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Dans un marché atypique, où le chômage ne cesse d’augmenter alors que la création d’emplois reste significative, il faut miser sur la formation pour amener les jeunes au travail et maintenir les salariés dans l’entreprise.

Petit pays et place financière forte au cœur de l’Union européenne, le Grand-Duché continue, de manière significative, à créer de l’emploi. Pourtant, ce constat a priori réjouissant se voit terni par une autre réalité. « Depuis plusieurs années, si l’emploi continue à croître, le chômage aussi ne cesse d’augmenter », commente le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit.

En avril 2012, le Grand-Duché comptait 6.448 salariés de plus que l’année précédente. Cependant, explique Mariette Scholtus, directrice de l’Adem, (ndlr : au moment de l’interview, le remaniement à la tête de l’administration n’était pas encore annoncé. On sait depuis le 20 juin que Mariette Scholtus ne sera plus à la direction. Géry Meyers prendra sa fonction le 1er septembre.) « on constate un récent tassement en matière de déve­loppement de l’emploi salarié national, celui qui occupe les résidents. Pour avril, il représentait 206.515 emplois, soit trois de moins qu’en mars. L’emploi des frontaliers, lui, a augmenté de 354 postes sur un mois. »

En un an, le taux de chômage est passé de 5 à 6 %. Le nombre de demandeurs d’emploi résidents s’établit à 14.496 (+11,9 % en un an). D’un autre côté, quelque 3.000 postes restent ouverts à l’Adem. « Le problème est que les profils inscrits en tant que demandeurs d’emploi ne correspondent pas toujours aux besoins des entreprises », explique Mariette Scholtus.

Besoin de qualifications

Et donc, souvent, les postes ouverts sont pourvus par des travailleurs frontaliers. « Nous sommes dans un marché du travail ouvert, confirme de son côté le ministre Schmit. Et on se rend compte, aujourd’hui, que les habitants de la Grande Région consentent à faire preuve d’une disponibilité et d’une mobilité accrues pour venir travailler au Luxembourg. »

Les entreprises, d’un autre côté, ne trouvent pas les qualifications recherchées dans la réserve de profils disponibles au Luxembourg. « Ne serait-ce que pour les métiers de l’artisanat, la part de main d’œuvre qualifiée a fortement augmenté, explique Paul Ensch, directeur de la Chambre des Métiers.

Comme dans la plupart des secteurs, nous avons besoin de techniciens ou de personnes à même de répondre à des exigences toujours plus lourdes. On peine à trouver ces profils au Luxembourg. Pour un même salaire, un dirigeant choisira toujours le candidat le plus qualifié, peu importe d’où il vient. »
Parmi les demandeurs d’emploi (avril 2012), ils sont 2.221 à disposer d’un niveau de formation de l’enseignement supérieur, post-secondaire. Par contre, 6.744 ne disposent que d’un niveau équivalent à l’enseignement inférieur, autrement dit la scolarité obligatoire. « Le problème des langues est un frein, précise la directrice de l’Adem. De nombreux jeunes inscrits sont issus de vagues d’immigration intra-européenne. Ils sont arrivés au Luxembourg avec leur famille, avant l’âge de 16 ans, sans parler une des langues officielles du pays. »

On notera encore que 5.786 demandeurs d’emploi sont inscrits à l’Adem depuis plus de 12 mois (40 %) et 3.598 d’entre eux depuis plus de 24 mois (24,8 %). L’enjeu principal, pour ainsi dire le seul, réside dans la formation. « Dans une économie où les salaires sont élevés, les entreprises exigent des compétences, explique Nicolas Schmit. Ce qui compte, c’est la manière de créer de la valeur ajoutée, d’innover. Cela porte inévitablement sur la formation de base et sur la formation tout au long de la vie. » Même s’il est vrai que l’on aura toujours besoin de personnes faiblement qualifiées, les métiers qui leur sont destinés seront a priori de plus en plus rares.

Des mesures particulières doivent être prises pour des populations identifiées comme fragiles, les jeunes de moins de 25 ans (12,8 % des demandeurs d’emploi) et les travailleurs de plus de 40 ans (52 %). « Au niveau de l’Union européenne, on relève un taux de chômage des moins de 25 ans de 22,6 %. Au Luxembourg, il est passé en un an de 14,7 à 17,4 %, une augmentation importante de 2,7 %, plus rapide que l’augmentation moyenne européenne. Alors qu’en Allemagne ou en Autriche, ce taux est de 7,9 % et 8,6 %. Ma crainte est de voir là une génération de jeunes travailleurs perdue durablement », commente Paul Ensch.

