Paperjam.lu

 

Confrontées à de nombreux changements réglementaires, il est de plus en plus difficile pour les banques de faire du reporting. La notion de profitabilité constituera un challenge à l'avenir.

Depuis une quinzaine d'années seulement, les institutions financières doivent rendre compte, périodiquement, aux autorités de surveillance, d'informations financières sur leurs activités. Les réglementations se font de plus en plus fréquentes et nombreuses, ce qui pousse les banques à outsourcer cette activité de reporting légal.

"Les débuts d'un reporting prudentiel standardisé datent de 1988 avec l'intégration du ratio Cooke, qui détermine la solvabilité des banques, dans une directive européenne dans les années 90 et qui a été ensuite uniformisé dans Bâle I", se souvient Alain Tayenne, general manager chez FRS. Bâle II n'est que la révision en profondeur de cet accord, qui va également être traduit dans une directive. Sa mise en oeuvre est prévue pour 2007. John Rollinger, administrateur délégué de Conceptware, se rappelle, pour sa part, que le premier reporting a été réalisé pour l'Institut monétaire luxembourgeois (devenu, depuis, la Banque centrale du Luxembourg) en 1986 sur micro-ordinateur.

A côté de Bâle II, les banques incorporées dans des groupes cotés en Bourse devront encore compter avec les normes IFRS, dont l'entrée en vigueur devrait intervenir en 2005. Au Luxembourg, toutes les banques, cotées ou non, devront se conformer à ces normes à partir de 2007. "Les sociétés mais surtout les banques ne savent plus trop comment solutionner ce problème du reporting. Elles sont confrontées à beaucoup de changements qui interviennent plus fréquemment qu'auparavant, pense M. Tayenne. Ce qui pourrait paraître comme une crise de paranoïa aiguë est la résultante d'une succession de scandales financiers et de défauts dans le bon fonctionnement du système. Bâle II va avoir un impact sur les banques et sur les autres sociétés car la manière dont elles vont être notées sera différente. Les besoins des institutions financières sont très perturbés, en ce qui concerne leur système d'information. Il existe autant de stratégies que d'institutions financières".

Certaines utilisent des systèmes existants, d'autres profitent des défis pour les changer ou pour mettre en place des architectures neuves. "Il y a encore des banques qui font leur propre reporting. C'est plutôt rare car cela représente un coût important. Elles doivent plutôt accomplir leur mission d'entreprise financière et de contrôle prudentiel. De plus en plus, elles ont tendance à utiliser des solutions pour se substituer à ce qu'elles faisaient avant en interne", commente Gaston Hilbert, directeur commercial chez Conceptware.

Marché saturé

"Les changements interviennent beaucoup plus vite qu'auparavant, il faut suivre la mise en oeuvre des lois et réglementations émises sur base des conventions internationales et des directives européennes. Pour une petite banque, c'est impossible de mettre en oeuvre des solutions en interne. Il y a des banques où le conseil d'administration estime que le personnel qu'il peut dédier au développement du reporting risque d'être surdimensionné", poursuit Walter B. Fiedler, consultant bancaire chez Conceptware.

Mais les banques luxembourgeoises vont encore être confrontées à un autre problème: la complexité de devoir rendre un reporting à leur maison-mère et un autre aux autorités de surveillances locales. "Cela devient de plus en plus difficile pour les institutions bancaires de faire du reporting", note Alain Tayenne.

Si FRS estime qu'il est de sa responsabilité de mettre en oeuvre des réglementations comme Bâle II et IFRS, pour Conceptware, la définition de ces normes n'est pas de son ressort. "Nous ne sommes pas maîtres du jeu car nous n'appliquons que le reporting réglementaire. Nous sommes tributaires des instructions de la CSSF et de la BCL, explique M. Rollinger. Nos solutions seront compatibles dès le moment où les autorités de contrôle auront sorti leur réglementation. Nous avons connu un scénario similaire en 1991 avec Bâle I, qui était un changement très important ayant mené à la 2e génération de reporting. La conception de ce que l'on va faire pour Bâle II est déjà en place", assure l'administrateur délégué de Conceptware.

