« Nous avons d’une certaine manière pris la place sans que personne ne s’en rende compte. »  (Photo : David Laurent / Wide)

« Nous avons d’une certaine manière pris la place sans que personne ne s’en rende compte. »  (Photo : David Laurent / Wide)

Monsieur Oury, quel est le métier de CetrelSecurities ?

« Notre métier, c’est l’intégration de données financières pour nos clients. Nous sommes en fait au centre, entre des fournisseurs de données et nos clients, qui les utilisent. Une fois les données récupérées, il s’agit de les valider, les comparer et les enrichir. Ensuite, nous devons les formater pour permettre à nos clients de les introduire dans leurs systèmes d’information respectifs. Tout le travail de validation est proposé en mode SaaS (Software as a Service). Les données que nous recueillons sont variées : il y a les cours des instruments financiers, les données fondamentales de ces instruments, des données sur les risques, les corporate actions – autrement dit tout événement qui peut se passer sur un titre, et tout ce qui entraîne des mouvements sur le cash flow. Le travail de vérification est particulièrement important. Imaginons que d’un côté, un fournisseur de données établisse une valeur de titre à 34,50 et un autre, à 34,25. Il faut décider de la bonne valeur, car une petite différence de cours peut influencer les décisions de gestion – ou pas – du titre en question. Nous avons construit un jeu de règles précises qui nous permet de vérifier, en fonction du fournisseur, quelle valeur doit être retenue. Dans un nombre limité de cas, toutes les informations ne peuvent pas être validées automatiquement. Certaines sont mises alors à disposition dans une interface dédiée au client, et dans laquelle il peut décider manuellement de celle qu’il retiendra. Nous avons également, pour d’autres clients, la possibilité de faire gérer ces exceptions par nos équipes métiers, bien entendu sur base d’un protocole que nous aurons établi avec lui.

Vous vous positionnez donc à la fois sur une prestation de services « IT » et « métier » ?

« Effectivement. Nous avons une première couche de type infrastructure et application. Elle permet au client de ne plus avoir à gérer cet aspect-là. À nous de nous adapter aux mises à jour de nos fournisseurs, plutôt qu’aux banques ou autres établissements financiers. Au-dessus de cette partie très informatique, nous pouvons répondre à des questions métier, sur les méthodes de valorisation utilisées. Nous avons également un deuxième niveau de support métier, où nous pouvons gérer tout le processus en lieux et place du client.

Cela permet d’externaliser tout ce qui touche à la signalétique valeur… En fait, une banque ne va pas se différencier d’une autre si elle gère bien ces données. Elle perdra par contre beaucoup si elle le fait mal. En ratant une corporate action, elle prend des risques. Un client ayant pris une mauvaise décision, basée sur une mauvaise information, peut se retourner contre son établissement et demander un dédommagement.

Y a-t-il des évolutions importantes qui vont affecter votre métier ?

« La traçabilité et la transparence deviennent de plus en plus importants. Il va bientôt se mettre en place le GLEI, le global legal entity identifier. C’est un identifiant unique, qui permet de relier les sociétés à leur propriétaire ultime, et donc d’assurer une traçabilité des informations jusqu’au bout de la chaîne. Toutes les actions, comme les ventes et les acquisitions, auront également leur GLEI. Tous les instruments en rapport avec les mouvements financiers seront donc impactés.

 

Quelle est l’importance de votre marché ?

« Il y a quelques années, une étude estimait que les dépenses engagées au Luxembourg pour alimenter les back-offices en données financières étaient de l’ordre de 25 millions d’euros. Habituellement, on estime qu’il y a un facteur trois pour intégrer les données dans les mêmes systèmes. C’est donc au total un budget annuel de 100 millions d’euros pour la seule place grand-ducale.

Est-il difficile de convaincre les établissements financiers ?

« Ce qui est très difficile, c’est lorsqu’on cherche à construire un outsourcing global. Les prises de décision sont longues et peuvent être souvent remises en cause dans le processus. Avec notre approche, nous soulageons, en fait, les clients d’un travail qui est lourd et qui demande des spécialistes.
De plus, l’externalisation peut être ressentie comme un danger par les responsables informatiques, qui ont peur de perdre une partie de leur pouvoir. Ici, au contraire, nous réussissons à travailler main dans la main.