Une filière d’apprentissage à relancer

Si le directeur de la Chambre des Métiers compare ainsi le Grand-Duché à l’Allemagne et à l’Autriche, c’est parce que ces deux pays ont mieux réussi que le Luxembourg dans la mise en œuvre de contrats d’apprentissage. « Aujourd’hui, le nombre de jeunes bénéficiant d’un contrat d’apprentissage est encore assez faible, même s’il augmente sensiblement, passant de 1.350 en 2004 à 1.900 en 2011. Or, 90 % de ces jeunes obtiennent un contrat en entreprise à l’issue de leur apprentissage et 60 % trouvent du travail dans l’entreprise où ils ont accompli leur for­mation », poursuit-il. La filière offre donc des per­spec­tives intéressantes de carrière pour les jeunes. Elle a aussi le mérite de potentiellement stimuler l’esprit d’entreprendre. Le problème est que, souvent, l’apprentissage en entreprise est assez mal considéré. Il a tendance à être vu, dans le monde de l’enseignement, comme une voie de relégation.

« Il faut revaloriser cette filière et les métiers pour lesquels elle offre des débouchés, et obtenir de meilleurs résultats en termes d’orientation, avec des étudiants en capacité de faire leurs propres choix, plaide Nicolas Schmit. Il faut pouvoir augmenter le nombre de postes en apprentissage, en développant peut-être une approche plus souple, plus ouverte. En élargissant la palette des métiers sur lesquels peuvent déboucher ces contrats d’apprentissage, en tenant compte des nouveaux métiers verts, en développant des partenariats transfrontaliers avec des entreprises. »

L’artisanat a un rôle important à jouer à ce niveau, lui qui a créé 20.000 emplois en 10 ans et qui résiste bien à la crise. « Notre secteur est prêt à faire des efforts pour former plus de jeunes, affirme Paul Ensch. Mais l’engagement des jeunes moins qualifiés ne doit pas constituer le monopole de l’artisanat, ni être de sa seule responsabilité. Une part du travail doit être réalisée en amont du marché de l’emploi, pour former des jeunes, tant sur le plan des qualifications techniques que des aptitudes humaines et professionnelles. »

La population plus âgée est aussi un sujet de préoccupation. Une personne redevenant demandeuse d’emploi à 45 ans est extrêmement difficile à reclasser. À ce niveau, l’enjeu réside donc surtout dans le maintien dans l’emploi.

La formation, encore une fois, est au cœur de la problématique. Le lifelong learning doit permettre aux salariés plus âgés de rester à la page. « Les entreprises doivent développer de nouveaux modes de gestion des compétences, de leur évolution dans le temps et en fonction de l’âge, commente Nicolas Schmit. Pour les personnes travaillant dans des métiers difficiles, qu’il n’est plus possible d’exercer à partir d’un certain âge, il faut pouvoir penser, en amont, aux possibilités de reconversion au sein de l’entreprise. Peut-être peuvent-ils convenir à d’autres fonctions. »

Le ministre se félicite aussi que les mesures permettant aux entreprises de bénéficier du chômage partiel, encore assouplies récemment, aient sans doute permis d’éviter des licenciements et donc à des personnes expérimentées de se retrouver demandeurs d’emploi. « Aujour­d’hui, 36 entreprises bénéficient encore de mesures de chômage partiel. Ce qui permet de préserver l’emploi de 3.483 travailleurs pour lesquels il aurait été extrêmement difficile de retrouver un emploi », précise Mariette Scholtus.

Le gouvernement, de son côté, a d’autres idées dans la besace. « Des mesures, similaires à celle du contrat de génération avancé en France par François Hollande – incitant les entreprises à garder des personnes expérimentées au travail tout en embauchant un jeune – favorisant le partage d’expériences, peuvent être intéressantes, explique le ministre du Travail. Cette possibilité existe déjà dans nos textes mais n’a pas forcément été appliquée jusqu’à présent. Il nous faut accompagner la mise en œuvre de telles mesures, en les rendant notamment plus souples. » Il faut donc de meilleures formations, adaptées aux besoins, pour les demandeurs d’emploi, un meilleur suivi de ces derniers, en vue de réduire le décalage entre les besoins déclarés à travers les postes vacants et les compétences présentées par les profils inscrits à l’Adem.

