramidale à celle d’un diamant. » Les asset managers, wealth planers ou autres experts disposant des connaissances successorales cumulées aux aspects fiscaux sont ainsi recherchés.
Recherche : conducting officer
Un autre métier apparaît comme étant de plus en plus indispensable à la conduite d’activités au sein des fonds d’investissement : celui de risk manager et / ou conducting officer. La législation déployée explique, dans ce cas également, ce besoin. Dans une circulaire datant du 24 octobre 2012, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) indiquait que les sociétés de gestion luxembourgeoises chargées de gérer des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) devaient disposer d’au moins deux conducting officers.
Ces dirigeants doivent également justifier d’une présence régulière sinon quotidienne à Luxembourg. « Ces personnes sont expérimentées et correspondent à deux types de parcours, ajoute Géraldine Augier. Ils proviennent de l’industrie du risk management / compliance ou ont un bagage plus opérationnel en fonds d’investissement. » Cette obligation de la CSSF peut entraîner une recherche de compétences en externe, mais les sociétés de gestion disposent souvent de cadres expérimentés qu’il faudra alors faire reconnaître auprès de cette dernière. « La CSSF délivre le titre de conducting officer non pas en fonction des études, mais de l’expérience acquise auprès d’autres sociétés et surtout de la pratique à Luxembourg », note Géraldine Augier.
Si une circulaire telle que celle-ci peut faciliter la tâche d’un cabinet de recrutement lorsqu’il devra rédiger, aux côtés de son client, une liste d’exigences pour former le portrait-robot du candidat recherché, l’exercice est, d’une manière générale, difficile. « Le manque de visibilité sur le marché implique une volonté de la part du client de ne pas se tromper dans le choix qu’il sera amené à faire, note Nathalie Delebois. Il va donc vouloir potentiellement recruter quelqu’un qui possède plus de compétences pour suivre l’évolution de sa société. » L’approche de nouveaux marchés, tels que les pays dits émergents, implique aussi une exploration de ces derniers pour trouver d’éventuels experts qui y travaillent, les connaissent et seraient prêts à s’établir au Luxembourg.
L’heure serait donc à l’internationalisation des recherches, au minimum sur le terrain de la Grande Région et des autres centres financiers à Londres et en Suisse. Cependant, même s’ils sont peu nombreux, les talents disposant d’un profil élevé ne semblent pas forcément attirés en premier lieu par un aspect pécuniaire. « Les candidats ont peur de changer de travail, précise Nathalie Delebois. Le taux de refus est très important. » Les attentes des candidats peuvent ainsi varier, selon le mode de vie, la culture et l’âge. « Les candidats dans la tranche s’étendant de 30 à 40 ans ont des enfants ou veulent fonder une famille, le Luxembourg peut donc leur offrir un cadre de vie agréable. » Une observation formulée avant le lancement de la campagne publicitaire de Luxembourg for Business visant à promouvoir le cadre de vie du pays et qui pourrait – peut-être - aussi toucher d’éventuels futurs travailleurs.
Une adaptation des méthodes
Ces nouvelles demandes et exigences du client – et donc des acteurs de la Place – impliquent une approche du travail différente dans le chef des cabinets de recrutement. « Nos consultants qui disposent en moyenne de 10 ans d’expérience ont dû s’adapter pour suivre l’évolution des profils demandés par les clients, note Nathalie Delebois. Le marché est difficile, mais devient intéressant. Nous apprenons beaucoup des candidats hautement qualifiés. » Il en est de même sur le terrain de la formation.
L’IFBL, créé en 1990 au départ du département formation de l’ABBL, veut d’ailleurs se placer en complément de l’Alfi avec laquelle il collabore pour soutenir les efforts de la Place. « Nous avons revu l’organisation de nos formations, ajoute Ben Lyon. Le format mis en place il y a quelques années, proposant une journée de cours avec un intervenant, ne convient plus à tous les sujets proposés. »
L’institut mise aussi sur une formule intermédiaire entre la conférence – terrain sur lequel elle ne veut pas se positionner – et la formation « classique », en privilégiant l’interaction de deux experts. « Le niveau de détail peut ainsi être plus poussé. Nous n’enseignons pas l’interprétation des directives, mais leur application concrète. » L’IFBL veut aussi mettre ses formateurs en valeur, et trouver les techniciens qui ont de l’appétit pour former sur des supports modernes qui reflètent le niveau de spécialisation demandé.
La Luxembourg School of Finance (LSF) entend également coller aux besoins du marché en composant son programme académique avec les principaux intéressés, en l’occurrence les associations professionnelles et autres asbl impliquées dans les sujets importants pour le développement de l’industrie. La finance islamique est ainsi traitée avec l’Islamic Finance Professionals Association, la microfinance avec l’asbl Ada et le wealth management avec le Private Banking Group Luxembourg (PBGL) de l’ABBL. « Nous créons via ces programmes une combinaison académique et professionnelle, déclare Julian Presber, coordinateur de la Luxembourg School of Finance et chargé des relations avec le secteur financier.