Étant donné la sensibilité des données manipulées, vous devez vous assurer de procéder à des développements sans « bug »…

« Effectivement. Si jamais nous ne sommes pas capables de livrer les données en temps et en heure, cela veut dire que, par exemple, des fonds d’investissement ne seront pas capables de calculer leur valeur nette d’inventaire (VNI)… et donc empêchés de travailler toute une journée… Il faut être
à l’heure, avec du contenu de qualité. Nous avons un jour procédé à une évaluation du coût éventuel d’une donnée mal classée.

Sur un portefeuille de 12.000 valeurs, qui est d’une taille moyenne pour le pays, une erreur sur une seule ligne, de quelques points de base, peut rapidement provoquer une perte de 300.000 euros ! Cela veut dire que nos processus de développement doivent éliminer les sources d’erreur. Pour cela, nous avons un processus très clair. Tout d’abord, nous ne commençons pas la moindre ligne de code avant d’avoir validé formellement avec le client ses spécifications. Après le développement et une batterie de tests en interne, nous mettons en place un parallel run qui peut durer jusqu’à trois mois.

Autrement dit, nous avons les anciennes versions qui tournent en même temps que les nouvelles, et nous comparons les résultats, afin de détecter les erreurs. C’est n’est qu’après ces tests que l’on rentre en production, après un sign off du client. Pour la partie infrastructure, nous tournons bien entendu 24/24 et 7/7. Le pic de calcul a lieu entre minuit et 4 h du matin. S’il y a un problème, c’est souvent à ce moment-là que ça se passe… Avec nos clients, nous avons une heure limite pour livrer les résultats, entre 6 et 7 h du matin. Pour éviter de ne pas pouvoir tenir les délais, nous avons bien entendu tout ce qu’il faut en matière de redondance des infrastructures, de disaster recovery plan et autres business continuity plans… En plus des centres de calcul à haute disponibilité, nous gérons environ 6 millions d’instruments financiers tous les jours.

 

Comment les évolutions de votre offre se décident-elles ?

« Ce sont principalement les aspects réglementaires qui guident l’évolution du produit. Il y a quelques années, nos interlocuteurs privilégiés étaient les départements IT. Aujourd’hui, ce sont les départements Risk & Compliance…
Lorsque les régulateurs édictent de nouvelles directives, nous sommes directement concernés. Les prochaines évolutions se feront vers le haut, en enrichissant les services que nous proposons, en ayant des experts de plus en plus pointus, qui pourront gérer les exceptions pour le compte des clients. Autrement dit, nous cherchons à remonter la chaîne de valeur. C’est d’ailleurs une évolution de l’outsourcing, un peu partout : si, auparavant, on ne s’intéressait qu’aux couches basses de l’entreprise, aujourd’hui on est monté beaucoup plus haut.

Vous devez chercher des collaborateurs avec des compétences et un profil particuliers ?

« Tout notre personnel a une double compétence, à la fois métier et informatique, même si elle est plus ou moins étendue. Ce qui fait la valeur de notre équipe, c’est qu’il n’y a pas de séparation entre celui qui fait les spécifications et celui qui développera. C’est une approche un peu différente de celle adoptée par d’autres sociétés, qui permet d’ailleurs de multiplier les rôles selon le contexte. On peut être project manager sur un projet, et business analyst sur l’autre… Cela permet de motiver et responsabiliser chacun dans son travail quotidien.

Comment l’entreprise a-t-elle évolué ?

« Nous avons débuté petits. Certaines entreprises ne sont intéressées par un marché de sous-traitance que s’il représente dès la première année un budget de 50 ou 100 millions d’euros. Nous, nous savions que nous avions un métier à construire, et donc une entreprise qui devait partir sur des projets modestes en taille, mais très pointus. En fait, nous avons d’une certaine manière pris la place sans que personne ne s’en rende compte, jusqu’à devenir incontournables. Aujourd’hui, nos clients veulent des références… Nous en avons, alors que ce qui est demandé est beaucoup plus complexe qu’en 2006, lorsque nous nous sommes lancés. Le fait d’avoir déjà 40 clients et plus de six millions d’instruments valorisés chaque jour aide. Et tout nouvel entrant aura le défi de devoir se positionner face à nous, en expliquant ce qu’il fait de mieux… Nous avons en fait créé le marché, et la barrière à l’entrée,
en même temps. C’était une opportunité, et nous l’avons saisie à temps. »

 

Parcours - Finance & IT

Âgé de 40 ans, Renaud Oury a une formation d’ingénieur commercial obtenue à Solvay-Bruxelles. Après un début de carrière chez Andersen (devenue depuis Accenture) en 1995, il rejoint EDS en 2002. En 2005, il rejoint Cetrel, et participe au lancement de CetrelSecurities en 2006.