Daniel Hein, ici à droite avec Jean-Marc Kieffer (CDCL) (Photo : Olivier Minaire)

Daniel Hein, ici à droite avec Jean-Marc Kieffer (CDCL) (Photo : Olivier Minaire)

C’est une fusée à plusieurs étages. Un processus entamé par la société de construction CDC et qui a abouti, en ce début d’année, à un changement de nom – la société s’appelle désormais CDCL, avec un L destiné à mieux marquer son ancrage luxembourgeois – et d’identité visuelle, plus colorée et dynamique.

Quand on est une des principales sociétés de construction du pays (avec plus de 530 employés et quelques chantiers de référence tels que la Banque de Luxembourg, l’Atrium Business Park de Bertrange, la Cité judiciaire ou encore l’espace Pétrusse avec ArcelorMittal et les hôtels Sofitel et Novotel), existant depuis plus de 30 ans, un tel changement ne passe évidemment pas inaperçu.

Mais il aurait aussi très bien pu ne jamais avoir lieu. Car c’est de l’existence même de la société dont il fut question lorsqu’en 2009, CDC avait pris un premier virage en abandonnant son statut de société en commandite simple pour celui de société anonyme. « Cela était devenu une nécessité par rapport au fonctionnement global de la société et de sa pérennité », explique Daniel Hein, directeur général de la société, arrivé en 2009, en même temps que fut mis en place un nouveau conseil d’administration présidé par Marc Assa. « Nous avons instauré un système de contrôle des coûts et des flux financiers. Cela a constitué le déclencheur d’une nouvelle ère pour nous et nous avons alors décidé de prendre un nouvel élan. »

Être à Élise

Le premier étage de la fusée fut alors de programmer le déménagement des locaux historiques – mais devenus un peu vieillots – de la place de Strasbourg. Cela s’imposait à plus d’un titre : outre la mise en adéquation du siège social avec la nouvelle image voulue par la direction, il s’agissait également de penser différemment l’aménagement interne, compte tenu de la refonte de l’organisation même de l’entreprise.

« Indépendamment de notre outil de travail, il nous fallait évoluer mentalement », indique M. Hein, conscient – étude de marché à l’appui – que si les valeurs intrinsèques de la société étaient reconnues, elles n’étaient pas du tout exploitées en termes de communication. « Nous étions assis sur nos lauriers, acquis au fil des ans, mais nous n’étions pas capables de nous en relever. Il nous a donc fallu mener une profonde autocritique qui nous a fait réagir positivement. Notre but premier était que l’ensemble de l’entreprise se rende compte que nous étions en mouvement et capables de nous projeter dans le futur. »

Un nouvel élan que Jean-Marc Kieffer, administrateur délégué de CDCL, a évidemment porté dès ses prémices. « Pour exister demain, il faut gagner la bataille de la préférence, est-il persuadé. La mutation de notre nom a appuyé nos mutations morales et physiques. Cela a été initié par notre développement en Grande Région, puis concrétisé dans notre nouveau siège social. »

Ainsi est né Élise, immeuble grand standing construit à Leudelange, dans un projet de 22 millions d’euros (terrain compris) mené avec les frères Henri et Michel Goedert. Commencés fin 2010, les travaux sont sur le point de s’achever et, début mars, CDCL y emménagera pour occuper 2.500 m2 sur les 6.500 m2 disponibles au total. « Il s’agit à la fois d’une opération de prestige, avec un produit labellisé de qualité environnementale (le bâtiment est certifié Valideo, ndlr.) ayant une valeur sur le marché, et d’une opération financière, explique Daniel Hein. Nous allons trouver des locataires pour compléter l’espace disponible et ensuite vendre le tout à un investisseur, avec un taux de rentabilité entre 5,5 et 6 %. Mais cela nous permet également de montrer que nous sommes aussi compétents en tant que contractants généraux. »

Nouvelle identité visuelle, mise en musique avec le consultant français Meanings (qui a travaillé aussi, en son temps, avec la Banque de Luxembourg), et nouveaux locaux : c’était le minimum pour accompagner le développement d’une nouvelle stratégie, fruit des réflexions et de la remise en cause sur l’avenir de la société, et d’une communication adaptée. Le choix s’est tout naturellement porté sur la Grande Région, avec une prise de participation majoritaire dans la société thionvilloise CEP et sa filiale A2P (devenue, cette année, CDCL Lorraine).