FRS, qui compte 650 clients dans 25 pays de par le monde, sait, par expérience, que les tentatives d'harmonisation sont louables et ambitieuses mais qu'elles aboutissent rarement. "C'est pour cela qu'il faut bien connaître sa cible, les différents acteurs, les différents marchés et leur performance", affirme M. Tayenne.

"Fire", la solution modulaire et évolutive de FRS qui s'intègre dans une suite de solutions, FRS FinancialAnalytics, a été lancée au Luxembourg il y a quatre ans et a connu quatre évolutions majeures. "Notre approche est de fournir une solution complète, qui couvre tous les besoins de reporting présents et/ou futurs des institutions financières On peut ensuite venir y greffer des modules, selon les besoins spécifiques", explique M. Tayenne. FRS fournit une seule solution dans 25 pays. "Notre seule concurrence réelle est le développement interne des grosses banques. Une seule interface pour les 25 pays, cela n'existe pas ailleurs", assure-t-il. Et Jean-François Bequevort, sales manager Belgium & Luxembourg, d'ajouter: "A partir d'un même back office, cette solution permet de gérer les filiales à l'étranger".

Quant aux différentes solutions proposées par Conceptware, elles s'adressent uniquement au reporting prudentiel - auprès de la Commission de surveillance du secteur financier et de la Banque centrale.

"Delta s'adresse aux PSF; ExPlore - le plus sophistiqué - et Plexus - utilisé à 80% auprès des banques - sont deux produits qui font du reporting pour la CSSF et la BCL. Il s'agit d'une suite logistique. Plexus est basé sur des données pré-encodées par les banques, alors que ExPlore exploite des données transactionnelles brutes, ce qui constitue un énorme avantage pour les systèmes bancaires ne devant plus encoder les règles de la CSSF et de la BCL', explique John Rollinger. A ces solutions s'ajoute le volet BoP pour la balance de paiements.

Toutes ces solutions de reporting sont destinées au marché luxembourgeois, dans lequel quelque 150 licences sont installées. Conceptware a entamé le projet de fusionner ses trois produits en un seul et de sortir une dernière version qui sera destinée à l'international. Il est vrai que la tendance va plutôt vers une régression du nombre de banques, ce aui veut dire aussi diminution du nombre de clients potentiels. Ensuite, de part le phénomène de concentration d'institutions financièresm les décisions ont du plus en plus tendance à se prendre à l'étranger.

De toute façon, toute expansion des activités passe nécessairement par un saut au-delà des frontières.

La profitabilité encore négligée

A l'avenir, les institutions financières ne parleront plus de performance sans parler de risque, ni sans évoquer la compliance, estime Alain Tayenne. "C'est le coeur du problème et le challenge est encore plus important pour la place luxembourgeoise", estime-t-il. "C'est là où nous pensons que FRS, au Luxembourg depuis plus de 10 ans, a un rôle majeur à jouer pour la place luxembourgeoise car nous sommes déjà le leader du marché. 7 des 10 plus grandes banques de la place et plus de 70 institutions au Luxembourg utilisent nos produits. Nous sommes les seuls à intégrer la notion de risque et la notion prudentielle dans nos solutions". Le produit "FinancialAnalytics", qui existe depuis janvier 2003, intègre les notions de reporting prudentiel, de performance, et de risque.

Ce qui importe pour les banques, c'est d'abord la mise en conformité avec la réglementation, ensuite la vérification que la gestion des risques soit la bonne et enfin la profitabilité, résume Alain Tayenne. "La notion de profitabilité se trouve effectivement dans les normes IFRS et Bâle II mais est un peu négligée. Chez nous, c'est naturellement imbriqué avec le reste. Les champs nécessaires à la performance sont déjà ancrés dans la solution. De plus, nous offrons du reporting automatisé pour Bâle I depuis plus de 8 an', complète M. Bequevort. Produire des données est difficile et la banque devra expliquer le pourquoi de ces données au régulateur et c'est naturellement possible par l'architecture de cette solution. Beaucoup de banques négligent cet aspect et se focalisent sur les données".

Le Luxembourg, acteur de poids dans le Private Banking et l'Asset Management, pourrait devenir une plate-forme européenne en concentrant dans le pays les activités de back office. "En les centralisant ici, les institutions financières peuvent se mettre en conformité sans avoir à se mettre en rapport avec 25 acteurs différents. Nos clients l'ont bien compris et nombreux sont ceux qui ont implémentés notre solution dans ce but", argumente encore M. Tayenne.