« Pour cela, je veux doter l’Adem des moyens et des ressources suffisants pour mettre les personnes à l’emploi. Il faut rapprocher l’offre et la demande, et pour cela, que les résidents à la recherche d’un emploi améliorent leurs compétences, leur niveau de qualification, ajoute Nicolas Schmit. Mais il faut aussi booster leur motivation. On constate régulièrement un manque d’engagement de la part des demandeurs d’emploi. Si l’État met en œuvre des politiques d’aide à leur égard, il faut aussi qu’ils s’aident eux-mêmes, qu’ils jouent le jeu et fassent preuve d’une réelle volonté de travailler. » La réforme de l’Adem, défendue par le ministre, entend doper l’efficacité de l’agence. « Nous allons être contraints à des obligations de résultats, explique Mariette Scholtus. Dans la mesure où, à partir de la fin de cette année, nous devrons pouvoir apporter une proposition d’emploi concrète à tout jeune dans les quatre mois qui suivent son inscription. »

L’Adem se réorganise, pour suivre au plus près les demandeurs d’emploi, mieux les orienter, à partir d’un bilan de compétences, vers les formations à même d’améliorer leur employabilité. Mais elle travaille aussi avec les divers secteurs, pour pouvoir proposer des formations pertinentes, devant amener à un emploi.

« Il faut rester optimiste, précise Nicolas Schmit. Il y a des efforts à faire en matière de lutte contre le chômage, un changement d’approche à opérer, tant du côté des chefs d’entreprises que des demandeurs d’emploi et de ceux qui les accompagnent. Malheureusement, il y a des variables sur lesquelles il est difficile de peser. On peut évoquer cette population issue de pays européens, qui s’installe au Luxembourg et s’inscrit en tant que demandeurs d’emploi. » S’ils ne sont pas indemnisés, et ils sont plusieurs milliers dans le cas, ils viennent gonfler les chiffres du chômage. « Dans la conjoncture actuelle, il n’est en aucun cas permis de rester inactif, poursuit-il. Quand on voit que des gens sont disposés à faire 200 km pour venir travailler au Luxembourg, il faut être honnête envers la population et les demandeurs d’emploi résidents. Il y a un droit au travail, certainement pas un droit au chômage. Le marché de l’emploi au Luxembourg est concurrentiel. Mais, avec de la volonté, tout le monde a ses chances. Encore faut-il vouloir la saisir. »

 

Mesures - Une politique plus active

En matière de lutte contre le chômage, le ministre Nicolas Schmit désire des politiques plus actives de mise à l’emploi. « On dépense beaucoup d’argent, au niveau du Fonds pour l’emploi, à travers des politiques passives, d’aides à travers des mesures de préretraite ou d’indemnités de chômage, nous confiait-il. Aujourd’hui, je souhaite mettre en œuvre des politiques plus actives, à travers l’amélioration réelle de l’employabilité des demandeurs d’emploi. Je ne pense pas, par ailleurs, que le problème du chômage, sur le long terme, puisse être réglé par la création d’emplois subventionnés, dans la mesure où cela continue à peser au niveau budgétaire. Dans une conjoncture difficile, les exigences en termes de contrôle des dépenses obligent l’État à développer d’autres approches. »


Programmes - Les enfants du Fit4Job

L’Adem, en collaboration avec d’autres acteurs dont le MENFP, les CNFPC, le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, organisent et suivent
de près différentes mesures de formation, organisées à l’intention d’un secteur, ensemble avec les fédérations patronales. Les différents programmes Fit4Job, développés ces dernières années ont d’ailleurs porté leurs fruits. Au cœur de la crise financière, d’abord, un programme Fit 4 Finance a été établi en vue de reclasser les professionnels de la finance victime d’une vague de réduction d’effectifs. L’objectif, en partenariat avec l’IFBL, était de faire un bilan de leurs compétences précises, suite à leur inscription à l’Adem, afin d’établir un programme de formation adapté pour améliorer leur employabilité.
D’autres programmes de ce type ont suivi. Le programme Fit 4 Génie Civil, développé avec l’IFSB, est destiné aux demandeurs d’emploi dans le secteur dans la construction. Suite à la fermeture de plusieurs entreprises du secteur, c’est un programme porteur. Et dernièrement, pour répondre au besoin en main d’œuvre dans le secteur du commerce, c’est un programme Fit 4 Commerce qui a été mis en œuvre.