Pas question, donc, pour CDCL, de s’être laissé emporter dans les remous de la crise. C’est même grâce à la crise, presque, que la société a entrepris le mouvement salvateur qui lui a permis de passer le cap, ce que d’autres n’ont pas réussi à faire. « Certaines personnes, au sein de notre entreprise, restaient sur cette attitude de léthargie et disaient qu’il ne fallait pas bouger à cause de la crise, se souvient M. Hein. Or, c’est justement en contexte de crise qu’il faut bouger et aller de l’avant. C’est cette mobilité qui nous a permis de passer cette crise du bon côté. De toute façon, des crises, dans le secteur du bâtiment, il y en a régulièrement, toutes les décennies en moyenne. Il est important de ressortir plus fort de celle-là, car il y en aura d’autres. »

Cet élargissement des compétences de la société apparaissait, aux yeux du directeur général de CDCL, comme la seule issue possible pour ne pas prêter le flanc aux aléas du marché. « Sans cela, nous ne serions sans doute que des exécutants qui ne dépendraient que des seuls appels d’offres publics et nous serions peut-être parmi ceux qui ont disparu. La politique des marchés publics est destructrice d’emploi et dans le marché privé, la grosse peur est de ne pas être payé. Si bien qu’on s’accompagne aussi de plus en plus de services juridiques. C’est aussi une nouvelle réalité de notre métier. »

De nouveaux métiers

En attendant, CDCL a terminé l’année 2011 avec un chiffre d’affaires consolidé de 90 millions d’euros, en progression de 4 %, et table sur une croissance de 5 % pour 2012. À cela s’ajoutent les 11 millions d’euros consolidés réalisés par CEP et CDCL Lorraine (qui emploient quelque 55 personnes à elles deux). « Nous visons évidemment de nouveaux marchés, en particulier sur le segment du tout corps d’état qui a progressé de 30 % l’année dernière et qui représente aujourd’hui 40 % de notre activité. » Cette croissance programmée, elle devra s’appuyer sur du personnel hautement qualifié, cible principale des recrutements à venir. Car le métier de la construction exige, aujourd’hui – et encore plus demain, sans doute – des compétences de plus en plus pointues. Sans compter l’émergence et la quasi-généralisation des normes environnementales (Leed, Breeam, DGND, HQE…) qui demandent dès à présent une adaptation des modes de fabrication. « Il est temps, aujourd’hui, de voir le bâtiment de façon différente, mais aussi de voir la ville de façon plus moderne en généralisant l’intégration des aspects de contraintes climatiques et de gestion des ressources », conclut M. Kieffer.

La superposition de triangles vert, rouge et noir de sa nouvelle identité visuelle symbolise, pour CDCL, une vibration, un mouvement qui s’inscrit dans une nouvelle dynamique. Elle lui donne, en tous les cas, une nouvelle visibilité après laquelle elle semblait courir depuis quelque temps. « Au cours de ces trois dernières années, nous avons peut-être été ceux dont on a le moins parlé, mais aussi ceux qui en ont le plus fait et qui ont réalisé tout ce qui a été annoncé, s’enorgueillit Daniel Hein. Les résultats sont là. Nos employés nous ont suivis. Ils ont adhéré. Ils sont costauds. La crise ne nous fait pas peur. »

 

Marché - Savoir grandir

Sur ces dernières années, les sociétés actives dans le domaine de la construction n’ont pas toutes eu la même approche, constate Daniel Hein… Et, du coup, ces sociétés n’ont pas connu le même sort. Il y a celles qui ne se sont posé aucune question sur leur avenir et ont continué à se baser sur une gestion patriarcale, sans anticiper leur avenir immédiat. « Ce n’est pas forcément un mauvais choix, mais un choix personnel », commente M. Hein.
Il y a celles qui ont été accompagnées, dès le milieu des années 2000, dans un processus de réflexion et qui ont entamé une démarche de modernisation de leurs outils de production. « Mais elles ont parfois pris des décisions de consolidation qui n’ont pas toujours été comprises et elles se sont un peu essoufflées avant que survienne la crise. C’est pour cela qu’elles ont explosé avec la crise. »
Les cas des faillites de Socimmo ou de Pedinotti, même s’ils sont évidemment différents, rélèvent néanmoins, selon le directeur général de CDCL, d’une même mécanique : « Elles ont connu une politique d’expansion trop rapide, qui aurait pu réussir s’il n’y avait pas eu le contexte de crise. C’étaient des sociétés de qualité, avec des outils de production et du personnel de qualité, mais qui ont manqué de recul au niveau directionnel. Elles ont disparu, mais il y en a d’autres qui sont mal en point et qui vont sans doute disparaître. L’arrivée tardive de l’hiver leur laisse un peu de répit. »
Et puis il y a celles, comme CDCL, qui ont choisi de s’affranchir du modèle familial qui les a menées durant de longues années et de privilégier un accompagnement professionnalisé de leur expansion par des organismes bancaires fiables. « Nous avons la chance d’être dans ce contexte de crise, explique M. Hein. Cela nous permet de ne pas seulement être obnubilés par notre chiffre d’affaires, mais aussi par la réussite de notre mutation. À ce titre, 2012 sera une année de stabilisation pour nous. »