Le reporting au service de l'utilisateur

A côté de ce reporting légal, obligatoire, on trouve aussi le reporting interne, destiné à répondre aux besoins récurrents des divers utilisateurs d'une organisation, qui se traduit par l'ensemble de rapports normalisés issus de l'exploitation d'une base de données relationnelle.

La société Callataÿ et Wouters, présente au Luxembourg depuis 1991, s'attache à cet autre volet du reporting. "Pour développer un produit pour plusieurs banques, il faut penser 'flexibilité' dès la phase d'analyse du produit. Le reporting légal, ce n'est pas notre activité. Plusieurs bons produits en la matière existent sur le marché et nous avons fait le choix de les interfacer à nos solutions", explique Frédéric Stiernon, sales manager Luxembourg.

En matière de reporting interne, Callataÿ et Wouters a choisi de développer une solution basée sur un datawarehouse. Il s'agit du logiciel Teran, solution de Business Intelligence qui a pour but de faciliter et d'optimiser le reporting dans la banque. Son principe est relativement simple, mais fait appel à des technologies modernes dans sa réalisation. Les données du (ou des) système(s) opérationnel(s) de la banque (c'est-à-dire l'ensemble des informations relatives aux clients, aux comptes, aux opération, aux produits, ...) sont déchargées régulièrement dans le Teran Data Centre (TDC) et y sont "historisées".

En aval de ce TDC se trouvent des datamarts, des données extraites du TDC, qui ont subi un retraitement et concernent des activités spécifiques de la banque. "Les différents datamarts disponibles à l'heure actuelle permettent d'analyser et de créer le reporting spécifiques aux normes IAS-IFRS, aux pertes et profits (P&L) ainsi qu'à la relation clientèle. D'autres seront disponibles d'ici la fin de l'année, ils couvriront les besoins relatifs à la lutte contre le blanchiment d'argent et les accords de Bâle II", assure M. Stiernon.

Toute la difficulté pour la banque réside dans ces datamarts qui doivent contenir toutes les informations permettant d'apporter des réponses aux questions des utilisateurs, quel que soit l'axe d'analyse (temps, produit, client...). La bonne exploitation de ces données constituera une valeur ajoutée pour l'institution, puisque ce sont ces données qui alimentent les différents rapports fournis par le prestataire, ou créés par la banque elle-même. Callataÿ et Wouters a choisi comme partenaire Business Objects, qui propose différents produits de reporting grâce auxquels ces rapports peuvent être générés.

Une banque sera capable de faire du reporting si elle est capable de retrouver l'information nécessaire dans ses divers systèmes opérationnels. C'est pourquoi beaucoup d'établissement, aujourd'hui, tentent de rationaliser leur architecture technique, c'est-à-dire de la simplifier. Car, au fil des années, pour faire face aux évolutions de leurs activités et aux besoins légaux, les banques ont greffé, sur leurs systèmes centraux, des systèmes satellites ayant chacun des fonctions spécifiques. "L'information se trouve toujours dans la banque mais est parfois difficile à mettre à la disposition de l'utilisateur. C'est pourquoi de plus en plus de banques choisissent de centraliser les données dans un datawarehouse semblable à Teran, explique le directeur des ventes. Le choix d'une solution ne se prend pas à la légère, la banque devant répondre à des besoins légaux mais aussi à des besoins internes. Si pour les premiers, la valeur ajoutée n'est pas très importante, il n'en va pas de même pour les seconds. Une mauvaise approche de la problématique du reporting risque de fermer des portes d'analyse et de ralentir l'évolution de l'organisation toute entière. En effet, un reporting rapide, clair et précis permet aussi d'avoir une vision claire et précise et de prendre les bonnes décisions au bon moment. C'est une des raisons pour lesquelles une banque prend beaucoup de temps avant de sélectionner la solution qui lui convient. Son avenir en dépend peut-être".

