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La place financière part à la conquête d’un marché au fort potentiel à court et moyen termes. L’industrie des fonds se sent particulièrement concernée. Réciproquement, le Luxembourg pourrait bénéficier de l’activité des intermédiaires financiers brésiliens.

Le Nouveau Monde n’a certainement jamais autant mérité cette appellation qu’aujourd’hui pour les acteurs économiques luxembourgeois. Les néo-conquistadores, précédés par le ministre Frieden, ont attaqué le marché sud-américain lors d’une «mission de développement de la place financière» au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil. Mais c’est l’ancienne colonie portugaise qui suscite le plus d’intérêt.

Des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), il constitue celui qui porte le plus de garanties à court terme. Le gouvernement l’a bien compris, en dépêchant son principal émissaire financier. L’intéressé s’y est renseigné sur les perspectives économiques entre les deux pays, notamment eu égard à la future direction du pays par Dilma Rousseff. Une ambassade luxembourgeoise devrait d’ailleurs prochainement voir le jour.

La continuité semble promise pour des relations économiques déjà fructueuses. Dès 1979, la signature d’un traité de non-double imposition a servi de base aux relations financières bilaté­rales. Elles n’ont cessé de se développer et, selon le Brazil market entry guide de Luxembourg for business, les investissements directs à l’étranger entrants en 2008 s’élevaient à 30 milliards d’euros, les investissements luxembourgeois (14%) se plaçant derrière les américains à 16%. Cargolux, ArcelorMittal, Paul Wurth ou encore CEBI participent largement à ce pourcentage. Les liens sont donc tissés. Le secteur bancaire peut en tirer parti, d’autant que la Place saurait mettre à disposition des contreparties lusophones.

L’intérêt des professionnels de la finance pour ce pays tient d’abord à des conjectures économiques (voir encadré) et à la bancarisation progressive de l’économie brésilienne. Jean Philippe Leroy, directeur général de Banco Bradesco Europa, fait état du développement de la classe moyenne. Elle passe de 38,7% en janvier 2004 à 54,4% en septembre 2010. «Ces personnes vont avoir besoin de financements, de comptes courants, de produits d’épargne.» Le marché s’annonce juteux. Le nombre croissant de gens fortunés attise également les convoitises des professionnels de la gestion de fortune. Le Brésil produit «6.000 nouveaux millionnaires par mois». De plus, le secteur bancaire brésilien a prouvé sa capacité à subir les chocs. Peu chahuté par la crise, il suscite l’admiration à peine exagérée de M. Leroy: «Il se trouve dans une situation fantastique.»

En sus de ces perspectives enthousiasmantes, les liens historiques entre les deux pays constituent un terreau fertile pour la poursuite de relations d’affaires. Des pays BRIC, seul le Brésil évolue dans un environnement de morale judéo-chrétienne. Rafik Fischer, general manager des services à la clientèle institutionnelle et professionnelle de KBL European Private Bankers, avoue «plus de facilités à faire du business avec le Brésil qu’avec la Chine». Le représentant de Bradesco, né en France et éduqué au Brésil, confirme également cette facilitation des rapports humains. «Quand on parle du Brésil, on vous sourit. Il s’agit d’un pays sympathique à tout le monde.»

Le Brésil, pas si facile

Pour Jean-Philippe Leroy, la venue de l’agence gouvernementale Luxembourg For Finance au Brésil était une évidence. «C’est le moment où jamais.» Mais il y a un hic! L’industrie brésilienne des fonds occupe la 5e place du marché mondial, pour des raisons historiques liées à l’inflation galopante de la monnaie brésilienne à la fin des années 1980. Pour faire face à cette hyperinflation, «le gouvernement avait mis en place des fonds d’investissement pour que les gens y placent leur salaire et qu’il garde sa valeur sur le mois», indique M. Fischer, qui est également président du comité d’administration du European Fund Administration. Du coup les autorités protègent leur marché. «Elles sont assez réticentes à autoriser la vente de fonds luxembourgeois aux investisseurs brésiliens.» Seuls les fonds de fonds, où une partie du fonds brésilien est investi dans un OPC luxembourgeois, ou quelques feeder funds investissant 100% dans «du luxembourgeois» ont droit de cité.

