Nicolas Demarest, directeur commercial, head of Benelux chez Lombard International: «Les consommateurs recherchent une garantie, une sécurité dans ces moments de turbulence boursière.» (Photos: Maison Moderne)

Nicolas Demarest, directeur commercial, head of Benelux chez Lombard International: «Les consommateurs recherchent une garantie, une sécurité dans ces moments de turbulence boursière.» (Photos: Maison Moderne)

Les chiffres de l’assurance-vie au Luxembourg sèment le trouble. En 2015, le Commissariat aux assurances annonçait un recul de l’encaissement dans le secteur de plus de 10%, après une année 2014 qualifiée d’exceptionnelle. Il observait aussi un glissement marqué vers les produits en unités de compte, les assureurs ayant réorienté leurs clients vers d’autres produits que ceux à taux garantis dans un contexte persistant de taux bas.

Changement de décor au premier semestre 2016: la stabilité est de retour et ce sont de nouveau les produits à taux garantis qui croissent (+4,97%) alors que ceux en unités de compte voient les primes reculer de 3,88%. Explications? Pas pour l’instant. Le secteur navigue un peu à vue dans un contexte compliqué. Reste que l’assurance-vie représente encore fin 2015 près de 2/3 des chiffres du secteur de l’assurance (62,19%) dont 90 % réalisés hors des frontières.

Progression vs réglementation

S’il y a eu une progression sur la quasi-totalité des marchés au cours des six premiers mois de 2016, avec des variations selon les pays, celle-ci est néanmoins entravée par deux phénomènes qui causent de l’incertitude: la lourde charge réglementaire qui pèse sur le secteur et la récente décision de la Grande-Bretagne, lors du référendum du 23 juin 2016, de quitter l’Union européenne. Et pour les mois à venir, la restructuration de l’offre et la digitalisation seront cette fois les grands challenges du marché de l’assurance-vie.

La progression a bel et bien été au rendez-vous au cours du premier semestre 2016, mais des différences se font jour selon les pays. «Cela est notamment dû au changement réglementaire avec l’arrivée du CRS (Common Reporting Standard), une réglementation développée par l’OCDE, dont l’objectif est la transparence fiscale et qui va mener à un échange automatique d’informations entre les États l’ayant adoptée. Nous attendons par ailleurs la transposition en loi luxembourgeoise des réglementations européennes. L’environnement est devenu plus complexe», explique Nicolas Demarest, director Sales, head of Benelux chez Lombard International.

Eric Winter, commercial director de Foyer International, évoque pour sa part une incertitude concernant de nouveaux aspects réglementaires à venir, alors que l’échéance pour laquelle les sociétés devront être en conformité – avoir adapté leurs processes et produits – se rapproche inévitablement.

Risques et opportunités du Brexit

La décision du peuple britannique de quitter l’Union européenne soulève la question de savoir dans quelle mesure les acteurs pourront encore utiliser le passeport unique pour continuer à commercialiser leurs produits au Royaume-Uni, et quelles en seront les conditions. Le changement de gouvernement et les changements au niveau taxation sont par ailleurs préoccupants.

«C’est la taxation qui influence les clients dans le choix de nos solutions », indique Nicolas Demarest, qui voit cependant dans le Brexit une opportunité de taille et un nouveau marché à capter: beaucoup de Britanniques vont en effet partir s’installer sur le continent.

Pour Fabrice Sauvignon, directeur général de La Mondiale Europartner SA, filiale d’AG2R La Mondiale, le marché de l’assurance-vie a d’énormes perspectives devant lui et le Brexit ne saurait venir entraver cette perspective de croissance. «Puisque le Luxembourg est au centre du continent européen, il est fort probable qu’il devienne la Place favorite pour faire de l’assurance-vie, prédit-il. Les atouts du Luxembourg n’ont jamais été aussi forts: stabilité légale, force financière, savoir-faire qui n’existe nulle part ailleurs sur le continent, reconnaissance des grands marchés. Le Luxembourg conserve son leadership.»

Restructuration de l’offre

Autre phénomène du moment: l’environnement de taux bas et la mise en place de Solvency II depuis le 1er janvier font que le marché est actuellement appelé à être restructuré dans son offre. «L’environnement nous pousse à changer l’équation. Nous voyons poindre des nouvelles générations de produits. Les acteurs qui fournissaient traditionnellement des garanties ne vont pas arrêter de fournir des garanties mais vont restructurer leur offre pour offrir un mix risque/rendement différent», explique Fabrice Sauvignon. Un phénomène qui concerne les plus grands acteurs de la Place.

«La plupart des compagnies ont déjà anticipé le phénomène, notamment en appliquant des règles plus strictes en matière de business mix (taux-capital garanti vs unités de compte)», souligne pour sa part Eric Winter. Lombard est moins affectée par ce phénomène dans la mesure où l’entreprise ne propose pas des produits à taux garantis, «une décision stratégique», selon Nicolas Demarest, qui reconnaît toutefois que les consommateurs «recherchent une garantie, une sécurité dans ces moments de turbulence boursière».

«Nous essayons d’être plus inventifs et travaillons sur de nouveaux produits, de nouvelles options pour donner un niveau de confort aux clients.»

Les enjeux de la digitalisation

Pour les années à venir, le grand défi sera celui de la digitalisation. «La digitalisation est un élément majeur, elle va faciliter les interactions à distance et l’expérience client. Le Luxembourg a devant lui un boulevard de développement », explique Fabrice Sauvignon.

Les atouts du Luxembourg n’ont jamais été aussi forts. 

Fabrice Sauvignon, directeur général, La Mondiale Europartner

Eric Winter distingue pour sa part deux facettes de cette nouvelle tendance: s’il soutient «la digitalisation comme service rendu pour le suivi administratif du contrat», il est plus sceptique quant à l’aspect «vente des contrats», certains types de produits ou de contrats ne se prêtant pas à l’intermédiation à distance car ils nécessitent un conseil et un accompagnement sur mesure. «Il faudra toujours communiquer, rencontrer et accompagner le client dans sa démarche.»

Perspectives pour les prochains mois

L’un des grands enjeux de la digitalisation concerne aussi la collecte, le stockage, le traitement et la diffusion des informations, qui impliquent un coût non négligeable. «Nous devons continuer à pouvoir délivrer plus de services dans un environnement avec des marges qui ont tendance à s’éroder. À une échéance relativement courte, si nous ne proposons pas ce service, nous serons hors-jeu.»

À court terme, il faudra non seulement rester vigilant face aux nouvelles législations européennes mais également aux nouvelles lois nationales des différents marchés qui concernent les aspects fiscaux mais aussi civils. «Dans ce rythme effréné de changement, ce qui est important, c’est de garder cette unicité de la Place pour agir ensemble et rester crédible à l’étranger», explique Eric Winter.

Il faudra toujours communiquer, rencontrer et accompagner le client dans sa démarche.

Eric Winter, directeur commercial, Foyer International

«Il faudra aussi réussir à supporter les coûts qu’on nous demande. Souvent, on voit qu’il y a une guerre des prix, une pression sur les marges. Il faut défendre la complexité de notre activité», explique de son côté Nicolas Demarest. Pour Fabrice Sauvignon, «il importera aussi de faire le récit de l’utilité du Luxembourg dans l’économie européenne. Cela participe d’une logique de développement durable qui fait qu’on s’inscrit dans le long terme.» 

On l’aura compris, le marché de l’assurance-vie est extrêmement dynamique et, en raison de facteurs externes, amené à évoluer constamment. Il appartient aux différents opérateurs du secteur d’en saisir les opportunités et de rester unis.