L’Ordre des experts-comptables s’interroge sur la portée réelle de sa mission de surveillance et de sa responsabilité envers sa clientèle directe ou plus lointaine. (Photo: Licence C.C.)

L’Ordre des experts-comptables s’interroge sur la portée réelle de sa mission de surveillance et de sa responsabilité envers sa clientèle directe ou plus lointaine. (Photo: Licence C.C.)

Après les juridictions administratives, c’est au tour de la Cour supérieure de justice et de l’Ordre des experts-comptables de livrer leur avis sur le projet de loi 7217 instituant un registre des bénéficiaires effectifs (ou Rebeco), déposé le 6 décembre dernier par le ministre de la Justice, Félix Braz.

Ce projet de loi, qui transpose la directive de 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (AML4), prévoit de centraliser et de conserver les données concernant les bénéficiaires économiques de toutes les personnes morales déjà enregistrées auprès du RCSL (incluant les GIE, les sociétés civiles, les asbl ou les établissements publics).

Trois groupes d’acteurs pourront accéder au registre: les autorités nationales compétentes en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui détiendront l’accès le plus large; les professionnels nationaux, à savoir les organismes d’autorégulation ayant une mission de surveillance (Conseil de l’ordre des avocats, Chambre des notaires, Institut des réviseurs d’entreprises, Ordre des experts-comptables, Chambre des huissiers); et enfin, des «personnes ou organisations résidentes démontrant un intérêt légitime» à connaître le détail d’un bénéficiaire économique.

Des précisions à apporter

Si les juridictions administratives avaient repéré une potentielle atteinte à la vie privée des bénéficiaires en cas d’accès par de simples citoyens, la Cour supérieure de justice, qui rassemble la Cour d’appel, la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle, exprime d’autres réserves.

Elle note que seul le ministère public pourra avoir accès aux informations figurant dans le registre des bénéficiaires. «Il faut par conséquent être conscient que les magistrats connaissant d’une affaire commerciale ou d’une affaire de criminalité économique n’ont accès à ces informations qu’à travers le ministère public et risquent même des sanctions s’ils essaient d’obtenir directement ces informations», insiste-t-elle.

La Cour supérieure de justice remarque également que le législateur a opté pour la seule voie pénale en cas d’abus alors que la directive laissait le choix entre sanctions administratives et pénales. Elle attire toutefois l’attention du législateur sur une formulation qui peut prêter à confusion: «Le projet de loi mentionne comme pénalement responsable en matière d’inscription l’entité immatriculée ou son mandataire. Le texte du projet de loi, en utilisant le mot «ou», risque de créer un doute sur la question de savoir si la personne physique peut être poursuivie en même temps que la personne morale et vice-versa.»

Quelles obligations pour les experts-comptables?

La juridiction judiciaire note encore la possibilité de prononcer des amendes pénales à l’encontre des «organismes d’autorégulation» qui auront «sciemment demandé l’accès aux informations du Registre en dehors de leur mission de surveillance en matière de lutte contre le blanchiment». Sauf que le Code pénal luxembourgeois ne considère pas comme personnes morales le Conseil de l’ordre des avocats ou la Chambre des notaires, avertit-elle.

De son côté, l’Ordre des experts-comptables réclame également quelques précisions au ministère de la Justice. Il indique notamment qu’«en tant qu’ordre professionnel, il n’est pas soumis à une obligation de vigilance à l’égard de la clientèle», alors que cette mission lui est explicitement allouée par le projet de loi.

Il s’étonne également de ne pas retrouver le ministère de l’Économie dans la liste des autorités, administrations et entités définissant l’«autorité nationale», qui dans le cadre de la délivrance des autorisations d’établissement doit vérifier la compétence et l’honorabilité des personnes qui exercent une fonction de direction au sein des entités assujetties ou qui en sont les bénéficiaires effectifs.

Clientèle et délais

Estimant ne pas avoir besoin du Rebeco pour «veiller à ce que ses membres - personnes physiques et morales - respectent leurs obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme et les mesures prises à cet effet», l’OEC se fend d’une question très concrète: si un expert-comptable constate des «divergences entre les informations en sa possession et celles visibles au Rebeco», est-il autorisé à en informer son client «afin de permettre à ce dernier de régulariser les informations déclarées relatives à ses bénéficiaires effectifs»?

L’OEC sollicite encore des précisions sur la portée de sa mission de surveillance. Englobe-t-elle également un acheteur dont l’expert-comptable en tant que liquidateur doit vérifier le pedigree?

Les experts-comptables estiment enfin que le délai de six mois accordé pour reporter un changement de bénéficiaire économique dans le Rebeco est trop court, puisque la mise à jour de ce genre d’informations n’est pas immédiate, étant «fonction de la classification de risque que l’expert-comptable a fait du client».