Le président d’EFA souhaiterait en fait, par-dessus tout, utiliser des OPC luxembourgeois sur le marché brésilien, «mais la régulation ne permet pas qu’un fonds étranger élise domicile au Brésil», précise Edinardo Figueiredo, CEO de Banco Itaú Luxembourg. Le gouvernement, par le truchement de la Comissão de Valores Mobiliários (CVM), équivalent de la CSSF, souhaite garder la main sur l’administration centrale des OPC distribués au Brésil. Pour Rafik Fischer, il pourrait s’agir d’une «question évolutive», dépendant des aptitudes en négociation des autorités luxembourgeoises. Mais la marge de manœuvre est étroite.

Certes, un protocole d’accord a été signé, mais il favoriserait seulement la coopération entre les superviseurs des deux pays, notamment en termes d’échanges d’information. Ce qui ne semble pas contenter M. Fischer. «Nous aimerions qu’ils ouvrent les fonds de pension. Ce sont des investisseurs institutionnels qui savent ce qu’ils font. Ils investiraient dans des OPC luxembourgeois et ce serait un premier succès pour le Luxembourg.» Mais les Brésiliens n’ont accès aux instruments financiers internationaux que depuis 2008 et sous certaines conditions limitatives – via le fonds de fonds notamment – mentionnées dans les circulaires 450 et 456 de la CVM.

De toute façon, Rafik Fischer est bien conscient qu’il «est très dur pour un OPC non brésilien de surperformer un OPC brésilien. Le revenu d’intérêt net au Brésil reste largement supérieur à ce que nous pouvons aujourd’hui avoir, avec une obligation étatique européenne sans risque.»

L’offensive brésilienne

Reste donc la stratégie de repli consistant à convaincre les acteurs brésiliens, qui évidemment connaissent le mieux leur marché national, de créer des fonds estampillés «Brasil», mais de droit luxembourgeois, pour vendre de l’exposition au Brésil sur le plan international.

Bradesco vient à ce titre de créer deux fonds Sicav «flavour Brazil», selon l’expression de Jean-Philippe Leroy, l’un en equities, l’autre en fixed income, et les distribue dans treize pays grâce à sa licence acquise auprès de la CSSF. Ils pourront de la sorte profiter de l’expérience des gestionnaires d’actifs locaux. Banco Itaú s’engage sur la même voie et proposera dès 2012 un service d’administration de fonds et de gestion d’actifs. D’autres fonds européens investissent également au Brésil, comme un compartiment d’OPC de Nordea, mais ils ne bénéficient pas d’une étiquette brésilienne.

Les banques brésiliennes font donc preuve d’activité au Grand-Duché, notamment Bradesco Luxembourg qui, devenue Bradesco Europa, souhaite faire de sa filiale locale son hub européen en banque privée et finance corporate. Son directeur général, arrivé en février du département Corporate de la maison mère et doté de talents commerciaux, vante «les produits et structures offerts par le Luxembourg» et les fait connaître à qui le veut.

Deux jours après avoir dévoilé sa stratégie de développement, lors d’une soirée le 8 novembre ayant réuni le gratin économique luxembourgeois, il confie avoir déjà eu quelques touches auprès de sociétés. Nul doute que la filiale locale peut faire office d’intermédiaire entre les acteurs économiques locaux et «son million de sociétés clientes». Ce qui pourrait donner des idées à ses consœurs. M. Leroy le confirme, «il existe une forte probabilité de voir arriver d’autres banques».

Mais ces heureuses perspectives ne doivent pas occulter les réels déficits d’une économie brésilienne en proie aux inerties administratives et à une insécurité fiscale. Selon la Banque mondiale, il faudrait 3 à 4 fois plus de temps au Brésil, que dans un autre pays des BRIC, pour créer une société et 13 fois plus de temps pour venir à bout du paiement de l’impôt. Les uns ont donc certainement à apprendre des autres. Ceci peut aussi inciter à «investir sur la Place», témoigne M. Leroy. De même, si M. Fischer ne se fait «pas trop de soucis» pour la stabilité économique du Brésil, l’automaticité de l’investissement sur place fait craindre le risque de bulle. Le gouvernement limite d’ailleurs l’entrée de capitaux pour éviter la surchauffe.