C’est véritablement une des forces de la Place de pouvoir puiser dans un vaste réservoir de spécialistes qui peuvent livrer un ensemble professionnel et technique très performant. »
Outre un besoin de formations certifiantes, les acteurs expriment aussi le souhait de formations dites de « soft skills », autrement dit comportementales, notamment concernant la gestion du CV et la communication. « La gestion de la diversité fait aussi partie des demandes que nous recevons, également dans le secteur des fonds, ajoute Ben Lyon. La gestion des équipes globales et celle de l’image apparaissent comme des atouts complémentaires. Les responsables d’équipe et les collaborateurs ont besoin de mieux se connaître eux-mêmes et de développer leurs compétences interpersonnelles. »
Reste que si l’industrie des fonds se porte bien, d’autres pans de la place financière sont un peu moins à la fête. Et les plans sociaux annoncés dans certaines institutions ne font que grossir la liste des demandeurs d’emploi. Pour permettre au personnel licencié de rebondir, l’IFBL et l’Adem ont mis en place le programme « Fit 4 Job » pour les travailleurs du secteur financier qui sont au chômage. Plus de 400 personnes sont passées par le programme depuis 2010. « Nous notons un impact positif au travers de cette mesure de reclassement. Le programme est destiné à réajuster les compétences techniques et personnelles des demandeurs d’emploi pour leur permettre de se réinsérer dans le marché. »
Quand réorientation rime avec spécialisation
L’évolution de la place financière a ainsi permis au Luxembourg de devenir un centre de compétences. Tout d’abord dans le secteur bancaire, suivi du succès de l’industrie des fonds. Si les spécialistes les plus émérites peuvent faire partager leurs expériences lors de formations, l’ensemble des employés du secteur peut contribuer à relever les défis de demain, notamment dans la sphère alternative. « Les compétences liées à la gestion du risque, à la conformité, au droit financier sont des exemples de domaines qui ont grandi organiquement aux activités actuelles en raison, par exemple, des besoins des banques ou des Ucits , ajoute Julian Presber. Il faut nourrir ce savoir-faire, pas seulement avec des programmes apportant un diplôme, mais avec des formations qui donnent la possibilité avec ceux qui pratiquent les sujets d’être à la pointe en termes à la fois de connaissances académiques et de bonnes pratiques. »
L’employeur a donc tout son rôle à jouer dans cette dynamique de formation, véritable investissement pour l’avenir. « Le réflexe de la part des employeurs à l’égard de la formation est bon, mais il faut poursuivre les partenariats entre le monde académique et les entreprises pour cerner les domaines qui intéressent la Place. » Les acteurs vont certainement investir dans la formation, car l’avenir et la diversification de la Place se fixent sur des orientations plus pointues, dont l’importance va augmenter progressivement.
Et M. Presber d’évoquer en premier lieu la diversité des produits et des fonctions au sein de la banque, des fonds et de l’assurance, et au-delà. « Nous allons aussi observer une valeur ajoutée plus pointue. On entend souvent parler de licenciements massifs dans la presse, mais l’arrivée de plus petites structures, qu’elles soient actives dans l’IT, les family offices, les fiduciaires et qui s’installent au Luxembourg, emploient des collaborateurs au profil à haute valeur ajoutée. » La diversification viendra enfin par le biais des compétences. « Outre l’adaptabilité de notre législation, qui continuera d’être un atout, la vraie différence viendra du savoir-faire que nous serons capables d’enseigner et de répandre pour soutenir les niches, les compétences et les produits. » Des voies de développement qui montrent l’importance de la formation et la recherche de talents. Car à l’heure où la Place entend continuer à se diversifier, tant par rapport aux acteurs présents qu’aux produits et aux fonctions développées, toutes les forces vives seront les bienvenues pour réussir la compétition entre centres financiers.
Recrutement
Nouvelle donne, mêmes recettes
Entre des budgets toujours plus contractés et un manque de visibilité, le recruteur doit pouvoir tirer son épingle du jeu, d’autant plus que les cabinets sont désormais nombreux au Luxembourg. Cette concurrence implique que chacun mette ses arguments différenciateurs en avant. Certains évoquent des expériences antérieures, d’autres misent sur des collaborateurs aguerris. Mais la vraie différenciation ne vient-elle pas de la capacité à trouver le bon candidat et d’éviter toute incertitude dont le client a horreur, particulièrement en temps de crise ?
Pour dénicher la perle rare, tous semblent s’être convertis au célèbre réseau social professionnel : Linkedin. Un outil indéniable, tant pour les recruteurs que les candidats. Mais les acteurs du recrutement affirment, dans le même temps, continuer à exploiter leur carnet d’adresses classique, et à entretenir des relations interpersonnelles. À l’heure de la numérisation des contacts, un échange réel, si possible de visu, permet souvent aux parties de mieux se comprendre.