Le courrier, un autre enjeu

Depuis l'introduction, par la loi du 2 août 2003, de nouveaux statuts de professionnels du secteur financier, les opérateurs de systèmes informatiques et de réseaux de communication opérant dans le secteur financier doivent être agrées. Ni Conceptware, ni FRS, ni Callataÿ et Wouters n'ont l'intention de franchir ce pas. Les deux derniers sont cependant en discussions avec d'éventuels partenaires agréés.

En revanche, la société Lettershop Luxembourg, qui à sa façon - la production de courrier - pratique le reporting, s'est faite agréée, en tant qu'agent de communication à la clientèle, pour être soumise à la surveillance prudentielle de la CSSF.

"Nous avons des procédures approuvées par la Commission de surveillance. Ces mêmes procédures, destinées à protéger la confidentialité des données bancaires, sont appliquées aussi pour tous nos autres clients. C'est un argument commercial certes, mais aussi une des raisons pour beaucoup de nos clients de nous faire confiance", explique Patrick Jost, managing director de Lettershop.

Ce dernier précise que Lettershop fait partie d'une catégorie particulière de PSF. "Nous ne gérons, par exemple, pas de comptes clients comme une banque le fait. Nous produisons simplement le courrier destiné aux clients des institutions financières, sans avoir de relation B2C directe. Nous sommes devenus PSF principalement afin d'être soumis au secret bancaire".

Avant la réception de l'agrément précité, la CSSF avait déjà autorisé, depuis fin 2000 (et ceci à de nombreuses reprises par la suite), plusieurs banques à faire effectuer la production de leurs documents extrêmement sensibles (extraits de compte annuels, relevés de titres, ...) par Lettershop, nécessitant néanmoins, à l'époque, la présence en permanence d'un employé de la banque sur place. Ceci limitait certes les synergies possibles aujourd'hui et depuis 2003.

Dès à présent, la supervision des productions par le donneur d'ordre est toujours possible, mais n'est plus obligatoire. Chaque employé de Lettershop est soumis au secret bancaire - au même titre que les employés de banque, sanctions pénales à l'appui - de quoi rassurer le client.

Les institutions financières ont de plus en plus recours à une société extérieure pour leur production de courrier, c'est-à-dire toute la chaîne de création de valeur allant de la remise des données informatiques brutes (via ISDN ou sur CD), en passant par la mise en forme de ces données, l'impression à la demande (laser) des documents personnels (extraits de compte, ...), la mise sous enveloppe jusqu'à la remise au transporteur pour distribution au destinataire final.

"Jusqu'à présent, de nombreuses banques avançaient l'argument du secret bancaire, auquel nous n'étions pas tenu à l'époque. Aujourd'hui, elles n'ont plus cet argument. C'est alors parfois le problème du reclassement du personnel affecté à cette tâche qui se pose", commente le managing director de Lettershop. Parfois, des employés très qualifiés, simplement surchargés auparavant par des travaux répétitifs, redeviennent disponibles.

M. Jost constate que les objectifs des clients sont: "Moins cher", "Plus rapide et/ou plus sûr", ainsi que "Meilleure image de marque". "Chez Lettershop, nous nous concentrons sur un objectif principal (que le client choisit) et un objectif secondaire. Mais il arrive que les trois soient réalisés! Nous sommes spécialisés pour prendre en charge, par notre propre service IT, les données existantes auprès du client, sans qu'il n'ait à envisager des changements informatiques. Nos opérateurs sont spécialisés et compétents, même, et surtout, pour des mailings 'trop complexes'", explique M. Jost.

L'automatisation - rendue possible grâce au volume de travail cumulé confié par les clients - réduit non seulement les erreurs humaines, mais diminue aussi sensiblement les coûts. "Ce que beaucoup de sociétés nous reprochent cependant, c'est de devoir licencier du personnel pour que la sous-traitance puisse être justifiée. Non, la question, c'est de savoir quoi faire avec le personnel dont on dispose", réplique-t-il.

En faisant appel à un prestataire externe pour toutes les activités liées au reporting, les banques gagneraient 50% des frais liés qu'elles engendrent, estime Patrick Jost. "L'utilisation des machines étant beaucoup plus rationnelle chez nous - vu l'utilisation en commun par beaucoup de clients différents, l'amortissement pèse moins lourd sur chaque société; les prix de revient unitaires se divisent souvent par deux."